JAZZMI 2021 ‐ Promenade à Milan

JAZZMI 2021 ‐ Promenade à Milan

Salle Triennale de Milan © D.R.

JAZZMI, c’est le festival de jazz qui se déroule annuellement à Milan aux quatre coins de la ville et de sa périphérie (plusieurs concerts tous les jours, dont de nombreux gratuits), et ce depuis 2016, durant la dernière décade du mois d’octobre. L’édition 2020 avait dû être interrompue après quatre jours de festival suite à la recrudescence importante des cas de Covid 19. Certains projets, parfois des avant-premières, prévus il y a un an, ont été reportés à cette année. Voici un petit résumé de quelques jours passés à ce festival et à ses concerts (ceux que j’ai vus se sont déroulés dans la splendide salle du Triennale d’une capacité de 500 places, à l’exception du concert de Paolo Fresu qui s’est tenu au Conservatorio).

Roberto Gatto Progressivamente ‐ John De Leo Jazzabilly Lovers (Triennale)

Roberto Gatto figure parmi les batteurs de pointe du jazz italien. Dans sa jeunesse (il a 63 ans), il a fait partie de groupes rock et a beaucoup écouté du rock progressif. En 2008, il a sorti un album live consacré à la musique progressive (on retrouvait des titres de Pink Floyd, Genesis, King Crimson ou encore Robert Wyatt), accompagné d’un groupe « all-stars » (Maurizio Giammarco aux saxophones et flûte, Fabrizio Bosso à la trompette, Gianluca Petrella au trombone, Roberto Cecchetto à la guitare, Danilo Rea aux claviers, Francesco Puglisi à la basse et un vocaliste sur deux morceaux, John De Leo). En 2020, Roberto Gatto décidait de reproposer ce projet à JAZZMI, mais son concert dut être annulé pour les raisons évoquées plus haut. Finalement, il a été reprogrammé pour l’édition 2021 avec un groupe de jeunes musiciens et toujours John De Leo au chant… Je me réjouissais et patatras… Roberto Gatto fit une chute de vélo le jour précédant le concert s’abîmant méchamment le genou, ce qui, pour un batteur, est assez problématique… Le concert fut donc une nouvelle fois annulé…

«Roberto Gatto fit une chute de vélo le jour précédant le concert, s’abîmant méchamment le genou… ce qui, pour un batteur, est assez problématique.»

Les organisateurs ont proposé un concert de remplacement : les Jazzabilly Lovers emmenés par le chanteur John De Leo, qui devait jouer avec Roberto Gatto. Je m’y suis risqué. Mal m’en a pris : De Leo est accompagné d’un guitariste et d’un batteur et il reprend des classiques du rock’n’roll (Elvis Presley, Gene Vincent ou encore les Stray Cats) pour en donner des versions jazzy qui n’ont de jazzy que le nom. En fait, c’est plus un prétexte pour De Leo pour montrer ses capacités vocales qui, très vite, m’ont exaspéré. Exercice complètement gratuit. Mon festival débute mal…

«Theon Cross est ce musicien qui a complètement révolutionné le rôle du tuba dans le jazz moderne.»

Theon Cross © Diane Cammaert

Theon Cross (Triennale)

Mais, très vite, j’allais être rassuré : le soir même de ce premier rendez-vous raté, vers 23 heures, Theon Cross et son quartet (un batteur, un guitariste et une saxophoniste alto) prirent d’assaut la scène pour plus d’une heure d’une musique endiablée. Theon Cross est ce musicien qui a complètement révolutionné le rôle du tuba dans le jazz moderne et qui a pris une place importante dans le renouveau du jazz britannique. On a pu l’entendre chez Nubya Garcia, Moses Boyd ou Ezra Collective, mais c’est surtout avec Sons of Kemet qu’il s’est fait connaître (on se souviendra d’un concert au Reflektor de Liège). Son set fut surtout basé sur son deuxième album (« Intra-I »), qui est sorti fin octobre : un jazz contemporain avec une approche très libre de différents styles, tout en gardant ses racines afro-caribéennes (son père est jamaïcain et sa mère est originaire de l’île Sainte-Lucie dans les Antilles). Il dégage un son puissant et original, élargissant très clairement les possibilités sonores de son instrument et est entouré par des musiciens de haut vol. La réaction du public fut des plus enthousiastes ce qui émut un Theon Cross, d’excellente humeur. Grand.

Orchestra Nazionale Jazz Giovani Talenti (Triennale)

Moins de douze heures plus tard, sur le coup de midi, je retournais dans cette même salle du Triennale pour assister au concert de l’Orchestra Nazionale Jazz Giovani Talenti (ONJGT), projet qui a vu le jour à la Casa del Jazz de Rome et qui est mené depuis sa création en 2015 par le contrebassiste Paolo Damiani. Le groupe présenté ce soir en est à sa troisième version, le but étant de renouveler +/- tous les 2 ans ses membres. Damiani, qui s’est inspiré de l’ONJ français dont il a été le directeur artistique, s’est toujours fait un plaisir de mettre en avant des jeunes musiciens, futurs leaders du jazz italien. Dans ce projet, il est entouré de dix musiciens, parmi lesquels certains sont déjà bien connus (la chanteuse Sara Jane Ceccarelli, la violoniste Anaïs Drago ou le trompettiste Francesco Fratini) et beaucoup à la tête de leur propre groupe. Les compositions, originales, sont signées de la plume de chacun de ses membres. Le concert fut rafraîchissant avec un Damiani bienveillant. Ce qui est certain, c’est que la relève est bien présente et, déjà, d’un niveau très élevé.

Giornale di Bordo (Antonello Salis ‐ Gavino Murgia ‐ Paolo Angeli ‐ Hamid Drake) (Triennale)

Formé de trois musiciens sardes (le toujours plus fou Antonello Salis au piano et à l’accordéon, Gavino Murgia aux saxophones alto et soprano et aux voix, Paolo Angeli à la guitare sarde et aux voix) et du batteur américain Hamid Drake, Giornale di Bordo a sorti un album du même titre en 2011. Formé de quatre grands musiciens et fortes personnalités (pas question d’imaginer un leader dans un tel projet) aux parcours éclectiques, ce groupe se reforme épisodiquement pour proposer une musique ouverte, un mélange réussi d’un jazz avant-gardiste et de traditions ethniques (la Sardaigne évidemment), une fusion entre sons ancestraux et d’autres quasi futuristes. Très grand concert avec une réponse du public triomphale.

«Rencontre surprenante entre deux des saxophonistes les plus avant-gardistes de ces vingt dernières années et la section rythmique de Bad Plus.»

Broken Shadows (Tim Berne ‐ Chris Speed ‐ Reid Anderson ‐ Dave King) (Triennale)

Broken Shadows a sorti cette année un album remarquable, hommage à trois saxophonistes majeurs que sont Ornette Coleman, Dewey Redman et Julius Hemphill. Le concert de ce quartet devait, pour beaucoup, être un des événements principaux de ce festival : cette rencontre surprenante entre deux des saxophonistes les plus avant-gardistes de ces vingt dernières années (Tim Berne à l’alto et Chris Speed au ténor) et la section rythmique des Bad Plus (Reid Anderson à la contrebasse et Dave King à la batterie) promettait une soirée marquée par la fureur et le vertige. Et puis…ce ne fut certainement pas un mauvais concert, mais on s’attendait à plus, à mieux. Très bizarrement, les versions proposées étaient très proches de celles de l’album (et même jouées pratiquement dans le même ordre que sur l’album…). Il manquait cette étincelle qui fait la différence entre un concert et un disque. Un peu décevant.

«Paolo Fresu était, comme toujours, agréablement bavard…»

Paolo Fresu « Around Tük » (Conservatorio Giuseppe Verdi)

La grande salle du conservatoire (1400 places) était pratiquement comble pour accueillir un projet prévu lors de l’édition 2020 et qui n’avait pu avoir lieu pour les raisons que nous connaissons. Ce projet devait marquer le 10ème anniversaire de la naissance de Tük Records, le label créé par Paolo Fresu qui a notamment (il sert également à sortir la majorité de sa production) pour but de promouvoir et de publier de jeunes musiciens. Finalement, la première a été reportée d’un an et le groupe fêtait donc le 11ème anniversaire de Tük Records… Aux côtés du trompettiste sarde, les musiciens les plus marquants signés par le label, à savoir Raffaele Casarano (sax alto), Dino Rubino (piano et trompette), Marco Bardoscia (contrebasse), Sade Mangiaracina (Fender Rhodes et piano) et Enrico Morello (batterie). Tout ce monde interpréta des extraits de leurs albums respectifs dans des formules changeant d’un titre à l’autre (on pouvait passer du groupe entier au trio). Paolo Fresu était, comme toujours, très agréablement bavard, expliquant longuement son projet de label, restant très humble derrière ses amis d’écurie. Il signala également que cet énième groupe qu’il dirige pourrait poursuivre sa route avec également d’autres musiciens signés par Tük Records. Belle soirée qui reçut, c’était à prévoir, un accueil triomphal.

Paolo Fresu © Andrea Boccalini / ECM

Ciao Milano. A l’année prochaine.

Sergio Liberati