Number Junky : Earth Matters
Après s’être fait connaître en Europe, et plus particulièrement en Angleterre, grâce à cinq albums encensés par la critique, le guitariste danois Kristian Borring s’est relogé à Perth, en Australie, où il a fondé un nouveau trio avec une rythmique comprenant deux musiciens locaux : le contrebassiste Zac Grafton et le batteur Peter Evans. Il y enseigne également la guitare au « Western Australian Academy of the Performing Arts » tout en menant des recherches sur les rythmes complexes et les métriques additives. Pas étonnant dès lors que le dossier de presse de ce sixième album insiste sur la segmentation du rythme en éléments parfois combinés de manière bizarre. Pas de panique toutefois ! A l’écoute de ces dix morceaux, ce procédé technique restera globalement transparent pour beaucoup de mélomanes. Tout au plus, suspecteront-ils la complexité sous-jacente de la musique qui a été voulue à la fois accessible et expérimentale : un curieux antagonisme existant notamment dans le titre éponyme qui se caractérise par un thème accrocheur ancré sur une rythmique à la signature alambiquée.
Guitariste accompli avec un phrasé fluide et une sonorité chaleureuse, Kristian Borring joue dans un style moderne quelque part entre Pat Metheny et Kurt Rosenwinkel, bien que d’autres références puissent également être citées. Un des morceaux comme « Freiburg (Black Forest) » est une petite miniature capable de pourvoir de l’émotion grâce à un registre étendu de nuances. La guitare y prend son envol sur une belle ligne de basse, délivrant des phrases aériennes qui s’étirent et se perdent dans la distance avant le retour du thème. On notera encore deux surprenantes compositions de Charlie Parker, « Cheryl » et « Segment » (un thème en mineur déjà repris par Kurt Rosenwinkel sur son album « Intuit »), rendues dans des arrangements inédits qui leur procurent un surcroît d’accessibilité. Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner la participation sur trois titres (dont un splendide « The Elf » plein de vitalité) du pianiste d’origine cubaine Fabian Almazan (Terence Blanchard Quintet) qui apporte encore davantage de variété au répertoire.
Par sa maturité, sa sonorité lustrée et ses qualités mélodiques et harmoniques combinées à l’exploration de rythmes savants, cet album très travaillé ne pourra que séduire les fans de jazz et de guitare en particulier… et le fait qu’on l’ait nommé « Earth Matters », pour mettre en exergue une conscience environnementale, est une qualité en plus qui m’incite à vous le recommander chaudement.