Leahy- Wachsmann, Translated Space
David Leahy – Philip Wachsmann,
Translated Space
Un album signé Philipp Wachsmann est toujours un enregistrement à considérer de près, à écouter soigneusement, à réécouter, à méditer, à conserver et à remettre sur la platine. Depuis de nombreuses années- décennies, il a cultivé l’art du duo et du trio avec un nombre important d’improvisateurs triés sur le volet : Paul Rutherford, Barry Guy, Fred Van Hove, Marcio Mattos, Teppo Hauta-Aho, Evan Parker, Howard Riley, John Russell, Phil Minton, Martin Blume, Matt Hutchinson. Son art très personnel se distingue complètement de celui des autres violonistes improvisateurs, évitant soigneusement la transe virtuosiste et les effets d’archet et de manche ou la logique implacable issue de la pratique du classique contemporain. Philipp Wachsmann n’a pas son pareil pour gauchir une ligne mélodique, pour rendre incontournable le rebondissement impromptu du bois de son archet sur une corde, faire varier un canevas simplissime d’un micron, frêle détail qui s’impose comme la huitième merveille ou de faire surgir de très brefs et curieux clusters, véritables micro-compositions. Schönberg a du sûrement rêver d’un tel violoniste. Avec le contrebassiste Néo-Zélandais David Leahy, il a trouvé un alter-ego en empathie complète qui puise à pleine main dans les ressources sonores de la contrebasse. Un duo de cordes et quel duo ! Tous deux ont un parcours avec la danse et les danseuses/ danseurs. Depuis l’extraordinaire album “Balance” (Incus 11) où une danseuse apparaissait au verso de la pochette, Phil Wachsmann a travaillé intensément avec des danseuses, créant des correspondances gestuelles – visuelles entre les deux pratiques. Danseur improvisateur émérite, David Leahy a développé l’improvisation simultanée en dansant avec sa contrebasse étendant/unissant ainsi le mouvement de la musique vivante au travers de l’expression de son corps et de ses membres…David a construit un trio de cordes intéressant avec le violiste Benedict Taylor et la violoniste Alison Blunt. Ce qui veut dire beaucoup. Mais surtout ces deux improvisateurs ont en commun l’art d’inventer simultanément leurs propres musiques en collaboration instantanée, auditive, se complétant, s’échappant, se répondant, s’unissant… L’action des doigts et de l’archet, les intensités, les timbres, les vibrations, les mélodies se cabrent, se chevauchent, s’écartent, s’enroulent… les deux comparses empruntent des voies éloignées l’un explorant les surfaces de la contrebasse, la touche et le chevalet col legno, l’autre s’élevant dans l’espace de jeu dans des intervalles et des harmonies imaginaires connues de lui seul. Ils s’écoutent profondément sans se l’avouer en évitant ces signaux trop évidents et finalement muets. “Translated Space” : on peut traduire leur langage personnel et le faire coïncider l’un à l’autre en faisant travailler notre imagination, notre créativité d’auditeur. Des traces indélébiles de leur entente s’évanouissent hors de portée, suspendues dans l’air, inventant une communication intelligible pour ceux qui ont la puissance d’écouter, de sentir, de réfléchir.
Jean-Michel Van Schouwburg