Bobo Stenson et l’inspiration du moment
Pour la sortie de son nouvel album « Sphere » chez ECM, le pianiste suédois nous a accordé une courte interview.
««Sphere» est en fait un tissu de coïncidences car rien n’est programmé à l’avance.»
Après Satie, Mompou, Bartok sur l’album « Contra la indecision », vous avez cette fois puisé votre inspiration pour « Sphere » chez les musiciens scandinaves. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?
Bobo Stenson : C’est arrivé comme ça, comme sur tous les disques en trio… C’est rare de décider à l’avance qu’on jouera ou qu’on enregistrera ceci ou cela. Ce sont des choses qui arrivent ainsi, puis on se dit qu’on peut essayer tel ou tel morceau, le résultat est en fait un tissu de coïncidences car rien n’est programmé à l’avance.
Vous voulez dire que vous choisissez les thèmes sur le moment ?
B.S. : Cela peut arriver, mais en général, nous essayons les pièces et voyons ce qu’on peut faire avec. Dans le cas précis de cet enregistrement, le covid a fait que les morceaux étaient choisis bien avant l’enregistrement, mais vu les circonstances, nous n’avons pas eu l’occasion de les mettre en place. Dans ce cas-ci, nous savions donc ce que nous allions enregistrer. Mais ensuite, lorsque vous êtes dans le studio, les choses vont peut-être sonner différemment que ce que vous pensiez en arrivant. Vous suivez l’atmosphère, le son du moment, c’est chaque fois différent de ce que vous imaginiez au départ.
Il y a, par exemple, deux versions de « You Shall Plant a Tree », une question d’atmosphère ?
B.S. : La raison est que nous avions différentes prises. Manfred, qui est comme toujours très impliqué dans les projets, aimait beaucoup ce morceau et a proposé que nous en mettions une version au début et une autre à la fin de l’album.
Y a-t-il aussi dans ce titre la volonté d’une prise de conscience de l’importance de la nature ?
B.S. : Ça a plutôt à voir avec comment devenir une bonne personne.
Norgard était influencé par la place de l’humain dans le monde.
B.S. : Oui, on peut en effet se référer à cela.
Quant à « The Red Flower » de Jun-Hee Woo, j’ai eu beau chercher des informations sur ce compositeur, je n’ai rien trouvé…
B.S. : Oui, en effet, vous auriez du mal à trouver des informations sur cette personne : c’est un compositeur de Corée du Nord. Anders a apporté ce thème car il a été plusieurs fois en Corée du Nord comme professeur à l’université. Parler de jazz en Corée du Nord est quelque chose de spécial… Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, il faudra demander à Anders, il est un expert sur la question… Mais c’est un sujet très délicat : c’est une chanson très populaire là-bas… Mais il ne faut pas en dire plus sur ce sujet, je crois…
Ça sonne un peu comme une pop song.
B.S. : En effet… (rires)
Anders Jormin est quelqu’un d’important dans votre trio : comme bassiste, mais aussi en tant que compositeur : « Kingdom of Coldness » et « Unquestioned Answer » sont de lui.
B.S. : « Unquestioned Answer » vient d’une phrase de Charles Ives. Anders est en effet très impliqué dans la composition. Il écrit aussi pour de grands orchestres. Il arrive souvent avec de nouvelles pièces.
«Les standards connus sont tellement bien joués déjà par tant de bons musiciens… Les rejouer encore en studio n’apporterait rien.»
En regardant votre discographie, on s’aperçoit que vous jouez souvent des thèmes peu communs, notamment dans ce qu’on appelle les standards.
B.S. : Les standards connus sont tellement bien joués déjà par tant de bons musiciens, les rejouer encore en studio n’apporterait rien. Il arrive que nous reprenions des standards quand nous jouons avec des invités. Mais il y a à côté de cela tant de belles choses que j’entends et que j’ai envie de jouer.
Ce sont souvent des pièces très mélodiques, tout comme les thèmes latins que vous jouez souvent aussi.
B.S. : Oui, Anders et moi aimons remonter jusque dans les années 70 et reprendre de vieilles chansons, nous trouvons aussi l’inspiration dans la musique cubaine. Encore une fois, il s’agit de choses que nous écoutons et qui nous plaisent, ce n’est pas plus compliqué que cela. Le tout est de trouver notre propre façon de les interpréter.
En parlant de retour dans le passé, vous avez joué avec Toots Thielemans.
B.S. : Je l’ai rencontré souvent en Belgique parce que mon épouse est belge et je reviens souvent ici. Toots a souvent joué en Suède, il y a même vécu. Les gens l’adoraient ici. Je jouais avec Red Mitchell en Suède, et quand Toots est venu en 1968, nous avons formé un trio et Toots a joué avec nous. Nous avons aussi rencontré Ben Webster qui vivait là à l’époque. Ce sont de grands souvenirs !
Bobo Stenson Trio
Sphere
ECM / Outhere