Frédéric Maurin, direction ONJ
Le leader de Ping Machine
prend la tête de l’Orchestre National de Jazz
L’annonce de la nomination de Frédéric Maurin à la tête de l’Orchestre National de Jazz, au terme du mandat d’Olivier Benoit [1] est à la fois une surprise, puisque le leader de Ping Machine bifurque vers une structure institutionnelle, et découle d’une suite logique ; l’ancien président de la fédération Grands Formats est, comme l’était Benoit, un fin connaisseur de la scène française et du fonctionnement d’un grand orchestre. Quelque temps avant qu’il annonce les musiciens qui formeront le noyau dur de son mandat, nous avons envie d’en savoir davantage sur le nouveau directeur artistique de l’ONJ. Un échange riche avec un artiste très réfléchi qui sait d’ores et déjà dans quelle direction il ira.
A partir du 1er janvier 2019, vous serez le nouveau directeur artistique de l’ONJ. C’est quelque chose que vous visez depuis longtemps ?
Depuis quelques années, c’est une chose qui est souvent arrivée dans des discussions avec des musiciens mais ça n’était pas un objectif, plutôt une possibilité, peut-être un jour. L’Orchestre National de Jazz est un sujet de discussion qui revient souvent dans le milieu, avec beaucoup de « il faudrait », « y aurait qu’à » etc. Ce n’est qu’en mars, lorsque j’ai découvert la possibilité dans le nouveau cahier des charges de faire évoluer l’ONJ vers quelque chose qui me semblait plus correspondre à l’idée que je me fais de cet outil, que j’ai décidé de défendre ma vision de cet orchestre et de postuler.
Depuis des années, vous dirigez Ping Machine, l’un des orchestres de jazz européens les plus en vue. Comment allez-vous aborder ce nouvel orchestre ?
L’ONJ ne sera pas Ping Machine. L’ONJ a selon moi d’autres missions, ce n’est pas un orchestre qui émane d’une initiative individuelle comme pouvait l’être Ping Machine. C’est un orchestre qui, il me semble, se doit d’être un outil partagé, plus ouvert. Je n’ai donc pas proposé un ONJ qui se consacrerait à jouer la musique que j’écris habituellement. Nous allons présenter des programmes qui montreront la diversité de ce qui peut se faire dans le jazz aujourd’hui : cela passe par une politique active de commandes et de collaborations.
D’ailleurs, comptez-vous vous appuyer sur cet orchestre pour bâtir le projet ? Que va devenir Ping durant cette période ?
Ping Machine a une longue histoire maintenant, et bien sûr j’ai des liens forts avec chacun des musiciens de l’orchestre. Mais comme le projet de l’ONJ est très différent, je ne pouvais pas proposer une sorte de labellisation ONJ de Ping Machine : cela n’aurait eu aucun sens par rapport aux missions de l’ONJ dont je parlais précédemment. De plus, l’ONJ doit être un orchestre intergénérationnel et il se doit d’être incarné par des femmes et des hommes. C’est important car ça va de pair avec l’ouverture esthétique que j’évoquais. Cela étant dit, oui bien sûr je m’appuierai dans une certaine mesure sur Ping Machine, mais peut-être pas forcément comme on s’y attendrait. En tout cas, pour l’instant Ping Machine va terminer son année de concerts : il nous reste un concert au Festival de Vilnius (Lituanie) en octobre puis un dernier au Studio de l’Ermitage le 29 novembre. Après, on débranche la machine pour quelque temps…
L’ONJ NE SERA PAS PING MACHINE
Avez-vous déjà des noms, des idées précises, des volontés au niveau de l’instrumentarium ?
J’ai proposé un orchestre à géométrie variable : il y aura des personnes récurrentes sur tous les programmes, pour avoir une sorte de noyau dur, mais il faut aussi que l’instrumentation soit, à chaque fois, adaptée à la musique qu’on veut faire. Je ne pourrais pas proposer des programmes suffisamment variés avec la même instrumentation… En faisant des castings à géométrie variable, ça me semblait correspondre avec l’ensemble du projet et avec ce désir de faire de l’ONJ un outil ouvert à un plus grand nombre de musiciennes et de musiciens.
Olivier Benoit a travaillé autour des villes européennes, dans un projet global. Voyez-vous les choses différemment ? Y aura-t-il, dans une logique de projet, une ligne directrice ?
L’idée qui pour moi est centrale est simple, et elle dépasse le cadre artistique : l’ONJ n’est pas mon orchestre. Il doit devenir un orchestre dont le projet général met en place une continuité entre les directions artistiques allant dans le sens de l’intérêt général. Mes propositions artistiques doivent s’inscrire dans ce cadre. Artistiquement, la grande ouverture que je souhaite mettre en place essaiera modestement de représenter la diversité de la création aujourd’hui. Ma façon de travailler n’a jamais été d’avoir une approche conceptuelle de la musique, ni d’ailleurs des autres disciplines artistiques. J’écris de la musique ; il n’y a rien derrière, ou plutôt il y a tout ce que vous imaginerez. Si je voulais construire des concepts j’écrirais des livres de métaphysique. Pour moi, l’important c’est de présenter différents compositeur·rice·s proposant chacun·e un monde musical original. De plus, l’ensemble s’inscrira dans un ancrage territorial fort : chaque programme sera développé en lien avec un territoire, avec la complicité de lieux référents, afin de mettre en place un travail intégré de création, de diffusion et d’éducation artistique et culturelle.
Vous avez longtemps été président de la Fédération Grands Formats, qui réunit les larges orchestres francophones. Est-ce que cela va influer sur votre mandature ?
Il est certain qu’à Grands Formats j’ai rencontré énormément de musicien·ne·s et de compositeur·rice·s talentueux·ses et nombre des collaborations que je proposerai feront appel à des membres de la fédération. Mais je suis aussi allé chercher des collaborations en dehors de nos frontières. D’autre part, nous avons toujours défendu avec Grands Formats un certain nombre de valeurs : le développement d’un modèle qui permette de maintenir un respect des conditions de travail des artistes et de leur entourage, la nécessité de soutenir l’ensemble de la création sans aucune forme de guerre de chapelles, la possibilité pour les musiciennes et les musiciens de participer aux décisions qui les concernent et de s’emparer de leur destin, le besoin de construire collectivement une politique culturelle qui défende l’intérêt général contre une vision purement marchande. Il est évident que tout ce pour quoi nous nous sommes battus depuis des années continuera à influencer ma façon de travailler.
CHAQUE PROGRAMME SERA DÉVELOPPÉ EN LIEN AVEC UN TERRITOIRE, AVEC LA COMPLICITÉ DE LIEUX RÉFÉRENTS, AFIN DE METTRE EN PLACE UN TRAVAIL INTÉGRÉ DE CRÉATION, DE DIFFUSION ET D’ÉDUCATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE.
Lors de sa mandature, Olivier Benoit a lancé le label ONJ Records, développé les formes annexes des musiciens de l’orchestre… Est-ce que c’est quelque chose que vous souhaitez voir perdurer ?
Je souhaite recentrer l’activité de l’ONJ sur les projets en grand orchestre, qui continueront à paraître sur le label ONJ Records. Tous les programmes auront des effectifs entre 14 et 16 musicien·ne·s qui permettront vraiment de travailler sur la matière orchestrale. Des formats plus réduits de l’orchestre seront mobilisés parfois sur des actions culturelles, mais je ne souhaite pas poursuivre l’accompagnement des projets individuels de chaque musicien·ne de l’orchestre. Par contre, en plus des programmes ONJ, nous développerons deux programmes « ONJ jeune public » sous des formats un peu plus légers que le grand orchestre. Et par ailleurs nous allons continuer à valoriser l’histoire de l’ONJ à travers un Orchestre des Jeunes de l’ONJ, en lien avec les conservatoires et les écoles de musiques européennes, qui réinterprétera, avec la complicité des anciens chefs, les répertoires passés de l’ONJ afin de faire vivre cette musique et de la transmettre aux nouvelles générations.
Avez-vous déjà des choses écrites ? Y-aura-t-il des invités ?
J’ai plein de choses écrites ! J’ai toujours en permanence beaucoup de matériel sur lequel je travaille… Côté invité·e·s, il y aura beaucoup de compositeur·rice·s invité·e·s, mais également des musiciennes et des musiciens européens et américains. Pour l’instant, on travaille à mettre tout cela en place, donc on attend encore un peu avant d’annoncer plus de détails. Alors, chut…
Est-ce que Directeur de l’ONJ, c’est un poste pour les guitaristes ? Allez-vous jouer dans l’orchestre ou juste diriger ?
Ah oui ! Il est certain qu’il y a une sur-représentation des guitaristes. Mais des pianistes tout autant… En fait, il y a juste une représentation plus importante de compositeurs jouant d’un instrument harmonique, mais c’est comme ça depuis toujours et dans la musique classique aussi. Quand on joue d’un instrument qui peut jouer des accords verticalement, on est peut-être, statistiquement, plus tenté d’écrire pour orchestre… En tout cas, oui, je dirigerai, ça c’est vraiment, avec la composition, le cœur de mon travail artistique. Je jouerai dans certains programmes, ceux sur lesquels je me sens compétent. Pour d’autres programmes, il existe de bien meilleur·e·s guitaristes que moi, donc je préfère leur confier ce poste !
Olivier Benoit nous disait que directeur de l’ONJ, c’est beaucoup de solitude. Comment allez-vous vous entourer ?
J’ai proposé des programmes avec de nombreuses collaborations : c’est aussi pour moi une façon de m’entourer artistiquement et humainement. Je compte aussi sur l’équipe permanente de l’ONJ qui a déjà une expérience de ces périodes délicates de début de mandat. Néanmoins, je mesure les attentes et je sais qu’au final je porterai la responsabilité des réussites et surtout des échecs, s’il y en a, des différents projets de l’ONJ. C’est ça le boulot de directeur artistique. Je ferai tout pour que ces projets réussissent mais je sais aussi que concernant l’ONJ, chacun a son avis dans ce milieu et on ne peut sûrement pas plaire à tout le monde. C’est ainsi, il faut l’accepter et ne pas perdre de vue ses objectifs quoi qu’il arrive.
Quels seront les premiers pas du nouvel orchestre ?
Avant la fin de l’année, nous annoncerons les deux premiers programmes avec leurs castings respectifs. Ils seront créés en 2019 et l’un sera consacré à un grand nom du jazz et sera plus électrique et jubilatoire, plus « big band » aussi dans son instrumentation ; l’autre intégrera des voix et des cordes à l’orchestre et aura une esthétique plus organique, plus musique de chambre. Je souhaite commencer en présentant deux facettes très différentes du jazz !