Laurent Cugny : Histoire du jazz ‐ Une Musique pour les XXè et XXIè siècles
Références catalogue : FA5544 (4 Cds) ‐ Un cours particulier du Professeur Laurent Cugny, Faculté des Lettres de la Sorbonne Université et ancien directeur de l’ONJ (Orchestre National du Jazz)
Quel amateur de musiques au sens large, quel amateur de jazz, qu’il soit débutant ou chevronné pourrait résister à l’envie d’écouter (et réécouter), avec attention, un document tel que celui-là ? Même si une démarche de cette envergure ne peut rencontrer les attentes ou répondre aux questions de tout un chacun. Mr. Cugny a du faire des choix et d’aucuns seront frustrés.
• CD1 (72 min.) passe en revue « Méthodologie et Origines »;
• CD2 (76 min.) se préoccupe de « L’intrigue Linéaire Principale » (1917-1976);
• CD3 (70 min.) analyse « L’Ere Postmoderne » (après 1976);
• CD4 (67 min.) se penche sur le « Jazz Vocal ».
A noter que les conseils d’écoute sont nombreux, avec les noms des musiciens et les titres recommandés, mais qu’il n’y a aucun exemple sonore… Pas (trop) de souci : le catalogue Frémeaux et Associés est d’une très grande richesse, en particulier dans les domaines du blues, du R&B et du rock, des Negro Spirituals, du Gospel et de la soul, du jazz et des musiques apparentées. Chacun pourra satisfaire toute curiosité résultant de l’écoute de ce cours.
Dans «Méthodologie et Origines» (CD1), le Pr. Cugny passe en revue les définitions du mot jazz, la période de l’esclavage, les musiques religieuses noires, le blues, les work songs, le ragtime, les brass bands et le jazz élémentaire (1900-1917). L’expertise et les sources du Pr. Cugny sont très larges, mais il est difficile d’être exhaustif ou suffisamment clair sur des sujets aussi vastes. Et comme tous les historiens, il n’échappe pas, ici et là, aux simplifications abusives. Ayant eu moi-même la chance et l’opportunité d’enseigner l’Histoire du jazz (+ blues,+ black gospel + dérivés, R&B, rock, soul, rap, …), pendant 37 ans (1983 – 2020) en Philo et Lettres, au niveau Masters, dans le Département Musicologie de l’Université de Liège, je partage globalement ses vues mais j’aurais souhaité des précisions sur le blues et les musiques religieuses. C’est récurrent, ces sujets sont souvent traités plus à la légère par les spécialistes du jazz. Pour les musiques religieuses, il eut été cohérent de signaler qu’après leur Évangélisation, dès le 18è s., les esclaves ont chanté des Psaumes puis des HYMNES et, autour de1800, des SPIRITUALS ou Chants Inspirés (en incorporant quelques africanismes discrets, syncopes, canevas appel-réponse,…). Dès 1865, des universitaires noirs (Fisk University, …) harmonisèrent ces Spirituals pour en faire les NEGRO SPIRITUALS a capella (parfois avec harmonium ou piano) toujours inspirés par les Hymnes et LA BIBLE = ANCIEN TESTAMENT, une musique de concert avec spectateurs payants (blancs !). L’immense majorité des Noirs émancipés mais pauvres en sont restés aux Spirituals qui sont, avec le temps, devenus des JUBILEE SONGS diversifiés (solistes, chorales, prêcheurs, groupes masculins, évangélistes itinérants…) puis, plus tard, des GOSPEL SONGS (inspirés par les EVANGILES = NOUVEAU TESTAMENT) avec soutien instrumental important et retentions africaines encore plus marquées. Pour les BLUES profanes, bien sûr la source principale est du côté des Work Songs / Field Hollers /… mais aussi du côté des Hymnes et Jubilee Songs sur le plan mélodique et on peut aussi ajouter des influences réciproques avec des musiques folk écossaises, irlandaises et anglaises. Bref pas de quoi fouetter un chat, juste quelques précisions utiles, me semble-t-il.
Peu ou prou de controverse pour l’exposé déployé dans CD2 (1917-1976). Il met d’abord l’accent, avec justesse, sur LES lieux de naissance du jazz et sur le rôle de la Nouvelle Orléans en Louisiane dans cette saga, avec l’ODJB, les musiciens blancs et noirs et le pré-swing de Louis Armstrong comme de Bix Beiderbeke. Après le jazz New Orleans, L. Cugny passe aux autres âges du jazz, les big bands de Swing (blancs, noirs et mixtes), le be bop, le cool jazz, le hard bop, le jazz modal, le free jazz et le jazz-rock, en terminant avec les «figures singulières» (Duke Ellington, Charlie Mingus, … ).
Dans le CD 3 (post 1976), L. Cugny explore l’ère postmoderne dans toute sa diversité avec, entre autres, le world jazz, le néo-classicisme, les guitaristes, les pianistes, le rôle de l’Europe, les inclassables et le XXIè s. C’est un très vaste domaine, plus sujet à polémique et aux controverses. Dans la rubrique « Europe », les musiciens français sont, on le comprend, abondamment cités avec un petit nombre de musiciens européens mais c’est quasiment l’impasse sur les grands noms du jazz en Belgique. C’est regrettable ! (1)
Enfin, l’exposé du CD 4 est entièrement consacré au jazz vocal, des origines à nos jours, en repassant par le blues rural et les chanteuses de blues classique. Encore une fois, tout cela est marqué d’une grande pertinence, mais lors de la brève évocation des chanteurs de rock’n’ roll, j’ai été déçu de n‘entendre citées que les icônes blanches de ce style en ignorant les vedettes noires comme Chuck Berry, Little Richard et autres Fats Domino, entre autres (2). Des détails ? Voire…
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(1) C’est d’autant plus incongru que le catalogue Frémeaux et Associés propose des albums tels que : « L’Age D’Or du Jazz Belge » (FA5744), « Bobby Jaspar » (FA3069) et tout récemment, « Toots Thielemans » (FA5812).
(2) Bien présents eux aussi dans la catalogue Frémeaux et Associés.
Laurent Cugny
Histoire du jazz ‐ Une Musique pour les XXè et XXIè siècles
Frémeaux et Associés ‐ Presses Universitaires de France