Tim Garland : Refocus
En 1961, Stan Getz enregistrait un de ses albums les plus marquants dans sa très longue discographie : une suite pour cordes composée et arrangée par Eddie Sauter, sur une commande du saxophoniste. Quatre violons et un alto plus un violoncelle forment la section de cordes sur laquelle Getz laissera libre cours à son inspiration. Un album souvent cité aujourd’hui parmi les cent références indispensables du jazz. Près de soixante années plus tard, le saxophoniste anglais Tim Garland revient sur cet album avec son « Refocus » enregistré dans les studios d’Abbey Road à Londres. Une démarche qu’avait déjà réalisée il y a trois ans le saxophoniste français Sylvain Rifflet avec aussi « Re Focus » ( sur le label Verve, comme la galette originelle de Getz). Les deux démarches se tiennent même si les lectures sont différentes. Rifflet utilise une section de cordes plus étoffée, celle de l’ « Appassionato Orchestra » composée de neuf violons, trois altos, deux violoncelles et une contrebasse, Tim Garland se limitant à neuf cordes plus la harpe de Lauren Scott. Si, avec l’œuvre de Sylvain Rifflet, le travail s’est surtout centré sur les textures cordes-saxophone sans reprendre l’écriture de Sauter, Tim Garland ouvre l’album avec une reprise quasi note pour note du premier thème de l’album de Getz, « I’m Late, I’m Late », qui avait été inspiré à Sauter par le deuxième mouvement de « Musique pour cordes, percussion et celesta » de Bela Bartok. Le saxophoniste anglais reprend aussi des fragments de parties de sax improvisées par Stan Getz comme point de référence à chaque pièce de l’album, une démarche qu’il explique en détails dans le livret quasi indispensable pour une écoute avisée, Garland mettant en parallèle les titres de l’album d’origine avec les siens, seul le dernier titre « Jezeppi » se détachant du répertoire comme étant un hommage à son fils. Dans la lecture de Garland, la place laissée à ses accompagnateurs est prépondérante et inspirée, avec Yuri Goloubev à la contrebasse et Asaf Sirkis à la batterie. L’album prenant résolument une teinte plus jazz que dans la version de Sylvain Rifflet. On sent chez Tim Garland l’influence de Joe Henderson mais aussi de sa participation à plusieurs projets aux côtés de Chick Corea, avec des accents parfois plus fusion. Curiosité de cet enregistrement : Tim Garland a enregistré ses parties de sax deux ans après l’enregistrement des cordes et de la rythmique en studio. Seul dans sa maison, pendant cinq jours et face à son feu ouvert, histoire de remettre à sa place le rôle du saxophoniste après celui du compositeur. Le résultat est étonnant, plein de vie avec ses tranches d’envol énergique et ses moments subtilement mélancoliques. Parler d’hommage ne serait sans doute pas faux, mais le « ReFocus » de Tim Garland sonne plutôt comme une évolution d’un projet qui a pris des couleurs d’aujourd’hui. Une écoute passionnante qui, finalement, se suffit à elle-même.
Jean-Pierre Goffin