Ahmad Jamal, veni vidi vici !
Ahmad le Grand éblouit les Beaux-Arts.
On l’a vu à plusieurs reprises en Belgique que ce soit à Gand, au Théâtre 140 ou au Festival « Jazz à Liège », mais c’était la première fois qu’Ahmad Jamal foulait la scène de la grande salle des Beaux-Arts à Bruxelles, sold out pour l’occasion. Il faut dire que depuis l’hommage de Miles Davis, bien d’autres musiciens de jazz ont cité le pianiste comme une des influences majeures du jazz ; mi-janvier encore, lors de la remise des NEA(National Endowment For The Arts) au Lincoln Center de New-York, rien moins qu’Anthony Braxton et Keith Jarrett ont cité Ahmad Jamal dans leur discours. On attendait donc à Bruxelles un concert d’envergure et on n’a pas été déçus.
Après une première pièce destinée surtout à présenter ses partenaires qui chacun eut droit à une citation et à un solo qu’on qualifiera d’échauffement, Ahmad Jamal attaque « Saturday Morning », titre de son dernier album enregistré au studio « La Buissonne » à Pernes-les-Fontaines : Herlin Riley (drums) et Reginald Veal (contrebasse), voilà rien moins que la rythmique de Wynton Marsalis, sûr qu’au niveau technique on allait être gâtés ! Manolo Badrena, quant à lui, est un vieux partenaire du pianiste : rythmicien et coloriste, il allait donner sa touche très personnelle à l’ensemble du concert, passant avec une nonchalance feinte des congas aux clochettes, du tambourin au sifflet, ponctuant ses effets de quelques apports vocaux surprenants. Dans la musique d’Ahmad Jamal, il faut parfois chercher le thème, souvent dissimulé dans une construction rythmique et percussive impressionnante, alternant les accords puissants et les moments de détente, le tout orchestré et réglé par des signes continus à destination de partenaires qui réagissent au quart de tour ( le drumming d’Herlin Riley est un des plus impressionnants qui soit). Faut-il citer des temps forts dans ce concert aux allures de pièce architecturale à la mise en place impressionnante ? L’hommage à Horace Silver sans doute (« Silver » pièce du nouvel album), « Morning Mist » et l’époustouflante intro à la basse de Reginald Veal, le moment ellingtonien avec « I Got it Bad… » qui s’ouvre sur « Take The A Train », les deux rappels ? La mélodie de « Smile » qui introduit une version toute en retenue de « My Foolish Heart » ? Ou – et visiblement une partie du public l’attendait – « Poinciana », le hit des années 50, qu’Ahmad Jamal joue très proche de la mélodie ? Plus de 100 minutes de musique magique, un énorme concert pour ouvrir la saison jazz des Beaux-Arts ; Brad Mehldau en solo le 10 mars, puis Ethan Iverson et The Bad Plus le 2 avril s’affichent comme les prochains papillonneurs de clavier… Gâtés les amateurs de piano !
Jean-Pierre Goffin