Robert Wyatt: tout ce que vous ne deviniez pas !

Robert Wyatt: tout ce que vous ne deviniez pas !

Baron Wyatt de Weeford (source Wikipedia)

Beaucoup de musiciens font l’objet d’un culte. Comme les Saints d’une religion improbable. Les cas les plus marquants sont bien entendu ceux du « Club des 27 », à savoir Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain ou Amy Winehouse pour les plus célèbres ou du moins les plus cités… en tout cas auxquels il faut ajouter Alan « Blind Owl » Wilson (Canned Heat), Ron « Pigpen » McKernan (Grateful Dead), Dave Alexander (The Stooges), D. Boon (Minutemen), Jean-Michel Basquiat (peintre mais aussi musicien de Gray, groupe de noise/no wave, ce qu’on a tendance à ignorer) et quelques autres encore… dont un belge (oui oui !), à savoir Dennis Wielemans, batteur de Girls in Hawaii. Overdoses, accidents de voiture, suicides, meurtres, noyade (au singulier, pour Brian Jones), etc. Celui qui n’avait jamais entendu parler du « Club des 27 » vient de comprendre de quoi il s’agissait. Enfin, j’espère…

Par contre, les musiciens qui jouissent d’un culte de leur vivant sont nettement plus rares. Même si certains sont décédés aujourd’hui. Mais pas tous, heureusement. Je pense ici par exemple à Frank Zappa, Genesis P-Orridge, Captain Beefheart, Peter Hammill et, vu que c’est le sujet de cet article, à Robert Wyatt. Sans oublier Hendrix et Morrison, de nouveau. Bien entendu, le jazz a aussi ses icônes, comme Charlie Parker, John Coltrane, Charlie Mingus pour ne citer qu’eux. Et, comme les religions, les cultes se partagent, se pratiquent ou font schisme… Mais ça, on s’en fout.

Histoires de famille

Le 8 Pluviôse de l’an CLIII du calendrier républicain, à savoir le 28 janvier 1945, naquit l’actrice Marthe Keller à Bâle, en Suisse. C’était un dimanche, durant la période zodiacale des verseaux, mais cela ne nous intéresse pas. Car ce qui nous intéresse, là, tout de suite, s’est passé exactement le même jour en Angleterre, à savoir à Bristol, approximativement à 850 kilomètres au nord-ouest de la capitale culturelle de la Suisse : la journaliste de la BBC Honor Wyatt donne naissance à un garçon qu’elle et George Ellidge, le père, décident d’appeler Robert. Pourquoi pas, après tout…

Résumer rien que l’enfance du petit Robert serait une entreprise aussi vaste que de réécrire un dictionnaire. On pourrait parler pendant des pages et des pages de ses frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs et de ses rapports avec eux ainsi qu’avec ses parents directs ou même un peu plus lointains qui ont, entre autre, influencé sa vie et ses prises de position politiques qui, je vous rassure tout de suite, virent plutôt tendance gauche, voire communiste (rappelez-vous la pochette du « Little Red Book » de Matching Mole – dont je vais certainement reparler un peu plus tard et n’hésitez pas à m’envoyer des lettres d’injures des fois que j’oublierais !), en sachant que le cousin de sa mère n’était autre que le politicien Woodrow Lyle Wyatt, Baron Wyatt de Weeford, proche de la Queen Mom, ayant commencé sa carrière avec les travaillistes pour la terminer, oh horreur, aux côtés de l’Iron Lady, la sinistre et maléfique sorcière du nord conservatrice, Margaret Thatcher.

Julian Glover, l’acteur que l’on a pu voir dans « Rien que pour vos yeux » (le 12ème James Bond) ou dans « Indiana Jones et la dernière Croisade » (le rôle du cruel Donovan) est, par leur mère commune, son demi-frère ainé de 10 ans. Mark Ellidge, son autre demi-frère (par son père) était un photographe de presse cinq ans plus âgé que lui. Il jouera du piano sur plusieurs morceaux du premier album solo de Robert, « The End of an Ear » en 1970.

Très jeune, alors qu’il est encore à la Simon Langton Grammar School for Boys de Canterbury, Robert sera initié à la musique par son père George lorsque celui-ci rejoindra (enfin) Honor Wyatt après 6 ans d’absence. George, en plus d’être psychologue industriel dans l’Angleterre d’après-guerre, était aussi pianiste classique. Il a d’ailleurs enregistré quelques 78 tours. Il emmènera Robert à l’opéra et à des concerts au Royal Festival Hall de Londres avant même qu’il n’ait 10 ans. Très tôt donc, il se familiarisera avec les compositeurs classiques du XXème siècle comme Bartók, Stravinsky, Schoenberg, Britten et d’autres.

Daevid Allen © Amir E. Aharoni (source Wikipedia)

Mais c’est surtout au jazz que son père s’intéresse. En particulier à Fats Waller et Duke Ellington. Son frère Mark aussi s’intéressait au jazz, plus contemporain que celui de son père, il faut dire… À eux deux, ils feront figure de « Profs de Jazz » pour Robert.

L’éducation de Robert ne fut pas des plus conventionnelle : ses parents étant ce qu’on appellerait aujourd’hui des bobos ! Après quelques déménagements, la clique Wyatt-Ellidge débarque à Lydden dans le Kent, à une vingtaine de kilomètres de Canterbury et à moins d’une heure trente de marche pour arriver au pub The Eight Bells, Cannon Street à Douvres, pour y vivre dans une grande maison qui accueille entre autres un co-locataire qui n’est autre que l’australien Christopher David Allen, plus connu sous le nom de Daevid Allen, allias Bert Camembert, Dingo Virgin ou encore Divided Alien. Franchement, ça devait être vachement cool d’avoir Daevid comme coloc !

Puis Robert apprend également la batterie avec le jazzman américain George Niedorf que Daevid a rencontré à Paris et emmené avec lui à Lydden. Franchement, ça devait être vachement cool de vivre à Lydden dans ces années-là ! En 1962, Robert et son prof de batterie partent pour Majorque et y rencontrent le poète Robert Graves.

De Wilde Flowers à Soft Machine

Un an plus tard, Robert rentre en Angleterre et se joint à Daevid pour former le Daevid Allen Trio avec le bassiste Hugh Hopper. Mais le fantasque Allen se barre à nouveau pour Paris, laissant Robert et Hugh qui en profitent pour former les Wilde Flowers avec leurs potes Kevin et Richard, respectivement Ayers et Sinclair. Et Hugh demande à son petit frère Brian de les rejoindre pour tenir la guitare et le saxo. Le groupe n’existera officiellement qu’en 1964 et sera considéré comme le premier des groupes à faire partie de ce qu’on appelle l’école de Canterbury ou la Canterbury scene. On peut qualifier leur musique de pop-psychédélique et expérimentale à la limite du rock progressif.

Pas d’album durant leur existence – jusqu’en 1967 – mais deux sessions d’enregistrement en 1965 qui ne seront éditées en CD qu’en 1994 (Voiceprint – VP123CD – UK) sous le titre prévisible de « The Wilde Flowers » incluant 3 morceaux de Zobe, un autre groupe dans lequel jouait Brian Hopper.

En 1965, après le départ de Kevin Ayers, c’est Robert lui-même qui assure les vocaux principaux. Puis il quitte lui-même le groupe moins de 2 ans plus tard, invité par Kevin et Daevid à rejoindre leur nouveau groupe, Soft Machine.

À noter que, de la séparation des Wilde Flowers, naîtra également Caravan, un autre groupe emblématique de la Canterbury scene, fondé par Richard Sinclair (claviers) et son cousin David (Sinclair aussi – à la basse) avec, au départ, deux autres anciens membres des WF, à savoir Pye Hastings (guitare) et Richard Coughlan (batterie). Avec Soft Machine, Caravan est un groupe majeur de l’école de Canterbury. Robert est donc maintenant le batteur attitré du Soft Machine.

À la fin de la première partie de leur tournée avec le Jimi Hendrix Experience aux États-Unis – il faut dire qu’Hendrix et le Soft Machine ont le même producteur, à savoir l’illustre Bryan James Chandler, plus connu sous le nom « Chas » Chandler, l’ancien bassiste mythique des mythiques Animals et qui deviendra aussi étrangement le producteur de Slade quelques années plus tard – ils se retrouvent à glander à New York en avril 1968 (j’avais 11 ans) et, plutôt que de s’emmerder à faire des mots croisés dans leurs chambres d’hôtel, ils décident d’en profiter pour aller faire un tour au 321 West 44th Street, adresse qui abrite les Record Plant Studios. Ils pourront donc honorer une partie de leur contrat avec Probe Records en enregistrant un album. Il y a là bien entendu Robert Wyatt à la batterie et aux vocaux, Kevin Ayers, basse et vocaux et Mike Ratledge, orgue et piano, avec quelques invités comme Hugh Hopper et le trio The Cake pour les chœurs sur un morceau (Jeanette Jacobs, Barbara Morillo et Eleanor Barooshian). Étrangement, on ne retrouve pas Daevid Allen.

Mais est-ce vraiment si étrange pour un tel personnage ? En fait, si Allen n’est pas à NYC avec le reste de la bande, c’est qu’il s’est fait retirer son visa pour traverser la Manche… « Interdit de séjour en Grande Bretagne… Quelle merde ! » peste Daevid. Il doit donc, à son corps défendant j’imagine, quitter Soft Machine pour des raisons sérieusement indépendantes de sa volonté. Il en profite alors pour former Protogong qui deviendra plus tard le Banana Moon Band, puis Gong tout court après pas mal de péripéties… On connaît l’apôtre, maintenant. Faut dire qu’il a eu une révélation lors d’une nuit de pleine lune en 66’ où il a vu les Octave Doctors, des intelligences supérieures qui le regardaient jouer en live devant un public rock tout en testant une connexion mentale avec ces êtres qui reflétaient l’amour. Mais ça, c’est une autre histoire…

Petite parenthèse pour revenir au Soft Machine de la fin des années 60 : on peut voir une interview et des extraits du set de Soft Machine au Jazz and Pop Festival de Bilzen le 22 août 1969 sur youtube. Et cela vaut franchement la peine… Really !

Bientôt seul… Mais d’abord la machine molle

Mais revenons à notre petit Robert qui, faut le dire, n’est pas très content. En 1970, Soft Machine revient d’une tournée on va dire poliment chaotique, pour ne pas dire carrément merdique. De plus, il en a marre que ses idées musicales passent chaque fois à la trappe. Bon, il tient quand même le coup jusqu’à l’enregistrement du quatrième album qui, faut bien le dire, n’est plus que de la vulgaire jazz-fusion insipide. Soft Machine devient donc aussi inintéressant que le Pink Floyd sans Syd Barrett. On est loin maintenant – c’est mon avis et je le partage – de la Canterbury scene et on se demande, quand on entend cet album, si l’ordre de la Grande Gidouille correspond toujours bien à la musique que fait le groupe depuis le troisième album. Faut dire que le Soft Machine a reçu l’insigne honneur d’être reconnu au Collège de Pataphysique quelques années plus tôt.

Fâché, Robert quitte le groupe. Il participe d’abord à Centipede, un big band de jazz-fusion, puis se produit avec Jean-Luc Ponty, Sugarcane Harris, Michal Urbaniak ou Terje Rypdal entre autres puis fonde enfin et en 1972 son groupe à lui, Matching Mole.

Matching Mole, Matching Mole ? Drôle de nom pour un groupe ! Pourquoi pas Libellule ou Papillon ? Ben oui. Si Soft Machine faisait sans le moindre doute référence au roman de William S. Burroughs que Daevid Allen avait eu l’occasion de voir à Paris, Matching Mole en est juste la transcription phonétique pure et simple : machine molle.

Mais il existe une autre interprétation du nom, ou plutôt un double sens : l’idée de mole (taupe) faisant référence aux Trotskystes qui infiltraient les partis politiques de gauche traditionnels. On savait déjà que Wyatt était loin d’être centriste et encore moins de droite, mais c’est avec le design de la pochette du second album, « Little Red Record », qu’on se rend compte sans la moindre ambiguïté des idées politiques de Wyatt. La face avant de la pochette se présente comme une affiche de propagande maoïste dans laquelle les membres du groupe posent comme tout modèle chinois qui se respecte pour les publicitaires politiques de l’époque du Grand Timonier. Mitrailleuse et drapeau rouge. La face arrière de la pochette arbore, elle, une étoile rouge qui ne prête à aucune confusion.

À noter que le « Matching Mole’s Little Red Record » (1972) est produit par Robert Fripp (King Crimson) et que Brian Eno (Roxy Music à l’époque) y fait une apparition. L’intelligentsia musicale londonienne se serre les coudes, on va dire… Musicalement, Matching Mole renoue aussi avec la Canterbury scene que Soft Machine avait négligé depuis son troisième album.

Entretemps, Robert avait déjà sorti son premier album solo en 1970 : « The End of an Ear » qu’il a enregistré alors qu’il était « en vacances », rapport à Soft Machine. On y retrouve son pote Elton Dean qui avait rejoint SM pour leur troisième album, ainsi que David Sinclair, un vieux de la vielle de l’époque Wilde Flowers et qui avait rejoint son cousin Richard pour fonder Caravan – si vous aviez bien suivi, je n’aurais pas été obligé de le rappeler, n’est-ce pas ?

Là, Matching Mole commence à battre de l’aile et se dissout petit à petit. Robert se met à écrire des trucs qui pourraient lui servir pour un nouvel album solo mais, le 1er juin 1973, à l’anniversaire de Gilli Smyth (de Gong) chez June Campbell Cramer (peintre et poétesse), la merde totale : mort bourré, il tombe du quatrième étage de l’appart de Lady June sur Hall Road à Maida Vale (quartier vachement huppé à l’ouest de Regent’s Park et au nord de Hyde Park à Londres). Il se casse la colonne vertébrale. Malheureusement, ça arrive. Y en a d’autres qui se noient dans les piscines, n’est-ce pas, Mister Brian Jones ?

Wyatt aurait raconté en 2012 sur Radio 4 de la BBC qu’il avait viré vachement alcolo lors de la tournée Soft Machine + Hendrix dont je parlais plus haut. Apparemment, Mitch Mitchell et Noel Redding étaient plutôt genre boit-sans-soif. Il a aussi fréquenté Keith Moon, son collègue batteur des Who qui, grand connaisseur, lui a fait découvrir les effets particuliers de l’alternance shot tequila / Southern Comfort – le bourbon sucré que Janis Joplin s’enfilait sur scène… Wyatt dit aussi, et je veux bien le croire, que son « accident » lui a, d’une certaine manière, sauvé la vie. Qu’il serait certainement mort plus tôt, rapport à ses excès ou à ses comportements complètement imprudents.

Toujours est-il que le petit Robert, lui, s’en est vachement mal sorti : paraplégique, paralysé des orteils à la taille, il est depuis PMR comme il est d’usage de le dire aujourd’hui. Accident qui l’a empêché, j’imagine, de participer à l’album « Lady June’s Linguistic Leprosy » paru en novembre 1974 avec comme musiciens rien moins que Kevin Ayers, Brian Eno, Pyp Pile, et j’en passe…

On n’a pas parlé de Wyatt Aid à l’époque (les « Aids » n’étaient pas encore à la mode dans ces temps-là, le Live et le Band ne sont, eux, arrivés que dans les années 80’), mais plusieurs initiatives ont vu le jour. Le Pink Floyd a donné deux benefit concerts le même jour, le 4 novembre 1974, avec le soutien de John Peel et du Soft Machine. Ce qui a quand même rapporté à Mister Wyatt la modique somme de £ 10,000. Et, vu le taux de la livre sterling en novembre 1974, cela faisait quand même à peu près € 20,490. À replacer aussi dans l’époque ! De plus, pas mal d’amis de sa femme, la compositrice et peintre Alfreda Benge, y ont été de leur portefeuille, comme Jean Shrimpton qui leur a offert une voiture (Mrs Shrimpton a été une figure emblématique du Swinging London et fût la mannequin la mieux payée au monde dans les années 60) ou encore l’actrice Julie Christie qui leur a prêté son appart londonien que le couple lui a ensuite acheté. Pas mal les amis, quand même, non ?

Bon, retour aux choses sérieuses : je parlais du Pink Floyd un peu avant. Il faut rappeler que sur l’album de Syd Barrett « The Madcap laughs » (enregistré entre mai 68 et août 69), on retrouve tout le Soft Machine de l’époque en guest, à savoir Hugh Hopper, Mike Ratledge et le petit Robert, bien entendu.

Pour ce dernier, la batterie, c’est donc fini. Il entame alors sa carrière solo. En 1974, il sort son deuxième album solo, « Rock Bottom », produit par Nick Mason, le batteur du Floyd. On y retrouve Mike Oldfield, Hugh Hopper, Richard Sinclair, Gary Windo, Laurie Allan, Mongezi Feza, Ivor Cutler et, j’ai gardé le meilleur pour la fin, Fred Frith. Robert y joue des claviers, de la slide guitar, des percussions et fait la plus grande partie des vocaux. Sa femme Alfreda s’y trouve aussi pour les vocaux sur un morceau.

Une bonne partie des morceaux avaient déjà été écrite au début 73 à Venise avant l’accident. Il y séjournait avec Alfreda qui travaillait comme assistante monteuse sur le film « Don’t Look Now » de Nicolas Roeg, bien qu’elle ne soit pas créditée au générique. « Rock Bottom » qui a reçu en 1974 le grand Prix du Disque de l’Académie Charles-Cros est considéré par beaucoup comme un incontournable. Alain Dister, le journaliste cofondateur de Rock & Folk le considère comme, je cite, « l’un des chefs-d’œuvre les plus originaux de l’histoire du rock ».

La même année, Wyatt sort une reprise de « I’m a Believer », second single des Monkees, morceau écrit et composé par Neil Diamond. Ce sera pour Robert un petit succès commercial : il restera cinq semaines dans les charts UK et atteindra la 29ème place.

L’année suivante voit sortir « Ruth Is Stranger than Richard », (sorte de jeu de mots avec « truth is stranger than fiction ») un nouvel album toujours produit par Mason. Aucune composition personnelle, juste des arrangements de morceaux composés par ses amis (Phil Manzanera, Hugh Hopper, Fred Frith, …). Les influences deviennent plus jazz avec quelques colorations africanisantes.

Durant les années 70, on le voit travailler avec un paquet de musiciens et groupe de tous bords : Henry Cow, Hatfield and the North, Carla Bley, Brian Eno, Phil Manzanera (Wyatt participe d’ailleurs à son premier album solo), Michael Mantler (pour qui il récite des poèmes d’Edward Gorey sur l’album The Hapless Child, avec, entre autres, Steve Swallow, Jack DeJohnette, Carla Bley, Terje Rypdal, dont les cinq premiers morceaux sont mixés par Nick. Nick qui ? Mais Nick Mason, bien entendu !

En 1982, il enregistre une version de « Shipbuilding » d’Elvis Costello (qui sera présent pour les chœurs dans le morceau). Cette chanson traite de manière ironique le fait que la guerre, celle des Malouines, en l’occurrence, apporte pas mal d’argent aux entreprises de constructions navales militaires. Le single n’a pas eu de succès directement, mais à sa réédition, huit mois plus tard, il entre dans les charts UK et atteint la 35ème place en y restant six semaines et le NME (New Musical Express) l’a élu 3ème meilleur morceau de l’année 1982. L’interprétation de ce morceau est en soi une prise de position de Wyatt qui, depuis quelques années, politise ses projets. Il est d’ailleurs devenu porte-parole du CPB, Communist Party of Britain.

C’est aussi en 1982 qu’il sort sa compilation « Nothing Can Stop Us », ouvertement politisée, avec des compositions personnelles comme « Born Again Cretin » (encore un jeu de mot sur « borna gain christians »), des traditionnels comme « Red Flag » ou des reprises comme « Stalin Wasn’t Stallin’ » du Golden Gate Quartet et « Strange Fruit » immortalisé par Billie Holiday. Et même « At Last I’m Free » de Chic ! Why not, après tout ?

Après une BO de film (« The Animals Film ») en 1982, Robert sort quelques nouveaux albums : « Old Rottenhat » en 1985, « Dondestan » en 1991, son meilleur album depuis « Rock Bottom » pour lequel sa femme Alfreda a écrit cinq poèmes (c’est d’ailleurs elle qui s’occupe de la plupart de ses pochettes), puis « Shleep » en 1997. En 1998, Wyatt sort « Dondestan (Revisited) », nouvelles interprétations des morceaux dans un ordre différent. « Cuckooland » en 2003, « Comicopera » quatre ans plus tard clôturent sa discographie solo.

On le retrouvera aussi un peu partout à toutes les époques, avec David Gilmour, Gilad Atzmon, Björk, Pascal Comelade, Ben Watt, Bertrand Burgalat (il chante « This Summer Night » écrit par sa femme Alfie sur l’album « Chéri B.B. » en 2007), Charlie Haden, Hot Chip, Epic Soundtracks, ou tous ceux dont j’ai déjà parlé plus haut… Et j’en passe, et des dizaines.

On ne compte plus le nombre de ses participations à des albums-projets divers. Ni même les compilations de ses morceaux, comme celle sortie en 2014 « Different Every Time » en deux volumes, le premier « Ex Machina » qui reprend un morceau de Soft Machine, deux de Matcching Mole et dix autres de ses projets personnels et le deuxième volume « Benign Dictatorships » qui reprend 17 morceaux auxquels il a participé en tant qu’invité.

Cela fait aujourd’hui huit ans que Robert Wyatt a pris sa retraite. Comme il le dit lui-même, il y a une fierté à s’arrêter… Il est toujours marié depuis 1974 à Alfreda « Alfie » Benge qui a fait, comme je le disais plus haut, les pochettes de ses albums solos, a illustré deux livres pour enfants écrit par Ivor Cutler. Née en Autriche cinq ans avant son mari, elle a étudié la peinture à la Camberwell Art School, le graphisme à la London School of Printing, le cinéma à la RCA.

Et pour terminer (enfin !) il faut savoir que Mister Robert Wyatt est, depuis 2009, Docteur Honoris Causa de l’Université de… Liège ! Eh oui !

À lire absolument si l’on veut en savoir plus :

Marcus O’Dair
Robert Wyatt : Different Every Time

Traduit de l’anglais par Pauline Firla et Louis Moisan,
et paru en 2016 aux éditions Castor Astral

456 pages
ISBN : 979-1-0278-0067-4

Marcus O’Dair est journaliste musical pour The Guardian, The Independent et The Irish Times, et à la radio pour BBC 3 et BBC 6. Il a notamment interviewé Brian Eno, Bjork, John Cale, David Gilmour, Cecil Taylor, Nick Cave… Il est également musicien au sein du groupe Grasscut – que l’on retrouve sur la compilation Different Every Time, tiens donc !

Jean-Pierre Devresse