Pépites #75, Around Jazz
Around jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus.
Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Vincent Delerm,
Panorama
On les entend déjà, les grincheux ! « Delerm dans votre magazine de jazz ?! Une plaisanterie ? ». Oui, d’accord, mais Delerm à l’affiche (et en haut même…) du prochain Mithra Jazz à Liège. Ca, ils ne peuvent plus l’ignorer. Ce qui nous ramène à cette belle soirée de l’édition 2018. C’est Camille, la chanteuse parisienne, qui enfile le rôle que l’on propose aujourd’hui à Vincent Delerm. Et elle a beaucoup d’humour (et de talent) cette jeune femme ! Quelques minutes avant le début du spectacle, elle apparaît seule devant le rideau encore baissé. Puis, de fort belle manière, elle entame a cappella le « Summertime » de Gershwin. Enfin, elle s’adresse au public : « voilà, je vous ai chanté du jazz », avant de s’éclipser sous les vivats. Elle reviendra cinq minutes plus tard pour nous proposer un « vrai » concert de Camille, tout comme Selah Sue l’avait fait la veille… Et comme, sans doute, Vincent Delerm le fera dans deux mois. Dans ce cas précis, ce ne sont pas les musiques que l’on fusionne, mais bien les publics. L’idée, très noble sans aucun doute, est d’attirer vers le jazz un public peu initié, en le faisant transiter par un chemin où il se sent beaucoup plus à son aise. Ce pari serait sans doute gagné si, en fin de soirée, le spectateur quittait le Forum et se rendait au Reflektor (par exemple) pour y découvrir des groupes franchement étiquetés « jazz »… Pas gagné, d’autant plus que son ticket ne lui permet pas d’accéder gratuitement au Reflektor (sauf évidemment s’il dispose d’un « pass premium »)… A méditer ! Personnellement, je ne reproche rien à Delerm qui, avec ce nouvel album, nous propose ce qu’il fait de mieux, … du Delerm ! Des petites cartes postales et sentimentales qu’il nous écrit sur le ton de la confidentialité. Il n’a pas perdu non plus (ou à peine) son éternelle obsession pour le « name-dropping », cette manie de citer des noms comme on jetterait du pain aux pigeons… Cette fois, ce sont Agnès Varda, Branduardi, Raymond Carver, Truffaut et tant d’autres qui apparaissent au générique. Des inventaires qu’il nous murmure de façon quasi monocorde… Il est vrai (et il l’a fait) que notre homme est capable de vous détailler la carte d’un restaurant vietnamien sur un ton dramatique (« Evreux », un extrait de l’album « Kensington Square »). Tout cet univers qui lui est propre – car il faut reconnaître son originalité – on le retrouve ici, dans ce lent « Panorama » dont il a cédé la réalisation à dix sensibilités différentes, de Rufus Wainwright, à Yael Naim, en passant par les surprenants Girls in Hawaii. Les grincheux restent-ils des grincheux ? Peut-être. Mais à défaut de faire un crochet au Forum ce 14 mai, qu’ils consacrent un peu de leur précieux temps à écouter ce disque qui nous propose dix beaux scénarios de poche. Vincent Delerm aurait également dû nous présenter son spectacle au Cirque Royal de Bruxelles, le 2 avril (fichu virus…). Son film « Je ne sais pas si c’est tout le monde » est en principe projeté dans les villes qui accueillent sa tournée.
Kilter,
Axiom
Des cris qui auraient pu s’enfuir du ventre de Diamanda Galás… Quelques saturations. Des hurlements que l’on rencontre habituellement dans le métal extrême. Un solo de guitare (un seul…) que l’on aurait pu attribuer à Eddie Van Halen. Le choix du lettrage et le design de la pochette… Mais que vient donc faire ce disque pour fans de hard dans les « pépites » ? Minute… ! Si certains codes (clichés?) appartiennent en effet à un univers qui nous est très lointain, force est de constater que le trio Kilter nous épate avec d’autres arguments que sa force de frappe. Trois musiciens ancrés à New York et qui se sont magnifiquement adaptés à la vie culturelle locale. Pour les avoir vus sur une scène, on vous confirme que ces trois-là disposent du talent requis. Pour inventaire : Ed Rosenberg III (saxophones basse et ténor), Kenny Grohowski (aux fûts, quelle maîtrise!) et Laurent David (basse, que l’on connaît déjà pour ses prestations auprès de David Linx et de Stéphane Galland ou au sein de la formation M&T@L). On pense forcément à la puissance du Painkiller de John Zorn (remercié sur la pochette pour l’inspiration…) ou justement au trio M&T@L, puisqu’ils utilisent une structure quasiment identique. Au-delà des apparences et des codes connus, Kilter dispose d’une force de persuasion terriblement efficace. Laissez-vous prendre au jeu… Port du casque requis.
Marie Mifsud,
Récif
Il y a eu l’apprentissage du piano, version « classique ». Et les cours de chant lyrique suivis au Conservatoire. Puis il y a eu le théâtre, une discipline que Marie Mifsud a pratiqué avec passion. Enfin arrive ce disque de jazz, « Récif », sur lequel viennent s’échouer ces différentes sources d’inspiration. Sans jamais perdre ni sa spontanéité, ni sa virtuosité de chanteuse soprano, la jeune femme recourt aux multiples facettes de sa personnalité pour ensorceler son auditoire : exubérance, fantaisie, séduction, … De Boris Vian à Georges Ulmer (qu’elle reprend ici), ils ont été nombreux, ceux qui ont jeté des ponts entre la chanson française réaliste et le swing… Bien souvent avec talent, ce qui est indéniablement le cas de cette chanteuse parisienne.
Joseph « YT » Boulier