Chicago a le blues… (part two)
Voici la suite du reportage réalisé par Lola Reynaerts (première partie ici, troisième partie ici). Un retour éclairé et éclairant sur l’édition 2019 du plus grand festival de blues mondial… Le deuxième jour, comme si vous y étiez !
C’est sous un soleil de plomb et avec quelques cernes en plus que j’entame cette deuxième journée de Festival. Une journée colorée, riche en diversité, multiculturelle. Nationalités ou couleurs, les mots et les notes se confondent tel un festin musical à partager. Je me demandais parfois si cette musique pouvait encore intéresser les jeunes et plus particulièrement les jeunes noirs. J’entendais de ci de là parler du déclin du Blues auprès de ces jeunes générations. Et puis, dans le fond, pourquoi pas ? La musique évolue, les rythmes et les sons sont bien différents, mais souvent le sens, les mots, les histoires que le rap ou d’autres formes musicales nous racontent, ne diffèrent pas beaucoup des terribles conditions de vie que les artistes exprimaient dans les Juke Joint de l’époque. Et puis des jeunes, ici, il y en a encore beaucoup, et de toutes les couleurs… Certains écoutent religieusement, les yeux fermés presque sans bouger, comme emportés par des images intérieures et des paysages infinis, d’autres se lèvent et dansent. Chaque accord de guitare, chaque mot, chaque note traversent leur peau. Tentée moi aussi, je me suis laissée aller, j’ai dansé avec eux…du bonheur.
Encore un peu dans les nuages je me dirige vers la Budweiser Crossroad Stage où l’étoile montante de Chicago, Melody Angel se produit. Melody Angel, chanteuse / guitariste est accompagnée sur scène au tambourin par sa maman. Enfant déjà, elle rêvait de se produire au Festival de Chicago, d’affronter la scène et son public. C’est maintenant chose faite, une première d’une longue série. Deux albums à son actif. Le plus récent «Angel & Melody» est intense, intime et sensuel. Personnel aussi avec une indéfinissable touche de ses idoles, Prince et parfois aussi de Jimi Hendrix à qui elle rend un hommage tout en finesse.
Sur la même scène, Marquise Knox est le prochain artiste à se produire. Bien que je l’aie rencontré à Saint-Louis dans son club «Blues and Jazz Soup». Je ne l’avais encore jamais vu sur scène. Vingt-huit ans, fan de B.B.King, dont il a déjà partagé la scène, Marquise Knox, à l’égal de son idole, jouit d’une présence et d’une prestance sur scène toute particulière et exceptionnelle. Subjuguée par cette découverte je me réjouis déjà de le retrouver lors d’une probable et espérée tournée Européenne.
Malgré tout, le Blues du Delta du Mississippi me manque et je sens, impatiente que je suis, qu’il va m’en falloir une dose, une sacrée dose. Avec James «Super Chikan» Johnson par exemple. Les images de Clarksdale, ces ambiances particulières, presque des retrouvailles, pourtant il n’y a pas si longtemps j’y étais encore. Les hommes du Mississippi ont la réputation de bien s’entourer, quatre musiciennes l’accompagnent, Heather Tackett-Falduto à la basse, Rachel Coba à la guitare, Jamiesa «Pinkey» Turner à la batterie et Lala Craig au claviers. Elle adore quand je l’appelle la «Keyboard Killeuse» : j’ai rarement vu quelqu’un jouer du clavier avec autant d’ardeur et d’énergie, un spectacle à elle toute seule, il faut parfois la forte présence de notre Super Chikan pour ramener l’attention du public vers lui, mais ça aussi ça fait partie du spectacle.
James Super Chikan Johnson © Lola Reynaerts
Aussi connu pour ses guitares artisanales appelées «Chikantars», Super Chikan offre à son public lors de ses concerts un cri particulier, son fameux cri du poulet qui fait déjà écho dans le chapiteau. Pour tout vous dire, il attire aussi nombre de touristes et de fans à Clarksdale par ses créations. Outre ses guitares il y a aussi ses Cigares box, Diddley bow et jerrycan qu’il recouvre de quelques pièces du Delta qui lui sont chères. Je lâche mon appareil photo et je me laisse aller, je m’emporte, vers cet univers si particulier du Delta. Une reprise de Jimmy Reed pour finalement terminer par son «SippiSeeKansas» (Mississippi, Tennessee, et Arkansas). Trois états bordant le Mississippi en un.
Retour vers la Budweiser Stage… Habitué des scènes de Chicago, Rico McFarland est une découverte pour moi, dans le pur style Chicago blues. Rico distille une musique inspirée. Du haut de mes vingt-sept printemps, J’imagine bien encore des choses à apprendre, des voix à découvrir et celle-ci est un cadeau d’autant plus, qu’invité sur scène, Wayne Baker Brooks, le plus jeune fils de Lonnie Brooks enrobe le tout de solos de guitares endiablés.
Rico McFarland © Lola Reynaerts
C’est peut-être le mot «impatience» qui symbolise le mieux ma journée, il me pressait de le voir et Carl Weatherby monte sur scène, soutenu par une canne. Ce vétéran de la guerre du Vietnam, toujours flamboyant, cravache violemment les cordes de sa guitare. Sa reprise de «Are You Serious» de Tyrone Davis que j’entonne de toutes mes tripes avec lui achève ce set.
Autre registre sur la Front Porch Stage avec Dom Flemons, un multi-instrumentiste, amoureux des racines du blues et de l’histoire afro-américaine. Il nous présente son album «Black Cowboy», un album consacré à la musique, à la culture et à cette histoire complexe du «Wild West». Pendant 60 minutes, il nous emmène avec lui dans ce vieux siècle où des milliers de pionniers afro-américains ont participé à la construction des États-Unis. Avec un a-capela sur «Black Woman» qui nous laisse sans voix, une remontée dans le temps lors d’une interprétation d’une chanson de Tampa Red.
Son dernier album «Black Cowboy» fera partie de la septantaine de CD déjà achetés. La valise sera lourde.
Latimore, ce crooner de la Soul & R&B débute les festivités du Jay Pritzker Pavillon. Avec un humour qui lui est propre il interprète une chanson pour les femmes «Plus size» qu’il aime tant. Certaines d’entre elles dansent avec tant de fierté que l’émotion gagne la plupart d’entre nous. «Let’s staighten it out» numéro un des charts R&B en 1974 fait fureur auprès du public ainsi qu’auprès de mes voisins photographes qui lâchent leur appareil photo pour se dandiner. Un photographe ne danse pas il se dandine !
Dom Flemons © Lola Reynaerts
Bettye LaVette © Lola Reynaerts
Ensuite, c’est avec un large sourire et une énergie redoutable que Don Bryant, qui a débuté dans le gospel 70 ans auparavant, arrive sur scène. Un bel hommage à Otis Clay qui en a ému plus d’un. Il termine avec «I Can’t Stand in the Rain», une chanson écrite pour sa femme qui n’est autre que la célèbre chanteuse de Soul et R&B Ann Peebles, avec qui il est marié depuis de nombreuses années et pour qui il a écrit des dizaines de chansons. Je n’avais pas envie que ce concert se termine, du haut de ses 77ans il dégage une énergie «du feu de dieu» contagieuse.
La dernière à arriver sur scène sur ses hauts talons est Bettye LaVette, chanteuse soul aux habits blancs éclatants. Elle a tourné à l’âge de 16 ans avec Ben E. King et Otis Redding, et nous chante avec grâce les hits de son jeune temps ainsi que des titres de son nouvel album «Things Have Changed», nominé comme meilleur «Americana Album».
Je quitte plus tôt que prévu son concert qui ne m’a pas touchée pour terminer la journée en beauté avec 10 minutes de Lurrie Bell. Encore une journée riche en découvertes musicales et humaines.
La troisième (et dernière) partie de ce reportage sera publiée ce vendredi 4 septembre
Lola Reynaerts