Festival Zone Libre 2022 ‐ Bastia, cité des arts sonores
Lancé en 2019 par l’association éponyme, le festival des arts sonores Zone Libre a proposé du 1 au 6 février 2022, dans plusieurs lieux de Bastia, une quatrième édition passionnante avec la participation d’une vingtaine d’artistes locaux, nationaux et internationaux. Retour sur une « manifesta-son » qui se distingue en Corse, mais aussi au-delà, par sa programmation audio aventureuse s’appuyant sur un travail de fond et une volonté d’émulation, tant régionale que transnationale.
Depuis une dizaine d’années, l’association Zone Libre, sous la baguette artistique du créateur sonore Tommy Lawson, pilote, depuis Bastia, un projet pluridisciplinaire dans le champ des arts et cultures numériques sous toutes leurs formes : musiques actuelles, arts sonores, arts visuels, multimédia, performances et spectacles vivants hybrides. Cette hybridité autour de la création sonore et de ses intersections, notamment avec les pratiques numériques mais aussi les arts de la scène, est revendiqué par Tommy Lawson, dont le parcours artistique témoigne à la fois de cette ouverture et de cette exigence. Outre des performances et des installations dont, à l’automne 2021, un parcours géolocalisé lors de l’événement « Sonic Narratives » à Timosoara (Roumanie) et qu’il propose dans différentes villes, il a longtemps composé des musiques pour la danse contemporaine au sein de la compagnie Art Mouv’ et plus récemment pour un dispositif de réalité mixte « An Donham », alliant BD et réalité mixte, conçu par Gaëtan Le Coarer, talentueux doctorant au département hypermédia à l’Université de Savoie-Mont Blanc.
Lancé en 2019, le festival Zone Libre (dénommé préalablement « Forum des arts sonores ») a fait assez rapidement son chemin dans le paysage corse et au-delà, en réussissant à allier les dimensions locales (chaque année le festival donne une belle visibilité à des talents insulaires et les accompagne souvent en amont également), nationales et internationales.
Tommy Lawson : « On constate positivement que nous devons répondre à une demande de soutien et d’accompagnement de plus en plus grande, à laquelle nous tentons de répondre au mieux avec un « critère sélectif » qui favorise les projets de création. Citons parmi plusieurs, Cora Laba, chanteuse atypique avec son projet « Siku » (qui signifie glace en Groenlandais) à partir d’une résidence sur un brise-glaces en collectant des sons dans le grand Nord, puis en les retravaillant à Bastia avec l’aide technique et l’expertise de Zone Libre, pour qu’elle puisse en extraire un projet live. Autre artiste corse présenté lors de Zone Libre 2022, Orso, poly instrumentiste et créateur visuel ajaccien à l’initiative de « l’Étrange atelier », une friche de création et de diffusion sonore et multimédia. Son projet « Sonore » hybride est un live immersif entre création sonore expérimentale et électro-pop ».
Côté talents continentaux, on a pu apprécier « Fixin » du percussionniste Sylvain Darrifourcq, une installation/performance avec des éléments de batterie augmentée à travers lesquels le public peut se déplacer sur scène et pilotés savamment par l’artiste. Franck Vigroux, accueilli avec son complice artiste numérique Antoine Schmitt en résidence par Zone Libre au printemps 2021, a présenté -malheureusement en solo (son complice étant touché par le Covid) – « Atotal » avec un son extrêmement puissant et tellurique, parfois aux limites hertziennes qui nous fait apprécier d’autant plus les moments de modulations mélodiques et plus ambiantes. La révélation fut le jeune Parisien d’origine ghanéenne Aho Ssan dont on a découvert la virtuosité avec son album « Simulacrum » (2020) inspiré par l’essai « Simulacres et Simulation » de Jean Baudrillard. Tommy Lawson parle avec enthousiasme de ce « jeune frère » de formation scientifique qui développe un travail si personnel pour ses outils soutenus à la fois par des institutions de référence comme le GRM (Groupe de Recherches Musicales) et l’IRCAM qui est aussi un coup de cœur. Il joue beaucoup sur la compression et la granulation d’où une certaine âpreté dans sa musique qui s’appuie aussi sur une grande maîtrise technico-numérique. Il conçoit ses propres outils audio digitaux (patches Max MSP, plugs in et synthés) qu’il a présentés aux étudiants de la filière IUT (métiers de l’image et du son) de l’Université de Corte. En mai 22, il a présenté la première de son nouveau projet Rhizome que nous avons accompagné pour sa création au Donau festival en Autriche. C’est donc ici pour nous, un accompagnement particulièrement porteur.
En mode international, remarquons la performance de l’artiste pluridisciplinaire italien Roberto Paci Dalò « Lament » (qui est aussi proposée, cette année, à la Biennale de Venise) dans laquelle il improvise magistralement à la clarinette en interagissant avec des traitements électroniques. Pour cette version, il a choisi, en fin d’un set inspiré, d’enchaîner avec une bande-son live projetée sur le grand écran de la salle de spectacle du Centre culturel Alb’ Oru (lieu d’accueil des performances), son film matiériste « In Darkness We Dwell » qu’il a tourné en noir et blanc dans l’impressionnante bibliothèque du musée des archives de la banque de Naples.
La petite salle du Centre Alb’ Oru était consacrée aux performances plus intimes dont celles de Thibaut Drouillon (Bruxelles) qui lançait la sortie de son premier EP électro prometteur « No signal » sur le label Transonic et de Paradise Now pour un « City Sonic mix » où il croise des sources art sonore, poésie, musiques électroniques et contemporaines produites dans le festival des arts sonores éponyme. Paradise Now a également présenté, à l’extérieur du Centre Alb’Oru, l’environnement « No Lockdown Sonopoetics », avec la participation de Catrine Godin – Québec, Biba Sheikh – États Unis, Maja Jantar – Finlande, Sylvie Santi – France, Nina Zivancevic – Serbie, Maria Malinovskaya – Russie, un hommage vibrant aux textes tant écrits qu’oraux de talentueuses poétesses qui échappent à tout cloisonnement.
Tommy Lawson : « Cette création qui met à l’honneur, de manière singulière et sensible, la parole et la vision des femmes – et c’est d’ailleurs une dimension que nous comptons renforcer dans la programmation pour 2023 – s’inscrit dans un parcours sonore – une grande nouveauté de cette édition 2022 – constitué d’installations qui occupent plusieurs lieux du centre-ville bastiais, avec notamment « HA » de Roberto Paci Dalò au Centre Una Volta, une installation qui donne à entendre la philosophe Hanna Arendt qui s’inscrit dans un paysage sonore en mouvement mêlant électronique et sons urbains. »
Au musée de Bastia, plus haut dans la Citadelle qui surplombe le Vieux-Port, des créations de Thibault Drouillon (« Empty Tape » avec de vieux cassettophones qui lisent des sources enregistrées sur place et retraitées via des micros), Hélène Blondel (musicienne et artiste étudiante à l’école d’Art de la Villa Arson – Nice) avec « Drops of Arnica », mêlant des sons locaux à d’autres sources fictives ou génératives.
« Pour nous – précise Tommy Lawson – le développement de ces émergences sonores et numériques dont ces deux installations et performances de ces jeunes artistes belges et français prometteurs sont de bons exemples, est un de nos objectifs qui s’inscrit dans la durée. Avec la Villa Arson (l’école nationale supérieure d’art de Nice), nous avons enclenché un partenariat avec le professeur Christian Vialard ainsi qu’avec son collège Pascal Broccolichi (tous deux étant aussi des artistes sonores de grande qualité qui attirent fortement notre intérêt). J’ai été invité à animer un workshop de techniques audio DIY en décembre 21 à la Villa Arson et notre partenaire Transcultures qui a lancé, à partir de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le programme « Emergences numériques et sonores » impliquant, à l’année, avait déjà travaillé plusieurs fois avec cette école d’art prestigieuse connue aussi pour ses productions sonores. Avec Transcultures, centre des cultures numériques et sonores et son festival international des arts sonores de City Sonic, basés en Wallonie mais particulièrement internationaliste, et le réseau arts contemporains/hybrides des Pépinières européennes de Création dont la coordination est installée en France, Zone Libre a renforcé ses collaborations entamées lors de l’édition 2021, notamment pour cette dimension émergences et le parcours d’art sonore (signalons aussi le « PAS – Parcours Audio Sensible » guidé par le « promeneur écoutant » lyonnais Gilles Malatray, animateur du blog de référence « desartsonnants », invitant à mieux percevoir, lors d’une ballade silencieuse, la vie sonore du centre de Bastia) que nous comptons élargir pour les prochaines éditions. C’est aussi important pour la création insulaire et les projets initiés par Zone Libre qui peuvent bénéficier de ces maillages et apports extérieurs et du tissu local. »
En avril dernier, Zone Libre a été le partenaire corse avec la Casa die Scenze (Maison des Sciences) où le dispositif de réalité virtuelle « Alice » (proposant une navigation interactive en mots et en sons, à partir du texte d’Alice au pays des merveilles), un des mondes du projet hypermédia multiforme i-REAL imaginé par Marc Veyrat (artiste-chercheur-universitaire en Savoie et à Paris) avait été présenté précédemment en février, initiant l’envie d’amplifier cette collaboration, pour organiser, à Bastia, une passionnante semaine de séminaire de médiation numérique (avec également présentation de projets de réalité mixte), réunissant une dizaine de chercheurs/doctorants/enseignants du laboratoire CiTu-Paragraphe de l’Université Paris 8 qui axe ses recherches sur la conception d’information, dans le contexte général des humanités numériques et sur le terrain des nouveaux médias et des arts multimédiatiques. Celui-ci a préparé le terrain à un autre séminaire créatif qui sera accueilli cet hiver par Transcultures à La Louvière à l’occasion d’événements autour de Pol Bury, sculpteur, écrivain, artiste cinétique, pataphysicien et co-fondateur du Daily—Bul qui aurait fêté ses 100 ans en 2022 et nous apparaît, d’autant plus aujourd’hui, comme un pionnier indisciplinaire très inspirant pour les artistes de l’hybride contemporains.
Tommy Lawson : « Nous allons explorer cette dimension création-recherche également en lien avec l’Université de Corte où j’ai eu le plaisir de proposer des master classes avec le département Métiers de l’image et du son. Avec nos partenaires de la métropole et de Belgique, nous comptons aussi donner une visibilité publique aux réflexions ressorties de ces expériences de création-recherche, notamment dans le Forum des arts sonores intégré au festival Zone Libre et plus tard, en 2024, avec un autre temps de travail avec l’équipe du CiTu cette fois à l’Université de Corte ».
Zone Libre porte bien son nom et nous apparaît en ces temps de repli, comme une passionnante expérience de rencontre et de recherche multi-sonique et intermédiatique à l’horizon ouvert.
Site : www.zonelibres.com
Archives vidéo : www.youtube.com/user/Transculturesvideo
Archives sonores sur la chaîne Transonic de Usmaradio : www.spreaker.com/show/transonic