Antoine Pierre, de Joshua Redman à Urbex Electric
Antoine Pierre,
de Joshua Redman à Urbex Electric
Le Brussels Jazz Festival se déroule du 8 au 18 janvier, à Flagey. A l’affiche, pas moins de 25 concerts. Entre autres, Mélanie De Biasio, le BJO, Portico Quartet, Jeff Parker, Makaya Mc Craven, Ragini Trio avec Bojan Z, les trios de Casimir Liberski et Pierre de Surgères et, surtout, en tant qu’artiste en résidence, Antoine Pierre pour trois concerts. Le batteur d’origine liégeoise commente cette triple carte blanche.
Propos recueillis par Claude Loxhay
Tu es choisi comme artiste en résidence pour ce festival…
Le programmateur Maarten Van Rousselt m’a rencontré plusieurs fois cette année en vue, d’abord, de présenter le nouveau projet d’Urbex, conçu comme un hommage à Bitches Brew de Miles qui date de 1970, une manière de célébrer le cinquantième anniversaire de cet album que j’ai beaucoup écouté. J’ai écrit de nouvelles compositions pour cet Urbex Electric. Maarten aime ce que je fais, il m’a alors proposé de devenir “artiste en résidence” pour trois projets différents : j’ai immédiatement accepté, parce que j’aime toujours faire de nouvelles choses. Cela me permettait de concrétiser plusieurs désirs : je vais présenter un quartet avec Joshua Redman le 10 janvier, dans la salle du studio 4; un set à trois batteurs, le 11 et, le 16, cet Urbex Electric avec des invités, un concert qui sera enregistré sur le nouveau label Live de Flagey.
Comment est née cette idée de quartet avec Joshua Redman ?
C’est comme un rêve d’enfant. J’avais déjà rencontré Joshua Redman, à Dinant, en compagnie de Philip Catherine. Le contact avait été excellent, cela fonctionnait très bien musicalement mais aussi humainement : il suffisait de voir le regard respectueux de Joshua à l’égard de Philip qui, il est vrai, fait partie de l’histoire du jazz. Joshua est quelqu’un de très humain, c’est hyper facile de jouer avec lui. Par ailleurs, j’ai beaucoup écouté ses enregistrements que ce soit en tant que leader mais aussi ses albums avec Brad Mehldau ou Kurt Rosenwinkel : “Mood Swing” en trio, “Nearness” avec Mehldau ou “Deep Song” avec Rosenwinkel. Depuis janvier dernier, j’ai commencé à écrire de nouvelles compositions pour cette rencontre. Ce concert comprend une part d’inconnu, mais, grâce à cette rencontre avec Philip Catherine, nous partons d’un terrain commun, et il y aura les répétitions.
Tu te rends compte qu’auprès de lui, tu succèdes à une série de grands batteurs : Bill Stewart, Brian Blade ou Gregory Hutchinson…
C’est un fait, mais, quand j’étais à New York, Jeff Balard, le batteur de Brad Mehldau, m’avait dit qu’il ne fallait pas avoir peur de jouer avec de très grands musiciens parce que ceux-ci te portent vers le haut. Chose amusante, à l’époque de mes études à New York, j’ai eu cours avec Bill Stewart et Gregory Hutchinson.
Au piano, tu as choisi Eric Legnini…
Je connais Eric depuis longtemps, il vient du berceau mosan comme Stéphane Galland ou mon père Alain : je l’ai beaucoup écouté. J’ai souvent joué avec lui, notamment à Mons pour un hommage à Jacques Pelzer mais aussi à Paris. J’ai participé à son projet autour de Les Mc Cann. Eric est très doué techniquement, il a une connaissance profonde de la tradition mais, éclectique, il s’intéresse aussi à d’autres mouvances musicales. Il est le pianiste idéal pour ce jazz contemporain avec Joshua.
A la contrebasse, tu as choisi Or Baraket…
J’ai rencontré ce contrebassiste israélien à New York, on s’est très bien entendu, on a fait des sessions ensemble, notamment avec Mark Turner et avec Alex Koo. Or est né à Jérusalem, a été élevé à Buenos Aires et, il y a une dizaine d’années, est arrivé à New York où il a rencontré des musiciens comme Chris Potter. Quand il est venu en Europe, j’ai également joué avec lui. En 2017, j’ai occupé son appartement à New York pendant qu’il faisait une tournée en Europe. Je m’entends très bien avec lui, c’est important, pour un groupe comme celui-là, d’avoir des attaches, au plan musical comme humain.
Le 11 janvier, dans le Hall, tu présentes Sticks…
Oui, une rencontre entre trois batteurs mais aussi amateurs d’électronique : Lander Gyselinck et le Hollandais Mark Schilders. Il s’agit d’un projet que nous avions déjà présenté au Leuven Jazz. Je connais Lander depuis longtemps. On s’est rencontré au Conservatoire de Bruxelles, je commençais mes études, lui les finissait, nous avons eu cours avec Stéphane Galland. J’ai beaucoup écouté le LAB Trio, ce qui m’a fait découvrir Bram De Looze qui joue au sein d’Urbex. Quand le projet Taxi Wars a démarré, nous avons souvent partagé la scène avec le groupe Stuff dans lequel joue Lander : Il a une sonorité différente de la mienne, une voix particulière. Mark a lui aussi un son particulier, une manière à lui d’utiliser la batterie. A Louvain, je me suis rendu compte que Mark et Lander se connaissaient de New York: comme moi, ils avaient étudié à la New School of Music. C’est intéressant de jouer avec d’autres batteurs. Avec Mark, nous avons d’ailleurs joué en duo en Hollande. Pour cette rencontre, nous allons utiliser différents éléments électroniques et partir d’improvisations.
Mark Schilders a différentes connections avec des musiciens belges qui te sont proches…
Oui, il fait partie d’un quartet avec Jean-Paul Estiévenart et Steven Delannoye. et il vient d’enregistrer l’album Fabrik avec Bram De Looze et Bert Cools.
Enfin, le 16 janvier, toujours au Studio 4, tu présentes ton nouvel Urbex Electric…
J’ai conçu les nouvelles compositions comme un hommage à “Bitches Brew” de Miles, un musicien que nous avons beaucoup écouté. Evidemment, il ne s’agit pas de rejouer Miles, de présenter une sorte de copie de Bitches Brew mais de lui rendre hommage, 50 ans après. Au-delà du quintet de base, soit Jean-Paul Estiévenart à la trompette, Bram De Looze au piano, Bert Cools à la guitare et aux effets, Félix Zurstrassen à la basse électrique, j’ai décidé d’accueillir des invités en fonction de la formation réunie alors par Miles. D’abord Ben Van Gelder au saxophone alto, un musicien que j’adore. Il joue déjà sur l’album “Sketches of Nowhere” et était présent lors du concert au Mithra Jazz à Liège. C’est un musicien qui me touche, comme le guitariste Reinier Baas qui joue avec lui en duo : ils ont un magnifique son à deux et viennent d’enregistrer un bel album. Nous avons aussi joué en quartet ensemble avec Félix à la basse. De là, est née une grande confiance. Au Fender Rhodes et au piano, il y aura Jozef Dumoulin. J’aime beaucoup son groupe Lidlboj. Il a joué avec nous au Brosella, il a parfois remplacé Bram ou Bert Cools. Avec son Rhodes, il ouvre des portes à la musique, il explore d’autres pistes en parallèle au piano acoustique de Bram. Enfin, j’ai fait appel à Frédéric Malempré aux percussions : pour rendre hommage à Bitches Brew, il était important d’avoir un percussionniste qui élargit la palette sonore du groupe et intervient à côté de la batterie avec des effets bruitistes, comme c’était le cas d’Airto Moreira ou Don Alias auprès de Miles. Frédéric était déjà présent dans le groupe lors du premier album. J’ai toujours adoré jouer avec d’autres rythmiciens. Nous serons donc neuf sur scène pour cette session qui débouchera sur un album.