Joëlle Léandre – Serge Teyssot-Gay, TRANS

Joëlle Léandre – Serge Teyssot-Gay, TRANS

Joëlle Léandre – Serge Teyssot-Gay, Trans (Intervalle Triton)

D’abord, JOËLLE LEANDRE, contrebassiste, compositrice, auteure, poète, agitatrice culturelle, citoyenne engagée, dont les armes principales sont sa voix, sa contrebasse et sa vision décloisonnée des musiques. John Cage et Giacinto Scelsi, entre autres, ont composé pour elle, et pour cet instrument qui continue de fasciner, d’intriguer. De la scène de la musique contemporaine, Joëlle Léandre passe régulièrement à celle des musiques improvisées, parfois cataloguées free jazz, mais là c’est une autre histoire. Du côté des  libertés et de l’égalité, parfois chèrement payée, ses camarades de jeux se nomment Anthony Braxton, Evan Parker, John Zorn ou encore des frères “quatre cordes” comme William Parker ou Barre Philipps, sans oublier ses sœurs Lauren Newton, Irene Schweizer et Marilyn Crispell. Quant à la guitare, cette petite fille de grand-mère contrebasse, Léandre n’en est pas à son coup d’essai dans la rencontre. Avec Noël Akchoté, un autre irréductible, elle croisera sons et vibrations avec une grande fulgurance dans la composition instantanée. Ensemble, ils ont même enregistré un album de conversations improvisées, dans la cuisine de Joëlle, rue Lepic, au cœur du quartier de Montmartre, encore chargé du souffle de Louis Armstrong, Dexter Gordon ou encore Charlie Parker.

En face, sur “TRANS”, il y a SERGE TEYSSOT-GAY, guitariste de Noir Désir, pivot central de la ligne musicale et artistique du groupe. Comme d’autres “rockers” avant lui, dès 1996, il se lance dans des aventures expérimentales,  même en solo, et comme Joëlle Léandre, parfois jusqu’à se mettre au service de la littérature et plus particulièrement la poésie, pour donner une nouvelle dimension aux textes, aux mots, à leur musicalité propre, au rythme que peuvent générer la succession des phrases. À la suite de l’arrêt de Noir Désir (2003), Serge Teyssot-Gay crée le duo Interzone avec le oudiste syrien Khaled Al-Jaramani rencontré à Damas lors d’une tournée de Noir Désir. Sa rencontre avec le guitariste Marc Sens et le batteur Cyril Bilbeaud donnera naissance au trio Zone libre.

L’album “TRANS” est la captation en public d’un concert né d’une initiative privée de soutien au “POINT ÉPHÉMÈRE“(New Noise) et la première rencontre entre ces deux chercheurs, joueurs de cordes frappées, caressées, pincées, tirées. Comme souvent, Joëlle Léandre crée d’abord l’espace, le volume, les dimensions, par un travail à l’archet reconnaissable entre mille ! Serge Teyssot-Gay se glisse, dans les interstices, propose lui aussi nappes sonores et notes en ostinato. Ces deux esprits libres sont armés de deux instruments d’époques différentes, l’un acoustique et l’autre électrique, et pourtant, la magie opère : une histoire se construit, partie de rien, et qui ouvre sur l’infini. Dénominateurs communs : intensité, radicalité et musicalité. Et puis, deux autres cordes diront l’histoire, celles de la voix de Joëlle Léandre,  sans concessions, qui ose dire dans l’instant, passant ainsi de la note juste au mot juste. De la respiration saccadée, de ce chant qui rappelle parfois le chant originel des indiens d’Amérique, de cette voix ponctuée par des suites de notes qui battent le rythme autant qu’elles creusent, Joëlle écarte le chemin et libère le duo, comme un signal pour un lâcher prise, pour un crescendo qui conduit ces deux monstres des cordes au sommet : douze cordes pour secouer, remuer, transpercer… transcender !

Philippe Schoonbrood

Depuis cet enregistrement, le duo s’est donné pour nom Addendum et donnera un concert exceptionnel à Bruxelles, au BRAVO, le samedi 14 juin prochain, à 20h30.

Certes, ce sera sans aucun doute un autre “TRANS”, mais un “TRANS” tout de même !

MANTEAU ROUGE PROD

PS : dommage que le concepteur de cette belle pochette, à partir d’œuvres à l’encre de chine, réalisées par Joëlle Léandre, soit complètement passé à côté du critère de lisibilité des textes !