Duos en trois Act
Duos en trois ACT
ACT, le label münichois – comme ECM et Pirouet ! – lance une nouvelle collection thématique autour du duo intitulée simplement « Duo Art ». Les premières galettes publiées titillent notre curiosité pour ne pas dire qu’elles nous font tout bonnement saliver. En voici trois qui mettent en avant des artistes loin d’être des inconnus en Belgique.
Gwilym Simcock, nous l’avons découvert au « L’F Jazz Club », un concert mémorable, un pianiste d’exception au toucher fabuleux, un mélodiste inspiré qui fait immanquablement penser à Keith Jarrett. Quelques temps après, c’est au « Jazz à Comblain », en 2012, qu’on le retrouve avec « The Impossible Gentlemen » et Steve Swallow, Adam Nussbaum et le guitariste anglais lui aussi Mike Walker : une nouvelle gifle. Pour ce duo enregistré en Bavière, il s’unit au contrebassiste russe Yuri Goloubev pour « Reverie at Schloss Emau ». Plus inspiré par la musique de chambre classique et Schumann, par exemple ( bien que le titre « Non-Schumann Lied » s’en défende ), que par les envolées rythmiques du jazz, le duo propose ici un album plutôt introverti, d’un lyrisme et d’une profondeur parfois troublants.
Vincent Peirani, Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz 2013, Emile Parisien, Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz 2012, voici réunis deux des grands espoirs du jazz français – mais n’ont-ils pas déjà dépassé tous les deux ce stade de promesse. Non pas un duo de circonstance, car les deux musiciens se connaissent depuis quatre ans, jouant tous les deux dans le quartet de Daniel Humair « Sweet & Sour », mais un duo d’affinités découvertes sur le terrain, de sensibilités partagées et, sans doute, d’envies communes libérées dans cet album intitulé « Belle Epoque ». C’est le producteur de Act Music, Siggi Loch, qui les met sur la voie d’un répertoire un peu délaissé dans le jazz du XXIe siècle, celui de Sidney Bechet. On s’en serait douté, ce n’est pas du côté des « Oignons » que Peirani et Parisien ont trouvé leur bonheur, mais dans des pièces aux sonorités « mondialistes » et propres à s’harmoniser avec les couleurs de leur (notre) temps : « Egyptian Fantasy » ou « Song of Medina (Casbah) » collent à la peau du duo avec un naturel confondant. « Temptation Rag » et « Dancers in Love » (Duke Ellington) brillent par leur cadence enjouée tandis que « St. James Infirmary » renait dans les graves les plus profonds de l’accordéon. Pour paraphraser Umberto Eco dans les notes de livret de « In Cerca di Cibo » de Trovesi et Coscia, on n’est loin ici d’une tentative de faire entrer Bechet à la Salle Pleyel tant la lecture est originale et moderne. Comme pour assurer la communauté de biens du mariage consommé dans la tradition de la Belle Epoque, l’accordéoniste et le soprano se partagent équitablement les quatre pièces originales de l’album. Sans comparer les démarches – celle de Trovesi et Coscia est clairement plus portée vers la musique populaire italienne – on peut ici aussi comme le fait Eco, parler de « fête du timbre » et d’osmose entre musique populaire et cultivée. Ce qu’on pouvait attendre de vieux briscards expérimentés, était sans doute moins évident à atteindre par de jeunes loups à la technique sans faille : fraîcheur et maturité, mêlées à la créativité de ce duo nous ravissent les oreilles dès la première écoute et ouvrent de nouvelles portes à chaque audition.
Trente ans après « The Viking » et « The Art of The Duo » avec Nils Henning Orsted Pedersen, Philip Catherine reforme un duo contrebasse-guitare avec cette fois l’Allemand souvent exilé à New York Martin Wind. Ceux qui aiment entendre chanter la guitare de Philip Catherine, seront gâtés ! Les deux complices s’ingénient à mettre en exergue la mélodie de leurs compositions ou de standards délaissés (« Old Folks », « Winter Moon » et le très classe « Sublime » de Hank Jones). Avec « Fried Bananas », Philip Catherine rappelle sa collaboration avec Dexter Gordon, avec « Jenny Wren » de McCartney sa propension à faire chanter les belles mélodies… et sublimer les harmonies. Leur musique parait si simple et naturelle qu’on pourrait croire que ces deux-là partagent leur amour du jazz depuis des années. Philip Catherine sonne avec une élégance renouvelée à chaque instant, Martin Wind lui emboite le pas avec finesse et discrétion, on assiste à une communion totale entre deux géants de la note bleue. On dira encore une fois qu’il s’agit d’un des plus baux opus du guitariste… ce ne sera pas la dernière. (ACT Music est distribué par Challenge Records)
Jean-Pierre Goffin