Garrett List, citoyen du monde
Garrett List, citoyen du monde !
Vendredi 27 décembre la presse écrite et les réseaux sociaux annoncent le décès du plus liégeois des américains.
Portrait
Garrett List est né à Phoenix, au cœur de l’ Arizona, en 1943. En 1965, il gagne New York où il résidera jusqu’en 1980. Il intègre la Juilliard School of Music où il croise Luciano Berio et rencontrera aussi Henri Pousseur qui se souviendra de lui. Très vite, il intègre la scène avant-gardiste américaine, entre free jazz, musique minimaliste et musique improvisée. Il côtoie ainsi aussi bien John Cage que La Monte Young ou Frederic Rzewski, aussi bien Anthony Braxton que Steve Lacy ou Byard Lancaster. Avec Frédéric Rzewski et Alvin Curran, il intègre le groupe de musique électro-acoustique improvisée Musica Electronica Viva. En 1973, il enregistre “The Dream House” de La Monte Young, en 1974, “Attica” de Frederic Rzewski. En 1976, il intègre le Creative Music Orchestra d’Anthony Braxton. Il collabore aussi avec le danseur Merce Cunningham, déjà dans un esprit de décloisonnement. En 1981, à la demande d’Henri Pousseur qui a déjà accueilli les Séminaires de Jazz, il intègre le Conservatoire de Liège et dirige la Classe d’Improvisation, en remplacement d’Alan Silva, comme l’explique Michel Debrulle :
“Avec Pierre Vaiana, on prenait le train tous les lundis pour aller à Paris, à l’IACP (Institut For Artistic and Cultural Perception) d’Alan Silva. Nous sommes allés trouver Henri Pousseur pour lui proposer de faire venir Alan Silva à Liège. Il faut comprendre ce que cela représentait : le bassiste de Cecil Taylor engagé par le représentant de la musique dodécaphonique. On ouvrait les portes du temple. C’est le début de la Classe d’Improvisation. Un jour, on doit avoir un concert important dans la grande salle du Conservatoire et Alan Silva ne vient pas : Cecil Taylor l’a appelé. Il plante Henri Pousseur qui va alors engager Garrett List.”
Garrett List ne se fait pas prier pour gagner Liège :
“Je n’allais pas dire non, dans la situation dans laquelle j’étais, j’avais 37 ans, j’avais bouffé de la vache maigre, et voilà qu’on me proposait un poste fixe, et, en plus, on me donnait carte blanche, je pouvais faire ce que je voulais, je n’avais pas de manuel avec des socles de compétences, pas de cahier des charges. Personne ne donnait cours d’improvisation nulle part.” (Garrett List)
Garrett: une école liégeoise ?
“L’école de Liège pour moi, c’est le goût de l’aventure, c’est la constante. Il y a toujours eu des gens pour nourrir ce goût-là et les cours de Garrett, si ce n’est pas créer ce goût de l’aventure, c’est du moins l’entretenir et le faire progresser. Même s’il y a d’autres villes dynaiques, Liège, c’est ça, ça grouille continuellement.” (Fabrizio Cassol)
Garrett List a pour collègues Jean-Pierre Peuvion qui enseigne la musique de chambre et, plus tard, son ancien élève Michel Massot qui dirige la Classe de rock de chambre. Le conservatoire de Liège devient un bel exemple de politique de décloisonnement :
“Le Conservatoire de Liège est un exemple formidable de volonté de décloisonnement, notamment depuis Henri Pousseur, avec la possibilité de recevoir un enseignement rigoureux, alliant technique et esprit d’ouverture, avec des professeurs extraordinaires qui pratiquaient eux-mêmes la musique dans des ensembles prestigieux, des professeurs comme Garrett List ou Jean-Pierre Peuvion.” (Marine Horbaczewski)
Avec ses élèves, il crée de la musique pour films muets, comme Metropolis, il participe à la création de La Rose des Voix d’Henri Pousseur. Il garde toujours des attaches avec le free jazz : il enregistre Driebergen Zeit avec Willem Breuker, Extension Red, White and Blue avec Misha Mengelberg. Avec l’orchestre de l’ICP (Instant Composer Pool), il participe aussi au projet Two Programs : Thelonious Monk et Herbie Nichols. Il crée le Real Live Orchestra et le concept Music for Trees. Avec ses premiers élèves, Michel Debrulle, Michel Massot, Fabrizio Cassol, Pierre Bernard, Marc Frankinet, il intègre La Grande Formation qui associe musiciens de jazz et chanteuses lyriques :
“La Grande Formation s’inscrit un peu dans la lignée de Synonymes avec une ouverture vers la musique contemporaine, notamment grâce à l’apport des chanteuses issues du classique. Les voix étaient là pour apporter une couleur: la voix était utilisée comme un instrument.” (Michel Massot)
En 1994, Garrett crée le Garrett List Ensemble, avec Pierre Bernard, Rhonny Ventat, Marc Frankinet, Kris Defoort et un quatuor à cordes. Il enregistre “The Unbearably Light” et “The Voyage”. En 1997, il compose la musique de la pièce “Rwanda ’94” de Jacques Delcuvellerie, un projet qui aura un succès international. En 2000, il enregistre “Cils” avec Pirly Zurstrassen et la chanteuse suisse Christine Schaller. En 2006, il fonde The Rifting Society et, en 2010, l’Orchestre Vivo! : une vingtaine de musiciens, parmi lesquels Jean-François Foliez, Johan Dupond ou Marine Horbaczewski pour un répertoire original écrit par les membres de l’orchestre. L’Orchestre enregistre un album en 2014 pour le label Igloo. Il propose “The American Songbook”, avec Steve Houben et Johan Dupond. En mai 2019, il fait une de ses dernières apparitions lors d’un concert avec l’Orchestre du Lion réuni par Michel Debrulle. Il reprend alors Anyone Lived In A Pretty How Town, titre phare du premier album de La Grande Formation.
Repères discographiques
Garrett List, “The New York Takes” (Carbon 7) : un album qui réunit trois sessions. La première d’octobre 1977 réunit, autour de Garrett (trombone et voix), la chanteuse Eugenia Sherman, Keshavan Maslak (saxophones ténor, alto), Mel Graves (basse) et Sadiq Abdu Shahid (batterie). La deuxième de septembre 1978 réunit, outre Eugenia Sherman, Byard Lancaster (flûte, saxophone alto), Youssef Yancy (trompette, theremin) et Ronald Shannon Jackson. Ces enregistrements sont remixés en 1999 par Christine Verschorren, ce qui explique que la dernière plage, Elegy To The People Of Chile, est gravée par un groupe proche du Garrett List Ensemble, avec cordes, flûte, clarinette et piano de Fabian Fiorini. Parmi les compositions, le très beau Fly Hollywood avec Garrett au chant mais aussi Doo Dah qui relève du plus pur free jazz.
“La Grande Formation” (Igloo, 1991) : dix musiciens, soit Pierre Bernard (flûte), Fabrizio Cassol (saxophone alto), Marc Frankinet (trompette), Vincent Jacquemin (clarinette), Garrett List (trombone, voix), Antoine Prawerman (clarinette), Michel Massot (trombone, tuba), Pierre Van Dormael (guitare), Michel Marissiaux (basse) et Michel Debrulle (batterie) mais aussi deux chanteuses, Marianne Pousseur et Lucy Grauman. Des compositions signées Fabrizio Cassol (dont l’impressionnante Lettre ouverte à Charlie Mingus), Antoine Prawerman (Chanson pour Christine) et deux grands “classiques” de Garrett : Anyone Lived In A Pretty How Town sur un texte de E.E. Cummings et Emily sur un poème d’Emily Dickinson.” Une grande formation parmi les plus intéressantes de la scène actuelle“ (JazzMagazine, Paris)
Garrett List, “The Unbearably Light” (WorldCitizens Records, 1995) : The Garrett List Ensemble, soit un quatuor à cordes, avec Cécile Broché (violon), Pierre Bernard (flûte), Vincent Jacquemin (clarinette), Rhonny Ventat (saxophone alto), Kris Defoort (piano) et Garrett (trombone et voix). Retour à Fly Hollywood et son rythme charmeur, The Poplar Tree de Music for Trees, Apollo’s Tango ou The Canyon Song.
Garrett List, “The Voyage” (Carbon 7, 1998): autre album du Garrett List Ensemble, les mêmes avec Benoît Vanderstraeten à la basse électrique). Des compositions originales: The Cypress Tree, The heart is the capital of the mind (un autre “classique”), The Magnolia at midnight, Crazy Love ou Your own self. Un “voyage” entre musique de chambre, musique contemporaine et jazz.
“Orchestra Vivo!“(Igloo, 2010): une vingtaine de musiciens et voix, chacun a collaboré à l’écriture des thèmes. Garrett reprend The Heart, mais aussi Military Intelligence et Time Piece, en citoyen du monde.
Claude Loxhay
Photos de Robert Hansenne