«Rôles» ou la perception musicale d’Hélène Duret
Etudes de cinéma/théâtre à Montpellier, musique classique, musiques traditionnelles, jazz, improvisation, danse, Hélène Duret multiplie les idées créatives dans de nombreux domaines, que ce soit sur les scènes françaises ou belges. Son premier opus « Les Usures » est paru chez IGLOO en 2020 et voici « Rôles » dont nous parlons avec elle dans cet entretien.
«Quand j’ai vu que Stéphane Galland enseignait au Conservatoire de Bruxelles, j’ai tenté d’y entrer et ça a marché !»
Tout d’abord, qu’est-ce qui vous pousse à venir étudier au Conservatoire de Bruxelles ?
Hélène Duret : C’était principalement par intérêt pour le travail de Stéphane Galland et de John Ruocco. Quand j’ai vu qu’ils enseignaient à Bruxelles, j’ai tenté d’entrer au Conservatoire et ça a marché. J’ai suivi les cours de rythme avec Stéphane, des méthodes hyper intéressantes. Je m’intéressais déjà aux rythmiques qu’il pratique, les rythmiques des Balkans, les rythmiques impaires que je voulais exclusivement jouer à une époque. Stéphane a développé cela à un point extrême. J’ai découvert Aka Moon lorsque j’étais à Montpellier où Stéphane était venu faire une master class à laquelle j’ai participé. J’ai été marquée par cet enseignement. Il n’y avait pas de chichi dans sa façon de donner cours, il est d’une grande simplicité.
Vous avez aussi pratiqué le théâtre et on sent dans l’album qu’il y a une réflexion sur la dramaturgie des morceaux.
H.D. : Peut-être. En tout cas, je n’y pense pas quand j’envisage un morceau. Je suis bien sûr influencée par ce que j’entends, ce que je vois et par ceux que je rencontre. Par exemple, pour le morceau intitulé « Flying Low », j’ai développé beaucoup de choses autour de la danse et de l’expression corporelle. J’ai suivi des workshops de danse contemporaine dont ceux de David Zambrano qui est au Tictac Center à Bruxelles, où il développe ses techniques de danse contemporaine dont une s’appelle le « Flying Low », d’où le titre du morceau.
A propos de ce morceau, j’avais peut-être imaginé une référence à « Hi Fly » de Randy Weston que jouait Eric Dolphy, saxophoniste-flûtiste, mais aussi clarinettiste.
H.D. : Non, mais c’est assez joli comme comparaison car Eric Dolphy m’influence énormément, surtout pour l’improvisation. Il n’y pas beaucoup de clarinettistes qui ont abordé l’improvisation sur l’instrument comme lui. C’est à la fois rassurant et passionnant aussi. C’est plein d’idées.
«La rencontre avec Louis Sclavis m’a terriblement ouvert l’esprit…»
Il y a en France des clarinettistes d’exception : vous les avez rencontrés ?
H.D. : Il y a très longtemps, j’ai fait des master class à Montpellier avec Louis Sclavis. A l’époque, je travaillais surtout le classique. Il est venu à la fois avec son bagage classique et d’improvisateur, ça m’a terriblement ouvert l’esprit et m’a confortée dans l’idée de vouloir faire de l’improvisation. Mais je n’ai jamais collaboré avec lui. En ce qui concerne Sylvain Kassap, je l’ai rencontré il y a peu de temps dans un bar à Paris où il donnait un concert avec Richard Comte qui m’a proposé de me joindre à eux à la fin du set pour une improvisation. J’avais aussi travaillé une de ses compositions au Conservatoire.
«J’ai appelé l’album «Rôles» parce que je voulais un peu bousculer les interventions classiques qu’on entend dans le jazz.»
J’évoquais la mise en scène de l’album : un solo en premier lieu, et ça se termine par deux de vos musiciens qui jouent en duo : un clin d’œil à vos musiciens ?
H.D. : En fait le premier morceau, ça ne s’entend pas trop, mais c’est un duo avec Sylvain Debaisieux au sax-ténor. Il se rapproche très fort du son de la clarinette, clarinette en si bémol et saxophone. C’est une seule et même mélodie qu’on a splittée en deux pour qu’il y ait une partie clarinette et une partie saxophone. Il y a une version de ce morceau où on joue à cinq, un morceau très libre. Pour le dernier morceau, pendant la session en studio, Benjamin et Max ont pris un moment pour improviser à deux. Je l’ai choisi pour clôturer l’album parce que je trouvais bien de commencer et de finir par un duo. Et j’aimais aussi l’idée de laisser s’exprimer la contrebasse de Fil au milieu de l’album sur « Pas de signal » et « Reine sous terre ». C’est un peu pour ça que j’ai appelé l’album « Rôles » parce que je voulais un peu bousculer les interventions classiques qu’on entend dans le jazz.
Dans quelle mesure l’improvisation est-elle partie prenante dans l’enregistrement studio par rapport au live ?
H.D. : On a fait entre trois et six versions de chaque morceau, mais sans vraiment trop retoucher à la version, il n’y pas de montage. En live, les versions sont plus longues… ou pas. Pour l‘album, je voulais quelque chose de plus homogène.
Benjamin Sauzereau a composé deux titres, comment l’avez-vous rencontré ?
H.D. : Je l’ai rencontré en 2014 dans la voiture de Margaux Vranken ! On était allé à un concert à Rotterdam avec d’autres amis, dont Casimir Liberski. On s’est recroisés au Chapitre à Bruxelles et lors de jam sessions. Ça a été déclencheur pour moi car Benjamin compose beaucoup et de mon côté je n’étais pas très sûre de moi dans ce domaine. Ça m’a poussée à développer la composition. Son rapport à la musique et au son m’ont beaucoup inspirée. Ses deux compositions ont été écrites pour l’album.
Le son a beaucoup d’importance sur l’album.
H.D. : Le son du groupe est venu assez naturellement, depuis le début, en 2017. Ça n’a pas été une direction choisie. Étant donné le profil de chacun, le son s’est mis en place.
Il y aura des dates en Belgique ?
H.D. : Les concerts en Belgique auront lieu en 2023, le 27 janvier à L’An Vert, le 28 janvier à la Jazzstation. La release officielle est à Marciac en été, puis suivra une tournée en France.
« Synestet », d’où vient le nom du groupe ?
H.D. : C’est un hommage à la synesthésie. Un phénomène neurologique qui permet à des gens de percevoir la réalité en mélangeant plusieurs sens, comme un musicien qui voit des couleurs en jouant la musique. Il existe plein de formes de synesthésie, il y a des gens qui associent des prénoms à des formes, par exemple. J’en parle un peu à chaque concert et souvent des gens viennent me voir après en disant qu’ils ont perçu le concert de façon différente. Le titre « Rôles » vient un peu aussi de cela.
Synestet
Rôles
Igloo