Lorenzo Di Maio, Mr. Guitar !
Lorenzo Di Maio
Lorenzo Di Maio est incontournable sur les scènes belges depuis plusieurs mois : avant le concert de John Scofield au Théâtre 140, il nous parle de son parcours. Après le concert, il donne ses impressions.
Bonjour Lorenzo, es-tu né dans une famille de musiciens ?
J’ai deux oncles qui sont musiciens et qui sont plus ou moins proches du jazz, l’un est trompettiste, Joe Scinta, qui a réalisé un hommage à Louis Armstrong, et l’autre est batteur, Santo Scinta qui joue aussi dans ce projet et accompagne Adamo et d’autres musiciens aussi. C’étaient mes deux premières influences, ils pratiquaient chez ma grand-mère et je les écoutais souvent de la pièce à côté. Ils m’ont éduqué musicalement, m’ont fait écouter des disques, ça a accéléré les choses, mais j’ai toujours voulu faire de la musique. J’ai commencé par la guitare classique à l’académie à Colfontaine. A l’académie de Baudour ensuite j’ai rencontré Fabrice Alleman et Paolo Loveri, c’est avec eux que j’ai réellement commencé à étudier le jazz.
Te souviens-tu du premier album qui t’ait attiré vers le jazz ?
Le premier disque de jazz qui m’ait fait flashé c’est un album de John Scofield, « A GoGo » avec Medeski- Martin-Wood. C’était très funky, c’était mon disque de chevet ; ensuite, il y a eu Pat Metheny. Je suis venu à la tradition en marche arrière, Wes Montgomery etc… que j’ai découverts grâce à Paolo et Fabrice.
Qui ont été tes professeurs de jazz ?
Je suis entré au Conservatoire de Bruxelles chez Paolo Radoni, malheureusement il est décédé pendant que j’y étais et j’ai poursuivi avec Fabian Degryse. Avec Paolo, on discutait beaucoup et c’est de cette manière que j’ai appris énormément avec lui, on parlait de certains disques, de l’approche des morceaux… ça m’aidait à voir les choses plus clairement et ça me donnait aussi la motivation pour travailler…
Beaucoup de professeurs reprochent à leurs élèves de s’en tenir aux cours et de ne pas aller à la rencontre d’autres musiciens ; je ne pense pas que ce soit ton cas ?
En effet, j’ai joué pas mal au K Café à Mons, un endroit qui n’existe plus maintenant ; tous les lundis, il y avait jam, j’y étais avec Jean-Pol Estiévenart ; ensuite à Bruxelles, je suis allé au « Sounds » et à l’ « Art-ô-Base », d’autres endroits encore…. On y allait en groupe de trois ou quatre, c’est toujours plus facile pour s’intégrer, on se retrouve avec des musiciens avec qui on n’aurait peut-être pas osé monter directement si on était seul.
Je te cite quelques guitaristes ; peux-tu me dire en quoi ils t’ont influencé ou non ?
Scofield : C’est son côté guitaristique du jazz qui m’ a interpellé ; encore aujourd’hui c’est un des rares qui a cette touche qui vient du blues, du rhythm’n blues, de la soul, et il parvient à garder ces éléments tout en développant des concepts harmoniques très avancés avec le toucher qu’il a, ça me touche beaucoup.
Metheny : Je me souviens du premier disque de lui que j’avais, « Imaginary Day », le Pat Metheny Group, une orchestration grandiose, qu’on ne trouve pas tellement dans la musique que je fais actuellement, mais c’est quelque chose qui force le respect, qui a du lyrisme… Après « Bright Side Life » son disque en trio, une pure merveille avec des compositions superbes…
Frisell : Par rapport au groove dans lequel j’évolue, la filiation n’est pas directe, mais c’est tout de même quelqu’un que j’écoute et que j’aime beaucoup ; j’aime les musiciens qui parviennent à imprimer quelque chose de très personnel dans leur musique, Frisell est un peu l’exemple parfait : qu’il joue ses morceaux, des sta ndards, du free, il a une identité musicale qui fait qu’on le reconnait immédiatement… C’est un peu vrai pour tous les grands musiciens.
Montgomery : C’est l’exemple du guitariste de jazz pour moi : il a le groove, tout le vocabulaire du jazz, le bon goût… Il avait l’art de jouer des phrases complexes harmoniquement sans que personne ne s’en rende compte, il rendait les difficultés lisibles et mélodiques.
Jim Hall : C’est un peu plus cérébral, même si la façon dont il joue est très touchante. J’aime surtout « The Bridge » qu’il a fait avec Sonny Rollins, l’art d’accompagner, c’est impressionnant.
Jimi Hendrix : Bizarrement, même si j’adore cette musique là, ce n’est pas quelqu’un que j’ai écouté beaucoup, je vais me faire tuer en disant ça !
Django Reinhardt : J’y suis venu plus tard, très récemment. C’est tellement limpide et plein de lyrisme.
René Thomas : Même si il est belge, je le classe dans la même catégorie que Raney, les boppers de l’époque, un grand musicien qui avait un bagage énorme.
Philip Catherine : Bien sûr, j’ai quelques disques comme « Blue Prince », le dernier que j’aime beaucoup où mon pote Antoine Pierre joue la batterie. Le disque est très réussi… J’espère que ça arrivera un jour que je puisse jouer avec lui…
Et les autres influences ?
Chet Baker m’a influencé aussi pour le lyrisme, le côté mélodique, j’aime aussi des bassistes comme Marc Johnson, Charlie Haden…. Johnson c’est surtout à cause de son groupe avec Frisell et Scofield « Bass Desire », il y a Miles, Coltrane,…tous les grands en fait.
Tu t’investis dans beaucoup de projets depuis un an environ.
Depuis quelques mois, les choses se passent bien pour moi, tout se met bien en place, j’ai beaucoup de chance finalement… Je sors de la tournée des Jazz Tour avec Sal La Rocca, c’est un groupe très plaisant, je m’amuse beaucoup avec lui, c’est une musique très ouverte avec des grooves actuels, il laisse beaucoup de liberté aux musiciens. Je joue aussi dans le groupe de Fabrice Alleman avec qui j’ai enregistré « Obviously ». J’ai enregistré aussi sur le nouveau projet de Chrystel Wauthier, la musique est plus dans le registre de chanson, dans un format plus condensé tout en restant proche du jazz. Au fur et à mesure des concerts, on prendra sans doute la liberté qu’on voudra. J’ai eu l’occasion de jouer avec Eric Legnini qui m’avait invité au « Festival d’Art » de Huy, j’ai un super souvenir de ce concert… Je joue aussi avec Elvin Galland, Daniel Romeo et Yves Baibay : on a joué au « Sounds » l’an passé, j’imagine qu’on va finir par enregistrer quelque chose. Sur le plan personnel, j’ai un projet avec Julien Tassin, un autre guitariste, on a déjà enregistré, ça doit encore être mixé et on doit trouver une maison de disques. C’est un quartet basse-batterie et deux guitares, une formule un peu « rock’n roll », une sorte de mélange entre Radiohead et Bill Frisell, beaucoup d’influences de musique nordique aussi et de Hendrix dans les riffs surtout. On a joué au « Sounds » où on a mis en place le répertoire et la direction du groupe ; Nicolas Fizman et Daniel Romeo sont souvent venus nous écouter et ont proposé de produire l’album, on a enregistré chez Daniel. Ce sont toutes des compositions de Julien et moi.
Un musicien de jazz peut vivre de ses concerts ?
C’est parfois un équilibre difficile, mais je dois dire que depuis un an, ça fonctionne bien pour moi, c’est possible. J’ai quelques heures de cours qui aident aussi, ce qui m’enrichit (artistiquement !) aussi car c’est gai de partager avec d’autres, je conçois l’enseignement de la musique comme un échange.
Après le concert de Scofield :
J’ai beau l’avoir vu pas mal de fois, Scofield arrive encore à me surprendre et c’est sans doute ça que j’aime le plus. Il prend énormément de risques et montre toujours autant de plaisir et d’enthousiasme à jouer. Au delà de ça, la musique du groupe est clairement à son service, c’est pratiquement le seul soliste ce qui n’enlève rien au talent des autres musiciens et notamment du 2ème guitariste qui est bluffant de maîtrise (loops, riffs, son,…) Je suis sorti du concert avec un grand sourire et plein d’énergie !
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin