New Orleans Jazz & Heritage Festival 2014
45 ème édition du New Orleans Jazz & Heritage Festival !
de notre correspondant “permanent” Robert Sacré
Voilà bien un festival de tous les contrastes, de toutes les musiques : le New Orleans Jazz & Heritage Festival. Unique en son genre, ce festival reste fidèle à l’image de marque de cette ville cosmopolite où tous les styles musicaux coexistent, et en bonne harmonie, depuis toujours . Tous les clubs de la ville, de la nauséabonde Bourbon Street au Faubourg Marigny avec Frenchmen Street qui,il n’y a pas si longtemps, n’attirait que les vrais amateurs des musiques locales. Mais la notoriété de Frenchmen Street a été boostée par la série télévisée “Treme”. Le lieu est donc envahi par des cohortes de touristes excités, de marginaux dépenaillés. Il y a aussi Oak Street avec le “Maple Leaf Bar” et quelques autres lieux qui place le jazz en haut de l’affiche, ainsi que le blues, la soul, les musiques africaines et latinos, le funk et même le rock. Même la “Louisiana Music Factory”, le seul grand disquaire encore en activité, a déménagé du début de Decatur Street (près de Canal Str) au 421Frenchmen Street, et se placer ainsi au centre de l’action. Pendant le festival, il proposait des concerts gratuits, de midi à 19h00, avec de grands noms des musiques de Louisiane et de NewOrleans : Johnny Sansone avec Allen Toussaint en guest surprise, Nathan Williams et les Zydeco ChaCha’s, Trombone Shorty,KermitRuffins, Zachary Richard, Walter Wolfman Washington,EricLindell…Quant au festival proprement dit; 7 jours de concerts, répartis sur deux week ends consécutifs, du 25 au 27 avril et du 1er au 04 mai, il proposait un nombre effarant de concerts sur douze scènes, et ce de 11h00 du matin à 20h00. Cette année, l’invité d’honneur était le Brésil – Coupe du Monde de football oblige ? – avec une multitude de concerts sur quasiment toutes les scènes.
Le bilan de cette 45e édition est éloquent : 7 jours et plus de 435.000 mille spectateurs qui ont foulé le sol du “Fairgrounds Race Course”, l’hippodrome qui est, depuis le début, le site de cette manifestation hors normes. De plus, il faut compter avec les millions de téléspectateurs qui ont pu suivre certains concerts, chez eux, devant leur télévision, branchée sur la chaîne AXS TV (extraits toujours disponibles). On l’a deviné, le choix fut cornélien, il y a toujours, à tout moment, 3 ou 4 concerts auxquels on aimerait assister, il faut donc choisir pour pouvoir se déplacer d’un site à l’autre, un parcours du combattant chronophage, sous un soleil de plomb….
The Jazz Tent
C’est la station de radio “WWOZ FM 90.7” qui sponsorise la Jazz Tent et, on le sait, la Nouvelle Orleans est une ville du jazz, depuis les origines. Chaque jour, le programme était donc occupé par de nombreux groupes locaux, en particulier des Brass Bands qui sont à nouveau très à la mode depuis la série télévisée “Treme”, et le plébiscite unanime des touristes du monde entier, qui se rendent au Mardi Gras de février ou en villégiature printanière au moment où les festivals commencent à se succèder. On a ainsi pu admirer les harmonies du New Birth Brass Band, du Young Tuxedo Brass Band, du Treme Brass Band, du Rebirth Brass Band et aussi du plus réputé (en Europe) Dirty Dozen Brass Band, sans oublier Gerald French avec l’Original Tuxedo Jazz Band et George French et son New Orleans Storyville Jazz band ou encore le fameux Preservation Hall Jazz Band. Les Black Indians sont aussi très populaires dans cette ville où ils paradent comme de mombreux autres orchestres. Au festival on entendra aussi BigChief Monk Boudreaux et ses Golden Eagles ou BigChief Bo Dollis et ses Wild Magnolias, ornés de plumes multicolores, pour des spectacles hauts en couleurs, époustouflants, festifs, à ne pas rater. D’autres nostalgiques ont pu apprécier le travail d’un clone comme cet Original Dixieland Jass band, tandis que le jazz tradionnel était incarné par Kermitt Ruffins, célèbre comme trompettiste émule de Louis Armstrong , mais aussi comme cuisinier. En effet, ses BBQ sont célèbres, et ce, à juste titre, j’en suis le témoin privilégié ! De plus, Kermit Ruffins est le nouveau propriétaire du club “Mother-in-Law Lounge”, ayant appartenu au regretté chanteur Ernie K-Doe. Il a sauvé ce club de la destruction, en réparant les dégats causés par l’ouragan Katrina (2005), il s’y produit donc régulièrement 1500 N. Claiborne Avenue). Le jazz Dixieland était aussi au rendez-vous avec Bob Wilber et les Dukes of Dixieland . Un jazz plus moderne au programme aussi au travers de la famille Marsalis : Branford, Ellis et Delfayo, chacun avec son band, le Terrance Blanchard Group, Al Jarreau, RachellFerrell, Chick Corea….. et une icone du free jazz, en la personne de Pharaoh Sanders !
The Blues Tent
Cette année, la Blues Tent fut le rendez vous de grandes pointures, locales bien entendu, mais aussi d’ailleurs. Avec, sur le plan local, une mention particuière à Ben Sandmell (batteur, journaliste, auteur) qui a ouvert le bal au tout premier jour du festival, avec le chanteur soul Tommy Singleton, mais aussi l’excellent guitariste de blues Ernie Vincent qui reviendra quelques jours plus tard avec ses Top Notes. Excellent concert aussi de Joe Louis Walker, agressif, mordant, au sommet de sa forme malgré une rage de dents qui le dechaîne littéralement et l’oblige à se transcender, à la conquête du public. Autre coup de cœur aussi pour le polyvalent Paul ” Lil’ Buck” Sinigal, ancien guitariste de Clifton Chenier, au four et au moulin : son toucher de guitare est unique, raison pour laquelle on le retrouve dans des formations de blues, mais aussi sur la scène zydeco, où on se bouscule au portillon pour obtenir sa collaboration. Quant à Irma Thomas, elles est toujours l’icône la plus révérée de la scène New Orleans, la diva du blues et de la soul, et même du gospel. Démonstration faite sur la scène « Acura », mais aussi sous la Gospel Tent. Une toute grande voix et un swing imparable. Mon vieil ami , le pianiste Henry Gray, a lui aussi donné un concert mémorable, comme chaque année d’ailleurs, et chez lui, le temps passe sans laisser de traces…. Quelle santé, à plus de 89 ans ! Mention aussi à Johnny Sansone, guitariste, chanteur, harmoniciste, accordéoniste, qui se produit, avec talent, aussi bien avec son propre groupe qu’avec Tab Benoit (habitué du festival lui aussi) ou les Voices Of The Wetlands All Stars et autres formations. Que dire de Marcia Ball et Allen Toussaint, deux pianistes et compositeurs hors du commun. Quand l’une revendique ses origines louisianaises et jouit d’une popularité immense et justifiée, l’autre a fait fortune avec sa propre musique, ses maisons de disques, en produisant tous les grands artistes de sa ville. Toussaint conduit lui-même sa Rolls Royce étincelante et donne des concerts tout à fait craquants ! Hors scène, élégant, dandy, réservé et modeste, il est d’un abord facile et amène avec tout un chacun . Enfin, un mot sur le concert de Spencer Bohren, un musicien qui excelle en tout, que ce soit le chant, les instruments à cordes, avec son fils à la batterie… et au piano ! Ce fut pour moi un des moments clés de tout le festival, pour preuve une standing ovation impressionnante en fin de concert.
Parmi beaucoup d’autres encore, je m’en voudrais de ne pas mentionner les performances fort appréciées d’un public enthousiaste et nombreux (chaque concert était sold out !) de gloires locales comme le pianiste Davell Crawfordet, Guitar Slim Junior (fils de Eddie « Gt Slim » Jones), Deacon John, la famille Neville presque au complet – Yvan avec Dumpstafunk, Cyril, Charmaine et Aaron, chacun avec son band – Little Freddy King, Sunpie, Henry Butler, Walter Wolfman Washington, J.Monque D., Big Al Carson (avec ses 130 kg qu’il porte désormais avec des béquilles !) , IroningBoard Sam(sa planche à repasser/keyboardsrutillante), Jon Cleary. Il y avait aussi les “visiteurs” talentueux comme Eric Lindell avec le guitariste Texan AnsonFunderburgh, Keb Mo’, Eden Brent, Anders Osborne, Roy Rogers, Bernard Allison, les North Mississippi All Stars (avec Sharde Turner, la fille du regretté Othar Turner) et Johnny Winter, très fatigué, marqué par l’âge, assis, les yeux fermés, avec l’air de se demander ce qu’il foutait là.
R&B – Sweet Soul Music
Lors de ce festival, on ne pouvait négliger les concerts des grands représentants de genres apparentés au R&B comme Sonny Landreth ou Charlie Wilson, et de la soul comme Charles Bradley (sous la Blues Tent), Bobby Womack , Chaka Khan, Brother Tyrone, Wanda Rouzan, Jean Knigh t(Mrs BigStuff en pleine forme, après toutes ces années !), les Dixie Cups (qui fêtaient 50 ans de carrière, vues pour la première fois en 1978 lors du “NOLA Fest” sur le Natchez, bâteau à aubes voguant sur le Mississippi ! En échangeant ces vieux souvenirs, j’ai reçu bisous, hugs et un morceau de gâteau ! Ah ! J’allais oublier la coqueluche du moment, Trombone Shorty et son soul funky avant-gardiste, qui s’est produit sur la scène “Acura” grâce à sa notoriété locale et internationale.
Rock et Blues-Rock
Les amateurs de rock étaient eux aussi à la fête, avec des superstars sur les scènes “Acura” et “Samsung-Galaxy”, avec chaque fois de 50.000 à 70.000 spectateurs, serrés comme des sardines en boîte, seulement quelques centaines de privilégiés devant la scène, les autres se contentaient de scruter des écrans géants. Ici réside tout le paradoxe de ce type d’événement, on y vient pour écouter et voir en 3D, de grandes vedettes, et au bout du compte on en est réduit à la 2D comme à la télé ! Mais quand on aime, on ne compte pas les D, ce fut donc la toute grande foule pour Eric Clapton, Bruce Springsteen, Robert Plant, Santana et même Christina Aguilera. Dans ce genre musical-là, j’ai eu beaucoup de plaisir à écouter un vétéran du rock, Mr. Bozz Scaggs en personne, dans un programme assez blues (dans la Blues Tent), mais aussi le concert de John Fogerty, acclamé par un public enthousiaste, accompagné par un de ses fils à la guitare, rejoint sur scène par une série d’invités : Anthony Dopsee (accordéon), Rockin’ Dopsee Jr. (frottoir) et le violoniste cajun Joel Savoy. Je soulignerai ici aussi les concerts de John Hiatt, John Mooney et Lyle Lovett.
“Scène Fais-Do-Do” pour Musique Cajun et Zydeco
Pas de New Oleansfest’ sans ces fleurons de la culture spécifique pour l’état du Pélican, avec des vétérans de la musique cajun blanche comme Zachary Richard , Beausoleil et Michael Doucet, D.L. Ménard, Feu Follet, Wayne Toups (sur la prestigieuse scène Acura), Bruce Daigrepont, Marc et Ann Savoy avec du sang neuf en la personne de leur fils Joel Savoy (violon) et des musiciens de la générration montante comme Steve Riley, les Pine Leaf Boys et Cedric Watson. Ce dernier est aussi un musicien Zydeco renommé. Enfin, même le “swamp-pop” était représenté par le vétéran Warren Storm ! Quant à la musique zydeco noire, très dansante, et encore plus populaire que par le passé, les grandes pointures de ce genre musical étaient au rendez-vous : les anciens comme Nathan Williams, Buckwheat Zydeco, Terrance Simien et Chubby Carrier qui se sont particulièrement distingués. Le concert de Lynn August, sous la Blues Tent, a lui aussi été remarquable, particulièrement en première partie (accordéon chromatique) , la seconde partie à l’orgue Hammond B3) fut quant à elle un peu décevante. Et puis, les modernes, comme Geno Delafosse, Rockin’ Dopsee Jr., Cedric Watson, André Thierry, C.J. Chenier, Lil Nathan, Keith Frank, Corey Ledet, Dwayne Dopseeont n’ont pas manqué de fait tanguer les scènes et provoqué le déhanchement du public, avec une mention spéciale pour la sweatheart du zydeco : la jolie Rosie Ledet, impeccable au chant, à l’accordéon et quand elle danse ! Tous ont été fidèles au mot d’ordre : « Laisse le bon temps rouler….hé toi ! ».
Gospel Tent
La musique gospel continue à jouer un rôle primordial dans la culture africaine-américaine. Pour preuve, du matin jusqu’au soir, pendant les 7 jours de festival, la “Gospel Tent” affichait complet . On a vu y défiler beaucoup de groupes locaux, parfois très amateurs, des chorales d’écoles, des chorales imposantes d’églises de New Orleans ou de la périphérie , des quartets masculins, des groupes féminins et mixtes dont c’était les “50 minutes” de gloire. Néanmoins, il y eut aussi des groupes confirmés et talentueux, habitués à tourner dans tout le pays comme les Rocks Of Harmony, les Zion Harmonizers et les New Orleans Spiritualettes, dont le professionnalisme est au top, pour preuve, ils sont programmés chaque année. On notera aussi des formations plus locales, mais d’un niveau international comme la Boutte Family Gospel ou Lois Dejean, une chanteuse hors pair qui se produit avec toute sa famille, filles, fils, les gendres et les petits enfants… un des meilleurs concerts de la série ! Enfin, les groupes et solistes venus d’autres états des USA, comme Dottie Peoples, Dr. Bobby Jones et son Nashville Super Choir, les Crown Seekers, Spencer Taylor et les Highway Q.C.’s, Lisa Knowles et les Brown Sisters, Rance Allen, Craig Adams, Mary Mary, les Sensational Chosen Voices et bien d’autres encore, sans oublier Irma Thomas, la star locale, et son concert annuel de blues et de soul sur la grande scène “Acura”, suivi d’un autre spectacle de gospel sous la tente ad hoc. “Hallelujah !” que la musique était bonne…
Espace “Interviews”
Pour terminer, je m’en voudrais de ne pas signaler cet espace “Interviews” qui permettait, entre deux concerts, d’aller renconter et écouter des musiciens interrogés par des professionnels de la presse ou de la radio. Et, bien entendu, si on le souhaitait, on pouvait échanger quelques propos avec eux. Se sont ainsi pliés à l’exercice, Ruby Wilson, Charlie Wilson, C.J.Chenier, Davell Crawford, Allen Toussaint, Henry Butler, Lillian Boutté, André Thierry et la famille Savoy (Marc, Ann et Lionel), entre autres.