MikMâäk, en quête de liberté
MikMâäk volume 2,
16 explorateurs en quête de liberté.
Le nouvel album du collectif vient de sortir, et c’est du lourd : des souffleurs au meilleur de leur forme et un album à découvrir sans hésiter. Rencontre avec Laurent Blondiau.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Laurent, comment est née l’idée de MikMâäk ?
J’ai créé le collectif Mâäk en 1988. A force de fréquenter des ventistes, que ce soit avec Mâäk, Fabrizio Cassol, le DreamTime de Kris Defoort et d’autres j’ai voulu retrouver ce son typique de Mâäk, cette énergie et cette liberté, mais avec un apport massif de souffleurs. J’avais aussi l’idée de retravailler avec une section rythmique complète piano-basse-batterie.
Comment s’est formé le line-up ?
Je n’ai pas dû aller chercher très loin : je suis entouré de musiciens de très grande qualité qui sont non seulement des individualités fortes, d’excellents solistes, mais qui peuvent aussi jouer le jeu de groupe, s’intégrer dans une communauté en mettant son ego de côté. La plupart des musiciens que j’ai contactés à l’époque sont encore là aujourd’hui, sauf quelques uns comme le tromboniste Geoffroy De Masure qui habite Berlin désormais, Adrien Lambinet le remplace… ou le tubiste Nils Van Hertum, parti sur d’autres projets et remplacé par Pascal Rousseau. Pour les anciens, comme le flûtiste Pierre Bernard ou le tubiste Michel Massot, on s’était déjà côtoyé dans d’autres groupes comme La Grande Formation, la DreamTime de Kris Defooort, et Rêve d’Eléphant Orchestra.
Comment définirais-tu le travail réalisé avec ce groupe ?
C’est une formation atypique : on n’arrive pas avec des partitions pour tel ou tel instrument. Il s’agit plutôt d’un travail de recherche, une sorte de laboratoire, surtout avec les pièces de Fabian Fiorini. Il faut avoir l’esprit ouvert…. C’est différent d’autres grands ensembles où la discipline est plus stricte, où le mode de fonctionnement est plus classique, c’ est tout autre.
Quel est le rôle de chacun ?
Je m’occupe de la direction artistique globale, mais j’aime les décisions communes. Il était clair dès le début que chaque musicien pouvait apporter ses propres compositions, beaucoup ont pris ça comme une belle occasion d’écrire pour un grand ensemble, chacun avec sa façon de composer. Fabian et moi proposons plutôt avec des couches qui peuvent s’entremêler ou se superposer sans idées d’instrumentation bien précise au départ, cela se révèle au fur et à mesure des répétitions.
Un morceau peut varier d’une séance à l’autre.
On reste plutôt sur un schéma convenu surtout pour l’enregistrement, mais il arrive que le soliste change en concert, que l’euphonium prenne le solo de sax par exemple. Ou une autre voix…
Il y a une longue pièce de 17 minutes en 9 épisodes enchaînés de Fabian Fiorini.
En voyant la longueur du morceau, Fabian a pensé le couper, mais finalement les 9 épisodes tiennent très bien la route et pour ce morceau plein d’humour, avec des parties très écrites et des parties complètement improvisées, il a pensé que tous les membres du groupe avaient leur place sans avoir nécessairement de vrais solos.
Les notions de solo, de riff, d’arrangement sont bien loin d’un big-band traditionnel.
Ce n’est pas pour rien que le groupe s’appelle MikMâäk! On recherchait une liberté organique au sein des morceaux. Les compositions sont d’ailleurs parfois à la limite de la musique contemporaine. A cet égard, l’ingénieur du son Vincent De Bast a fait un superbe travail. Ce mélange de musique contemporaine et de jazz se retrouve aussi dans les petites formules de Mâäk, en quintet par exemple, on aime ce côté hors des conventions, ces sonorités inattendues que l’on peut entendre derrière le soliste.
Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
On a enregistré le disque en cercle, et on aimerait garder cette disposition sur scène. Lors de l’enregistrement en « live », on avait placé des chaises tout autour de l’orchestre et le public pouvait bouger entre les morceaux, c’est une idée qu’on essaiera de reproduire quand c’est possible.
Fabian Fiorini partage la direction artistique.
Nous formons un vrai binôme su ce projet. Fabian est là depuis le début. Nous sommes très complémentaires. Car si avec Mâäk, où nous sommes cinq, on peut se permettre de faire de la musique improvisée, à seize c’est plus compliqué et moi je tiens à ce qu’il y ait une petite partie écrite, des lignes directives, des prétextes à l’improvisation. Fabian a non seulement une énergie formidable mais c’est aussi un merveilleux pianiste et un compositeur et un arrangeur qui a une vraie connaissance de la musique classique. On se connaît très bien. On était ensemble dans Octurn. Il a fait le Conservatoire à Liège, il peut passer de Mozart ou Beethoven à quelque chose de tout à fait différent.
MikMâäk intègre de jeunes musiciens au milieu de « vétérans », un peu les Mâäk Messengers …
Les jeunes musiciens ont été choisis pour leur talent et leur énergie, plus que pour leur âge. Samuel Berr est parti un an à New York étudier la composition. Il y aussi le contrebassiste Nathan Wouters qui a remplacé Claude Tchamitchan qui a dû freiner un peu ses activités. Nathan est un jeune Anversois remarquable qui a une dextérité incroyable et qui a réécrit un de ses morceaux pour MikMâäk. Jean-Paul Estiévenart est un trompettiste exceptionnel , et Milkmâäk c’est une nouvelle expérience pour lui. Avec Bart Maris, Jean-Paul et moi, on a trois trompettistes avec des univers et des palettes de sons différents, tout en formant un ensemble très homogène. Et puis, il y a les doyens, Michel (Massot) et Pierre (Bernard)…
Dans les anciens, il y aussi Bo Van der Werf.
Je suis très content d’avoir Bo que je connais depuis tellement longtemps, on avait six ans lorsqu’on jouait au foot ensemble ! Nous avons fait nos premières notes hors classique ensemble sur les planches d’un théâtre, puis il y a eu Octurn où j’ai joué pendant dix ans. C’est important d’avoir dans le groupe un sage comme lui qui a toujours des commentaires très justes. Cet album par rapport au premier est peut-être plus contrôlé au niveau de la dynamique parce qu’avant, on jouait fort, avec plein d’énergie… Ici, il y a un travail plus important sur les dynamiques, sur les nuances. Bo a apporté pas mal de choses sur ce point.
C’est un projet lourd à porter…
La difficulté pour un projet pareil, c’est de le faire vivre. L’idéal serait d’avoir un lieu pour nous accueillir en résidence. Cela nous permettrait de travailler sur une base régulière et d’avancer mais c’est très difficile à trouver. Et le système des contrats programme ne s’applique pas aux groupes de musiciens dans le jazz en Belgique francophone. A cet égard le nord et le sud du pays sont différents. Le BJO par exemple est soutenu en Flandre. Mâäk bénéficie quand même d’une aide structurelle grâce à son association avec la structure MetX (maison de production flamande ), mais c’est insuffisant. Et puis certains programmateurs sont frileux à l’idée de nous programmer, même s’ils aiment beaucoup ce qu’on fait, ils jugent notre musique trop difficile d’accès. Le mot jazz fait encore un peu peur, mais si les gens viennent écouter, ils découvrent que c’est joyeux, que ça sonne un peu africain, que ça groove.