Pépites #68, Around Jazz

Pépites #68, Around Jazz

Around jazz, quelques pépites…

C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus.

Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.

Sonar with David Torn,

Tranceportation (Volume 1)

RARE NOISE RECORDS

« Tranceportation – Volume 1 » (nous vous expliquerons…) est le cinquième album studio du quartet suisse Sonar. Il fait suite à « Vortex » qui était le fruit d’une véritable collaboration (4+1), le « 1 » en question se trouvant être le guitariste de l’Everyman Band, David Torn. A l’époque, le musicien américain se trouvait en studio (en principe) en qualité de producteur de ce cédé. A l’écoute de ce qu’il entendait, il ne put néanmoins réprimer son enthousiasme. Son envie d’empoigner sa guitare (qui traînait dans un coin un peu par hasard…) pour accompagner le quartet de plus près l’emporta. Avec ce « Tranceportation – Volume 1 » (si si, attendez un peu, nous y reviendrons…) les lignes ont un (tout petit) peu bougé. Pas nécessairement au niveau du son et de l’atmosphère planante qui se dégagent toujours de la musique du quintet. La section rythmique entêtante soutient aussi efficacement les entrelacs des guitaristes. Ce qui a un peu changé, c’est que le leader, Stephan Thelen, a composé les structures des quatre titres du volume 1 (attendez!!!) en fonction de la présence attendue de David Torn, auquel on a spécifiquement offert de vastes espaces d’expression. Avec, pour conséquence, une musique plus hypnotique encore… La séance d’enregistrement a duré cinq jours en tout, ce qui a permis de mettre en boîte quatre-vingts minutes de bandes exploitables… dont la première partie constitue ce « Volume 1 » (ben voilà…). La seconde publication est attendue pour la fin du printemps. Et ça, c’est plutôt réjouissant !

 

Oded Tzur,

Here Be Dragons

ECM RECORDS

Pour en arriver à cette qualité et cette spécificité du jeu, Oded Tzur a voyagé et s’est imprégné de celui des musiciens croisés en route. Il a voyagé beaucoup. De Tel-Aviv, où il a grandi à Rotterdam, où il a étudié la musique, jusqu’à New York enfin, où il a formé son premier quartet. Mais c’est bien aux Pays-Bas qu’une rencontre a bouleversé sa façon de jouer du saxophone… Celle du flûtiste Hariprasad Chaurasia qui l’initie à la musique classique indienne pour laquelle Oded Tzur adaptera sa technique, basée à présent sur la microtonalité. Un quartet donc, avec lequel il enregistrera d’abord deux albums pour le compte du label Yellowbird (“Like a Great River” en 2015 et “Translator’s Note” en 2017) avant d’en modifier sérieusement le line up. Exit en effet le batteur Ziv Ravitz ainsi que le pianiste Shai Maestro, remplacés respectivement par Johnathan Blake et un autre musicien de la bouillonnante scène israélienne, l’impressionnant Nitai Hershkovits. Voici venir les « Dragons », son premier album enregistré sous l’aile protectrice de Manfred Eicher qui se loupe rarement quand il s’agit de débusquer des talents… Fluide, aérien (on ne se trouve pas dans l’écurie ECM par hasard…), ce « Here Be Dragons » cache derrière ses allures nonchalantes de véritables trésors mélodiques que l’on attribuera aussi bien au jeu parcimonieux du leader qu’aux interventions d’un Nitai Hershkovits en état de grâce !

A savourer sans modération le dimanche 23 février au KAAP, à Ostende.

Anu Sun,

Sanguine Regum

ROPEADOPE

Ce n’est pas forcément parce que votre nom n’apparaît pas en lettres d’or sur les pochettes des stars que vous êtes un inactif. Prenez (au hasard) le cas de Anu Sun, « Anu The Giant » comme le surnomment affectueusement ses amis, en raison de la forte corpulence qu’il affiche… Ce garçon a produit, arrangé et enregistré tant de monde, de Robert Glasper (très présent ici) à Laura Mvula, qu’il est devenu un pilier incontournable de la scène musicale new-yorkaise. Au point d’ailleurs d’en négliger sa propre carrière de compositeur. Dans l’ombre ! Lui, pourtant, qui est né en pleine lumière… Un parrain star du jazz (Lionel Hampton) et une tante starlette de la mode (le mannequin Maria McDonald). Il était temps pour et selon lui qu’il se fasse entendre. Pas seulement pour faire du bruit, jouer de belles mélodies ou nous faire danser. Mais surtout parce qu’il a des choses à nous dire. Les « chansons » de Anu Sun s’écoutent le poing levé et vengeur. Les thèmes tournent autour des conditions de vie des personnes de couleur dans la grande patrie de Trump… Comme cet hommage rendu au footballeur Colin Kaepernick, qui s’était agenouillé face à la foule durant la diffusion du Star-Spangled Banner. Quoi de mieux qu’une fusion des genres pour véhiculer ce message ? Le hip-hop, le rock, la R&B et bien sûr le jazz s’entrechoquent sur ce « Sanguine Regum » (le sang des rois…) comme à la belle époque des Public Enemy. L’objectif est précis, les moyens pour les atteindre ne manquent pas. Doté d’un carnet d’adresses aux pages saturées, Anu Sun vous convaincra qu’en effet, son heure est arrivée. Puisse-t-il être entendu !

Joseph « YT » Boulier