Chevallier & Massot, de flamboyants pyromanes !

Chevallier & Massot, de flamboyants pyromanes !

David Chevallier et Michel Massot: de flamboyants Pyromanes.

David Chevallier, Pyromanes (Label Ouïe)
David ChevallierCesare Pavese, The Rest Is Silence (Label Ouïe)

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Michel Massot a participé à toutes les grandes aventures du jazz contemporain et de la musique improvisée en Belgique : Trio Bravo avec Fabrizio Cassol et Michel Debrulle, Trio Grande avec Laurent Dehors, La Grande Formation avec Garrett List, Marianne Pousseur et consorts, le K.D.’s Basement Party de Kris Defoort, Rêve d’Eléphant Orchestra et ses trois percussionnistes, Mäâk avec Laurent Blondiau ou le trio Massot-Florizoone-Horbaczewski. Mais il est aussi souvent sollicité par la scène contemporaine française : le premier Megaoctet d’Andy Emler (album “Headgames”), le groupe de Marc Ducret (“Qui parle?”), le double quartet de Christophe Monniot (“Vivaldi Universel Saison 5”) ou le tentet “Tous Dehors”, au sein duquel il a rencontré le guitariste David Chevallier.

MICHEL MASSOT

Aussi quand celui-ci décide de former le groupe des Pyromanes, pour le label Ouïe en 2003, il se tourne naturellement vers Michel Massot pour former un duo de cuivres détonnant entre le tuba de Michel et le trombone d’Yves Robert, qui avait déjà participé à ses deux premiers albums personnels, “Migration” en 1992 et “Music Is A Noisy Business” en 1998. Il invite également un autre ancien équipier de Tous Dehors, Denis Charolles, batteur iconoclaste qui, avec un sens étonnant de l’inventivité, mêle xylophone, couteaux et autres objets insolites aux sonorités colorées de sa batterie et de ses cymbales ébréchées. Enfin, sur deux plages de l’album, le saxophoniste Christophe Monniot rejoint le quartet de base. Au répertoire de l’album, deux compositions-improvisations collectives (Solo un sogno, Un solo sogno), six compositions de David Chevallier et trois de Michel Massot (dont Les Folies de Cécile, lumineuse mélodie présente, en 2001, sur l’album “Racines du ciel” du Rêve d’Eléphant Orchestra mais “bousculée”, ici, par l’arrangement très personnel de David). Subtil mélange entre fulgurances électriques de la guitare, mélodies sautillantes et déchaînements free, on est très proche de l’esthétique envoûtante de Rêve d’Eléphant Orchestra, pas seulement avec Les Folies de Cécile mais aussi, par exemple, avec le trépidant Danse à Beurss de David qui ouvre l’album. Le leader voltige entre guitare électrique aux multiples effets de distorsions (Les Folies de Cécile, Una cosa facile, Scarabée, Stéréotypes solitaires), guitare acoustique très soft (Paris-Chartres de Massot ou Nitescence) et banjo décalé sur fond de percussions insolites avec couteaux, xylophone ou cordes de guitares désaccordées (Les chats et le soleil). La complicite entre Yves Robert et Michel Massot est constante, débouchant sur de belles associations entre trombone et euphonium alerte sur Paris-Chartres, Una cosa facile et Solo un sogno ou trombone et gros tuba vrombissant sur Danse à Beurss, Stéréotypes solitaires ou Les Folies de Cécile. Denis Charolles est constamment inventif, dépassant son rôle de batteur pour devenir un percussionniste improbable mêlant sonnette et xylo sur Stéréotypes solitaires ou cowbells et derbouka sur Paris-Chartres. Enfin, Christophe Monniot fait d’incisives interventions au saxophone alto sur Stéréotypes solitaires et Nitescence. Bref, ces Pyromanes délivrent une musique qui vous met littéralement le feu.

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Le projet “The Rest Is Silence” de 2005 présente un autre aspect de la riche palette artistique de David Chevallier : son attrait pour la musique vocale et pour le mariage entre différents courants musicaux (jazz, musique baroque et contemporaine) comme dans son projet Gesualdo. Commande de l’Etat enregistrée au Conservatoire National de Rouen, “The Rest Is Silence” a été ressenti par le guitariste comme une “expérience fondatrice, tant sur le plan musical qu’humain” : “Il est des aventures musicales qui vous marquent et peuvent changer le cours des choses. Il en est ainsi de cette création. En réunissant autour de poésies de Pavese un orchestre improbable constitué d’improvisateurs aguerris, de spécialistes de musique de chambre et d’une chanteuse inclassable mais toujours pertinente, je n’imaginais pas à quel point ces individualités se fondraient et avec quel enthousiasme ellles se mettraient au service de ma musique“.

Pour cette audacieuse aventure musicale, David Chevallier a rassemblé la chanteuse Elise Caron, les membres de son quartet Pyromanes et l’Ensemble Octoplus, un ensemble de musique de chambre placé sous la direction de Sylvain Baudry (basson), autour d’une mise en musique originale de dix poèmes de Cesare Pavese, l’auteur italien de la première moitié du XXe siècle. Auteur du roman Il carcere (La prison) et d’un journal intime dans lequel il décrit le douloureux “métier de vivre”, Pavese a aussi exprimé la solitude du poète dans son recueil “Verrà la morte e avrà i tuoi occhi” (La mort viendra et elle aura tes yeux) dont David a mis en musique dix textes, entrecoupés de trois plages instrumentales, sur les thèmes de la nature, la vie, l’amour, la mort. Pour cela, il a fait appel à une chanteuse expérimentée. Issue des Conservatoires de Rouen et de Paris où elle a étudié l’art lyrique et la flûte, Elise Caron se sent aussi à l’aise dans l’univers du jazz (elle a fait partie de l’Orchestre National de Jazz de Denis Badault avec qui elle a enregistré les albums “A plus tard” en 1992 et “Monk Mingus Ellington” en 1993) que dans celui des musiques nouvelles (elle a notamment travaillé avec Luc Ferrari au sein du Groupe de recherche et d’improvisation musicale du Conservatoire de Paris). 

ELISE CARON

Elle a aussi parcouru de nombreux chemins de traverse que ce soit avec l’ensemble Archimusic de Jean-Rémy Guédon (“Sade Songs” en 2006), le chanteur John Geaves ou avec cet étonnant quartet réuni par Michael Riessler (clarinette, saxophone soprano), comprenant Jean-Louis Matinier à l’accordéon et Pierre Charial à l’orgue de Barbarie pour l’album “Orange” en 2000. La première plage (To C from C) et la dernière (Last Blues, To Be Read Someday) sont chantées en anglais, langue du jazz par excellence (Pavese a aussi traduit plusieurs auteurs anglais ou américains comme Dickens ou Steinbeck), les autres en italien (“la piu bella lingua nel mondo”) qui, par son extrême richesse vocalique, convient à merveille à l’art lyrique et à la riche tessiture vocale d’Elise Caron. David Chevallier a su, en outre, réaliser une parfaite osmose entre la voix ondoyante de sa chanteuse, son quartet de jazz d’improvisateurs expérimentés et la riche palette sonore de l’Ensemble Octoplus : quatre cordes (violon, alto, violoncelle et contrebasse), quatre bois (hautbois, clarinette, basson et flûte) et un cuivre (un cor), laissant à chacun un espace de soliste : intro vocale sur Sei la vita e la morte, guitare classique sur Passero per piazza di Spagna, tuba sur Verrà la morte, batterie sur Anche la notte, guitare électrique et trombone sur I mattini passano. Au niveau de l’orchestration, il opère de subtils mariages entre voix et guitare acoustique sur Sei la vita, entre pizzicato des cordes et euphonium sur Come erba viva, voix et basson sur Le spiraglio dell’alba, entre clarinette, flûte, hautbois et basson sur Verrà la morte, ne laissant apparaître la voix qu’après quatre minutes purement instrumentales. Tantôt très jazz, tantôt free quand les vocalises se mêlent au trombone et aux percussions sur l’instrumental Dopo la morte, la musique peut aussi prendre un air baroque avec Ancora cadrà la pioggia mais toujours avec la même impression de cohésion empathique. Une vraie réussite qu’il doit être passionnant aussi de découvrir en concert pour la richesse de l’ochestration. Bref, voilà deux albums à peu près introuvables chez nos disquaires ou nos médiathèques mais facilement disponibles auprès de l’association créée par David Chevallier, le SonArt (contact@lesonart.com) ou auprès du Label Ouïe (labelouïe@wanadoo.fr).
A bon entendeur…
Claude Loxhay