Jacques Stotzem, le troubadour moderne
Jaques Stotzem, l’album photos d’un troubadour moderne.
“Places We Have Been”
Propos recueillis par Robert Sacré
Jacques Stotzem est un guitariste que le monde entier nous envie, il est d’une sensibilité exacerbée et extraordinairement doué, sa dextérité est époustouflante, et il joue sans effort apparent. Une technique qui lui a pris des années à mettre au point et que bien peu de musiciens seraient capables d’imiter ou de copier ! Il fait corps avec sa guitare, et quand il joue, c’est comme s’il faisait parler la guitare avec des notes et des accords, sans devoir passer par des mots. Il a accepté de nous parler de son tout nouvel album, “Places We Have Been”, et de son programme de concerts. 0
Cet album porte le numéro 16 dans ta discographie et le quinzième, The Way To Go est paru il y a 2 ans ; c’est à peu près le cycle normal ? Un nouvel album tous les 2 ans ? Chacun demande un long travail de préparation ?
Oui, quelles que soient les musiques que l’on pratique, le travail qui est derrière un album est vraiment énorme.
C’est aussi le fruit de tous les voyages que tu fais, pas tout seul, tu pars avec ta prestigieuse guitare Martin Signature mais aussi avec ton épouse.
On fait tout ensemble c’est un mode de vie un peu particulier auquel on tient beaucoup tous les deux, c’est un tout, c’est le partage, c’est la musique, ce sont les concerts, les voyages et mon épouse fait un travail énorme et sans elle, je ne pourrais faire tout ce que je fais. Pour en revenir à ce nouvel album, il est un peu dans la continuité de The Way To Go car, pour moi, être sur la route, donner des concerts, c’est comme je le dis souvent, une sorte de nourriture de base et j’ai besoin de cela et je n’oserais jamais imaginer ma vie sans concerts, pour moi c’est vraiment l’élément essentiel de ma vie et j’ai la chance d’avoir à mes côtés quelqu’un qui était d’accord de partager ce mode de vie là. On est vraiment épanouis et heureux et comme je l’ai déjà dit, c’est aussi une source d’inspiration avec toutes les rencontres, avec des concerts partout et on pourrait penser que je suis un grand solitaire – et quelque part je le suis – mais un solitaire accompagné.
A propos de “Places We Have Been”, tes voyages te conduisent dans le monde entier, ou presque, qu’en est-il ?
En général, on voyage quelques semaines par an seulement, tous les concerts se passent les weekends, ou en tout cas, à partir du milieu de la semaine et il y a 2 pays où je travaille beaucoup, ce sont la Belgique et l’Allemagne puisque mon label est allemand, c’est Acoustic Music Records dirigé par Peter Finger qui est devenu au fil du temps un de mes meilleurs amis. Lui aussi est guitariste; notre collaboration est intense, intime même et j’y tiens beaucoup. En plus, on ne fait pas de musique commerciale, il s’ensuit que l’accès dans les médias n’est pas spécialement facile pour les instrumentistes avec une guitare acoustique. Il est fréquent d’entendre dire qu’une musique instrumentale c’est ennuyeux mais c’est tout à fait le contraire évidemment parce que les concerts sont dynamiques, riches en éléments très différents les uns des autres et c’est aussi une quête continuelle de toujours travailler sur le contexte des concerts, car justement tout qui vient à mes concerts se retrouve dans un univers de guitare, une guitare qui me passionne depuis tellement longtemps, c’est un instrument d’une grande richesse. Pour en revenir à la scène musicale allemande, elle est vraiment très riche et elle est mal connue chez nous. De mon côté je la connais bien parce que j’en fait partie depuis longtemps et on y trouve beaucoup d’intérêt de la part des gens, il y a beaucoup de magasins de guitare, des magazines spécialisés, des festivals dédiés à la guitare et des centres culturels et petits lieux qui ont l’habitude de programmer des guitaristes solistes comme moi, c’est une scène très dynamique qui m’apporte beaucoup de travail. A côté de cela il y a des endroits où je vais ponctuellement mais systématiquement, comme le Canada où je vais chaque année. J’ai souvent visité la Chine, le Japon, Taiwan, la Corée du Sud, Singapour, le Vietnam et c’est vraiment intéressant car on n’imagine pas toujours que la guitare soit si populaire dans ces pays, or elle l’est, et c’est populaire dans la bon sens du terme parce qu’on peut apprendre à en jouer petit à petit et se perfectionner tout en ayant besoin de peu de choses en fait, c’est un instrument facile à transporter, très convivial qui demande beaucoup de travail bien sûr, mais je pense que c’est tout cela qui est à la base de sa popularité…..Et oui, cela permet de voyager léger car je ne prends jamais qu’une seule guitare et toujours la même, la Martin Signature faite exprès pour moi ; je fais partie de la génération appelée « plug and play », en concert il n’y a que moi et ma guitare, sans artifices électroniques , c’est la plus grande simplicité et, dans ma tête, il y a toujours mes héros comme Rory Gallagher qui a fait toute sa carrière avec la même guitare. J’aime beaucoup cet attachement vis-à-vis de l’instrument, on passe tellement d’heures avec lui que cela devient une part de toi-même….il y a peu, je lisais une interview de Bonnie Raitt qui a aussi des guitares sur lesquelles elle joue depuis des années, elle a aussi une Stratocaster, la même depuis des années et dans l’interview elle dit « Pourquoi je changerais ? Elle va très bien » et pour moi c’est pareil, ma guitare me va très bien et donc il n’y a pas de raison de changer.
On en revient à ton nouvel album.
Quelque part il est comme un album photos d’ un musicien sur la route, chaque morceau est le reflet d’un souvenir, d’une rencontre et c’est ce qui me passionne dans la musique instrumentale, elle explique certaine choses mais pas tout, elle a le pouvoir de laisser l’auditeur libre de se faire sa propre interprétation et de laisser libre cours à son imagination ; la musique est un vecteur de beaucoup d’émotions.
Tu affectionnes les tempos lents ; dans le blues par exemple, les morceaux lents sont souvent tristes mais chez toi c’est tout à fait différent, c’est, je pense, une réaction contre le temps qui passe à une vitesse folle, à la vie chaotique qu’on vit à 200 à l’heure ?
C’est une très belle interprétation et cela me fait plaisir de t’entendre dire cela, car c’est tout à fait cela. Je ne suis pas une personne nostalgique ou mélancolique, loin de là, mes morceaux évoquent des souvenirs agréables mais révolus, et la musique n’est pas triste, en fait, les mélodies sont influencées par la personne qui m’a donné envie d’écrire des morceaux comme cela, c’est Jackson Browne, un musicien Californien folk qui a écrit des mélodies nostalgiques sur le temps passé mais souvent avec un message très fort et des textes soit politiques soit fort engagés et c’est Jackson Browne qui m’a donné envie de faire pareil mais instrumentalement, avec ma guitare.
Pas question de repli sur soi ni de pleurer sur ton sort ?
Ah non, pas du tout.
Morgen Geht’s Weiter, un titre en Allemand ?
Comme je te disais, cet album est une sorte d’album photos de quelqu’un qui est souvent sur la route et je tenais à ce qu’il y ait un titre en Allemand car cela représente quand même une grande partie de mon activité en Europe et j’aurais trouvé bizarre d’avoir des titres en Français et d’autres en Anglais pour le côté international et aucun en Allemand ! Je le parle couramment et de manière naturelle, d’où ce titre sur la continuité des choses, demain la vie continue…..
Middle Of Nowhere et Nostalgie d’un soir : Avez-vous vraiment passé du temps au milieu de nulle part , ton épouse et toi ?
Oui mais ce ne sont pas les lieux de concerts, c’est souvent les hôtels que les organisateurs nous réservent et qui sont, parfois, dans des bleds improbables, comme en Slovénie par exemple où on m’a dit « voilà, tu prends cette route et au bout tu trouveras ton hôtel… » et on a roulé et roulé dans la rase campagne et on se demandait si on allait arriver quelques part, finalement on y arrive et on va pouvoir dormir, avec un léger sentiment de solitude et de nostalgie….. Cela nous est arrivé en Asie aussi, on s’est retrouvés dans des lieux incroyables mais cela ne dure pas longtemps et cela forge des expériences et des souvenirs qui, par après, deviennent agréables et même inspirants; quoi qu’il en soit, il y a des soirs où on a le blues, c’est clair.
Quant au blues, au ragtime et à la country music, bien sûr toutes ces aventures et expériences nourrissent tes compositions mais qu’est-ce qui est le plus difficile dans ce processus où tu es seul aux commandes ?
Il faut beaucoup d’autocritique, se dire, voilà j’ai fait un titre mais cela ressemble fort à un autre que j’ai déjà fait, il faut se renouveler et dans une technique de guitare ce n’est pas du tout évident, c’est à force de travail que tu y arrives et au travers de tes rencontres avec d’autres musiciens qui partagent la scène avec to. Tel ou tel autre musicien va m’inspirer une harmonie que j’ai envie de tester car en fait, l’inspiration ne part pas de rien, elle part souvent d’avoir écouté d’autres musiciens, c’est comme cela que la musique se transmet, c’est un mix de choses que tu écoutes que tu travailles et , petit à petit, cela se transfère à ton jeu de guitare, mais quand tu joues en solo comme moi, le plus difficile c’est le renouvellement dans les idées, dans les atmosphères différentes. Moi j’ai appris la guitare en écoutant des bluesmen comme Big Bill Broonzy, Blind Blake… ce sont les pionniers du finger-picking, en fait ils ont tout inventé , en particulier la façon d’utiliser la guitare acoustique de nos jours. Quand tu écoutes Robert Johnson, tu réalises que ce type avait tout trouvé, parfois de façon un peu brute et primaire mais plus tard plein de gens ont affiné les techniques, des gens comme Merle Travis et Chet Atkins – des super stars de la musique country – se sont profondément inspirés des vieux bluesmen; bien sûr en ces années- là (avant 1945), le public blanc n’écoutait pas trop la musique des Noirs, mais bien des musiciens blancs comme Merle Travis, une méga star de l’époque. Il a écrit des thèmes de country devenus suprêmement populaires et en fait il s’est inspirés des vieux bluesmen comme Big Bill Broonzy et d’autres, on l’entend clairement dans ce qu’il joue et c’est formidable. Des liens se sont quand même créés au travers de la musique et tous les musiciens, moi compris, on s’écoute et on se dit « tiens, ceci ou cela me parle et j’ai envie d’aller plus loin » ou encore « j’ai envie de prendre cette petite épice et de la mettre dans ma recette ». En tout cas, je me suis souvent penché sur la technique de guitare de ces vieux bluesmen et je me suis rendu compte que cette technique elle a été influencée par le Ragtime, une musique de piano gaie sautillante et festive or les gens avaient envie d’écouter cela pour s’amuser et ils demandaient aux musiciens, bluesmen compris, de jouer des rags pour le fun. Cette technique de guitare qu’on appelle le finger-picking elle a vraiment débuté quand les bluesmen ont choisi d’imiter le piano ragtime avec leurs guitares, en utilisant 2 doigts pour la mélodie (index et majeur) et le pouce pour les cordes de basse une technique qui va amener le Swing un peu plus tard.
La technique à 3 doigts, ce que tu pratiques…
Oui mais Gary Davis lui le faisait avec 2 doigts, le pouce et l’index ! Ces bluesmen étaient extraordinaires et il faut les écouter parce que ils sont vraiment à la base de tout ce qui concerne la guitare acoustique aujourd’hui et il y a trop peu de gens qui savent cela. Quand Eric Clapton a sorti ce magnifique album, « Unplugged », cela a provoqué un regain d’intérêt pour la guitare acoustique et en même temps sortait un recueil de transcriptions et sur cet album Clapton joue un morceau de Big Bill Broozy intitulé Hey Hey Baby (enregistré en 1951) et si tu savais combien de gens sont venus me voir pour me demander si je connaissais ce morceau-là de Clapton ! ! On associe Clapton à ces morceaux mais en fait, il rend hommage à ces vieux bluesmen. Il y aurait beaucoup moins de gens attirés par la guitare acoustique s’il n’y avait pas eu ce travail de pionniers des bluesmen noirs, ils ont été à la base de tout, pourtant ils sont partis de rien ou quasi rien.
Back To The Western Sky : fin du voyage au bout du monde, en Extrême Orient, et l’avion va vous ramener tous les 3 ( je compte la guitare) en Occident.
C’est bien vu, c’est exactement cela , c’est le thème du morceau car on n’organise pas les tournées en Asie nous-mêmes et quand je consulte le planning qui m’est donné, un concert tous les jours avec beaucoup de déplacements, je réalise qu’il reste peu de temps pour le tourisme mais ce n’est pas grave ni triste parce qu’on va là pour la musique, notre satisfaction et notre bonheur viennent de la musique et je trouve cela formidable et puis, on y est allés si souvent qu’on a quand même pu voir et visiter plein de sites valant le déplacement, souvent hors de périodes touristiques ce qui nous permet de bien profiter des découvertes et puis, à côté de la guitare, j’adore la cuisine, c’est une deuxième passion, j’aime beaucoup manger local, c’est très intéressant et inspirant aussi. En fait la cuisine a des points communs avec la musique, tu pars d’ingrédients qui sont les mêmes pour tout le monde et à l’arrivée, tu as quelque chose qui peut être fondamentalement différent d’une personne à l’autre. Oui je le reconnais je suis épicurien. Hélas j’ai peu de temps pour autre chose, la lecture, le cinéma, le théâtre, j’aimerais bien mais comme je l’ai dit au début, mon épouse et moi-même on fait tout nous-mêmes et il y a énormément de travail, j’essaie de répondre à tous ceux qui m’écrivent, surtout sur les réseaux sociaux, Internet, Facebook*… Puis il faut organiser les concerts et les voyages en Europe et quand on se pose un peu, chez nous, on se rend compte que nous sommes hyper-occupés avec la musique et qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour autre chose… Si, il y a aussi nos petits enfants qui demandent du temps mais là c’est un plaisir irremplaçable.
Et les projets à court et moyen termes ?
L’album est sorti le 13 septembre et il est disponible partout où il est encore possible de trouver des cédés mais si on va sur mon site web, il y a la liste de tous les points de vente en Belgique ainsi que mon planning de concerts. En octobre et novembre j’ai donné des concerts en Belgique, en Allemagne et en Autriche. En décembre je serai le 8 à Ittre et le 13 au Spirit of 66 à Verviers, dans mon jardin, je n’aurai pas beaucoup de route à faire, cela me changera. En janvier et février 2020 je continuerai ma tournée de promotion en Allemagne mais aussi en Belgique, le 18 janvier à Amay, le 7 février à Mons et le 8 février à Virton….Il y aura aussi des concerts « normaux » hors promo de l’album et la préparation des prochains voyages.
Merci Jacques pour cette interview. Bon succès pour l’album et pour tous tes projets. Ils le valent bien.
* www.stotzem.com / www.youtube.com/JStotzem/ www.facebook.com/Stotzem .