Jazz à Liège, nouvel élan !

Jazz à Liège, nouvel élan !

Nouvel élan pour le jazz à Liège !

 

Une 24e édition qui promet encore de beaux jours au « Mithra Jazz à Liège » : succès de foule et concerts d’anthologie qui resteront dans les mémoires.

Il y a vingt-quatre, naissait à Liège le « Festival International de  Jazz à Liège », événement culturel d’autant plus important que la cité ardente fut pendant des décennies la capitale belge du jazz avec des musiciens comme Bobby Jaspar, René Thomas ou Jacques Pelzer. Grâce à l’énergie et l’enthousiasme d’un des fondateurs du mythique Festival de Comblain-la-Tour, Jean-Marie Peterken, Liège accueille dès ses débuts des stars mondiales comme Sonny Rollins, Lionel Hampton, Gerry Mulligan, Chick Corea et bien d’autres. Si on avait craint le pire lors du départ de la RTBF du Palais des Congrès, le Festival a tenu bon jusqu’à l’arrivée secrètement espérée d’un nouveau sponsor,  la firme pharmaceutique liégeoise Mithra. Ce renouveau s’est marqué dès la première participation du nouveau mécène : trois jours au lieu de deux, des têtes d’affiche de renom et un public qui a suivi avec ferveur.

 

PAOLO CONTE (c) Dominique Houcmant

Jour 1 : un seul et unique concert, celui de Paolo Conte. Il y avait longtemps que le chanteur italien n’avait plus mis les pieds en bord de Meuse, du coup ses fans ont rapidement épuisé les mille sièges de la grande salle du Palais des Congrès. Public conquis d’avance : dès la fin du premier morceau, on avait l’impression d’en être au rappel tant l’ambiance était chaude. Diminué par un gros rhume, Paolo Conte assure avec dans le répertoire quasi tous ses succès qui comblaient d’aise son public . Dix musiciens multi-instrumentistes de haut niveau volaient par moment la vedette à l’ex-avocat ; on ne pouvait qu’admirer les arrangements, une orchestration millimétrée pour deux fois 45 minutes de bonheur.

 

Jour 2 : Avec le pianiste Kenny Barron et le contrebassiste Dave Holland, la soirée du vendredi débutait avec deux magiciens du jazz d’aujourd’hui (même si Kenny Barron enregistra son premier album en 1961 !). Entre compositions personnelles (superbe « Waltz KW » en hommage à Kenny Wheeler, funky « Pass On » pour le batteur Ed Blackwell) et standards du jazz ( inouï « Segment » de Charlie Parker, rappel monkien), le dialogue entre les deux hommes fait quasi oublier la virtuosité technique pour nous subjuguer par la complicité, l’invention, le feeling, le lyrisme partagés. Si l’expression «  être au 7e ciel » avait lieu d’être quelque part ce soir-là, sûr que c’était dans cette salle de la « Région Wallonne » bondée.

Elle est encore peu connue du grand public, mais, croyez-moi, ça va vite changer ! Cecil McLorin Salvant a tout d’une grande : une voix exceptionnelle qui passe sur la même note de l’aigu au grave avec une facilité étonnante, le sens du placement, le swing (et oui ! le jazz swingue encore !), la sensibilité, le choix d’un répertoire puisé dans la tradition, mais peu repris par ses paires (« John Henry », « Nobody »,…) La liste est sans fin ! Le public l’a compris et lui a réservé un accueil enthousiaste.

Cecil McLorin Salvant

Kenny Garrett remplissait lui aussi la grande salle. Il faut dire que l’ex- saxophoniste de Miles Davis s’est taillé une solide réputation ces dernières années : technique, puissance, rythme ont fait de lui le premier sax-alto du jazz contemporain. L’Américain a tout pour chauffer une salle et ce soir, la sauce a pris au quart de tour. Rythmique quasi coltranienne pour débuter un incroyable morceau de bravoure de vingt minutes qui conquiert un public chaud-boulette comme on dit à Lîdje ! Tenir à un pareil rythme tenait du surnaturel et il fallait bien qu’en fin de parcours, l’alto se facilite un peu la vie ( et reprenne son souffle) sur quelques longueurs plus anecdotiques dont le rythme a enchanté un public très prompt à taper dans les mains.

 

ARCHIE SHEPP (c) Jos Knaepen

Jour 3 : Placé en début de soirée, le concert d’Archie Shepp était attendu comme l’événement du festival par les aficionados. En 2012, le grand saxophoniste-ténor reprenait son album mythique « Attica Blues » de 1972 avec un grand orchestre de 29 musiciens (rythmique, souffleurs, cordes et chœur).  Album lié au drame du pénitencier d’Attica le 13 septembre 1971, « Attica Blues » représente un des grands jalons dans sa carrière de musicien et d’activiste pour la cause noire aux Etats-Unis. Avec deux anciens de la Great Black Music ( Famoudou Don Moye et Claudine Amina Myers) un pilier de la basse funk de ces dernières années (Reggie Washington) et une poignée de musiciens français (où on reconnaissait François Théberge et le guitariste Pierre Durand),  l’ « Attica Blues Orchestra » reprend le répertoire de l’album d’origine, mais aussi de « The Cry of My People » ou de « Mama Too Tight », une composition de Claudine Amina Myers et de Duke Ellington complétaient le répertoire d’un concert dans la plus belle veine de la tradition du blues. Dans une forme exceptionnelle (77 ans tout de même), Archie Shepp donnait l’impulsion et suscitait l’inspiration de musiciens complètement libérés. On ne peut compter les temps forts d’un concert aux accents à la fois dramatique, mais ô combien lumineux. Si il ne fallait sortir qu’une révélation (mais c’est un peu injuste pour la qualité de tous les intervenants), on retiendra la découverte de la voix de Marion Rampal, complètement investie dans ce fabuleux projet. Rayonnant, tout comme les membres de l’orchestre, Archie Shepp était ovationné par le public debout. Pendant ces trois jours, on a senti le festival liégeois relançé sur de nouvelles bases tant au niveau de la qualité du programme que de l’intérêt du public venu très nombreux : de bon augure pour une 25e édition en 2015 !

Jean-Pierre Goffin