Gearbox Records : épicerie fine
Imaginez cette scène : vous terminez le repas que vous venez de déguster dans votre restaurant préféré. Votre Cognac achevé, vous ne vous dirigez pas de suite vers la sortie… Non, vous prenez une tangente vers une porte qui mène à une arrière-boutique… Dans cet endroit, il vous est possible d’acheter toutes les merveilles que vous veniez juste d’apprécier. On vous fournit même le mode d’emploi si c’est nécessaire. La maison Gearbox ressemble un peu à cela, côté musique plutôt que côté cuisine. Une maison honorable qui sacrifie son existence à sa passion et qui voue à Épicure l’admiration qu’il mérite.
Les amoureux du bel objet (pochettes travaillées) et du beau son (éditions en vinyle soignées) trouveront leur bonheur ici. Mais aussi le matériel nécessaire pour une écoute optimale (platines au design approprié). Depuis une dizaine d’années, ce label indépendant publie des archives inédites du jazz, mais aussi des musiques nettement plus actuelles, y compris l’electro-jazz ou le jazz alternatif. Poussant l’honnêteté jusque dans ses derniers retranchements, Gearbox reverse 20 % de certaines ventes aux structures indépendantes que vous pouvez vous-même désigner. Ce qui vous donne un petit rôle de mécène pour les belles découvertes. Mais venons-en à ce qui nous préoccupe plus particulièrement : la musique… Avec une séance de rattrapage du temps perdu.
Dwight Trible
Mothership
Gearbox Records
Nous avions quitté Dwight Trible sur une très belle note, « Inspirations » (Gondwana, 2017), arrangée il est vrai par un orfèvre en la matière, le trompettiste mancunien Matthew Halsall. Nous retrouvons le chanteur californien deux ans plus tard, avec un répertoire très différent. « Inspirations » regroupait huit ballades nocturnes empruntées au répertoire classique du jazz (Cole Porter, Nina Simone, Coltrane, Burt Bacharach, …), tandis que ce bien nommé « Mothership » est nettement plus personnel. Cet album comprend en effet une série de chansons spirituelles dédiées à l’amour familial en général et à l’amour maternel en particulier. Un répertoire qui forcément se prête magnifiquement bien à la voix si particulière et au lyrisme compassionnel que maîtrise parfaitement Dwight Trible. Un chant possédé, sans égal, qui ferait même passer au second plan les solos d’un Kamasi Washington pourtant bien inspiré.
Theon Cross
Fyah
Gearbox Records
Lorsqu’à adolescence il opte pour le tuba, Theon Cross ne choisit pas l’instrument le plus facile qui soit pour combler ses envies de devenir musicien. Le tuba n’est à priori pas le plus sexy des cuivres. Que ce soit pour faire du rock… ou du jazz! Ce qui ne l’a pas empêché de faire partie des musiciens les plus influents de la nouvelle génération londonienne. Au même titre qu’un Shabaka Hutchings (absent ici) avec lequel il partage la destinée des délirants Sons of Kemet. Celui qui a eu la chance d’assister à un concert du quartet (à deux batteurs) sait quelle énergie Theon Cross peut décharger sur une scène ! Un Theon Cross que l’on retrouve ici seul à la manœuvre. Du moins en ce qui concerne les compositions, car d’un autre côté, il est magnifiquement entouré par le fleuron de cette fameuse nouvelle scène. Aux drums : le producteur acclamé Moses Boyd. Pour se relayer au ténor, deux autres musiciens essentiels du nouveau jazz anglais : Nubya Garcia et Wayne Francis. Viennent s’ajouter épisodiquement à cette dream team le guitariste Artie Zaitz, le percussionniste Tim Doyle et Nathaniel Cross (trombone). Peu de mid-tempos, vous l’aurez deviné. Chaque titre de ce « Fyah » étincelant s’envole vers les contrées caribéennes ou vers un dub-jazz entraînant. Avec ce premier effort bien soutenu, Theon Cross apporte une dynamique supplémentaire au jazz londonien qui élargit encore un peu plus sa zone d’influence.
Yves «JB» Tassin