«Les Nuits et les Jours de Querbes», un festival qui sort du …Lot.
Bon d’accord, à quelques hectomètres près, on est dans l’Aveyron… Et puis, le jeu de mots est facile. Mais à Capdenac-Gare, les mots ont de l’importance, autant que la musique. Et un festival qui mêle littérature et jazz mérite qu’on en parle.
Pour se rendre de Capdenac-Gare à Querbes, il faut emprunter de petits chemins dans les bois, avec, aux détours d’une route, de splendides vues sur la vallée. Vous ne trouverez Querbes sur aucune carte Michelin, le hameau fait dix habitants et c’est là que Jean-Paul Oddos a débuté les concerts de jazz, dans la grange à côté de sa maison du XVIe siècle : « Le tout premier concert a eu lieu dans la grande grange il y a vingt-cinq ans : une guitare électrique et un artiste qui avec une disqueuse projetait des flammes sur une grande surface de verre couverte de peinture : les étincelles de la disqueuse faisaient fondre la peinture et créaient l’œuvre spontanée. » Des idées, Jean-Paul en a plein les poches, et il en faut pour faire vivre un festival dans ce petit coin entre Lot et Aveyron.
Vingt-six éditions plus tard, le festival est descendu de Querbes vers Capdenac-Gare, et s’étend sur trois jours, entre la vieille halle et le joli parc de Carpèle et ses cèdres centenaires, avec quelques incursions sur Figeac, mêlant jazz et littérature pour un public de plus en plus fidèle au concept. Cette année, trois écrivain.es viennent présenter leur dernier livre, en discuter avec le public et quatre comédiens en lisent des extraits qu’ils ont choisis. Séduisant mariage entre musique et littérature qui traversera les trois jours du festival, des extraits d’auteurs étant même lus avant chaque concert, belle idée de mise en condition pour les spectateurs.
En ouverture, sous la halle, « Château Cosco », un trio guitare-contrebasse-batterie ouvre les festivités musicales et met d’entrée le public au parfum : « On vous jouera « My Favorite Things », mais ce sera le seul morceau de jazz que vous entendrez ! » prévient le contrebassiste. Le programme ne manque pas d’énergie, de rythmes, de dialogues entre les instruments, de « sortilèges » aussi qui font monter la température et l’ambiance sous l’impulsion d’une batterie au cœur de toutes les propositions. Un concert de feu en ouverture.
La deuxième soirée était celle des « têtes d’affiche ». Dans le petit chapiteau du parc quasi complet pour le concert de « Rouge » ; et on allait constater combien l’audience « querboise » est chaleureuse et attentive. « Rouge » c’est le nom du trio de la pianiste Madeleine Cazenave, du contrebassiste Sylvain Didou et du batteur Boris Louvet dont le premier album « Derrière les paupières » a été repéré par la presse française (Chronique JazzMania). Si un trio piano-basse-batterie, porte en général le nom du pianiste – voire d’un autre instrumentiste – l’appellation « Rouge » montre la volonté du trio de ne mettre personne en avant. Et si la plupart des thèmes sont introduits par le piano, on entend très vite la complémentarité, le partage des rôles entre les musiciens, avec souvent la pianiste soutenant les solistes batteur et contrebassiste par un ostinato parfois obsédant sur des pièces aux inspirations diverses : cinéma japonais, rythme espagnol ou via le placement de scotch ou d’objets divers entre les cordes du Steinway qui donne du relief aux intentions plus méditatives des compositions de la pianiste. Le concert s’articule autour de pièces de leur premier album et du prochain qui sortira début 2024 sur le Label Bleu.
Le quintet « Pronto » a été mis sur pied par le batteur Christophe Marguet et le saxophoniste allemand Daniel Erdmann, absent à Capdenac et remplacé par Géraldine Laurent, une des saxophonistes majeures du paysage jazz français. À leurs côtés, le pianiste Bruno Angelini et la contrebassiste Hélène Labarrière. Le répertoire de leur album éponyme enchaîne les compos du batteur et du saxophoniste. Une superbe ballade, « Elevation » est l’occasion d’un double duo, piano-contrebasse d’abord, tout en subtilité et finesse, puis sax-batterie. Géraldine Laurent sera une seconde fois mise en avant sur « Hôtel Existence » via une belle intro sax-piano, avant le « morceau de bravoure », dixit Christophe Marguet : l’énergique « Pronto Presto » nous offre de beaux unissons piano-contrebasse et sax-contrebasse. « Avant La Parole » confirme la maestria d’Hélène Labarrière à l’archet, puis « DE Phone Home » celle d’Angelini sur un solo somptueux. En bis, la ballade « Numero Uno » renvoie les spectateurs sous les étoiles d’un ciel aveyronnais dégagé par tant de beauté. Le concert du festival.
L’après-midi du dimanche était réservé à la lecture et au stage instrumental : une quarantaine de musiciens amateurs sous la houlette du « Grand Orphéon » ont joué un répertoire de compositions d’Henri Texier et Aldo Romano révélant ainsi l’étonnant travail réalisé en trois jours de stage.
On attendait un feu d’artifice final avec le septet toulousain « BOL » : du feu d’artifice, on eut le vacarme et non la lumière. Fallait-il parler de « post-rock » ? De « punk jazz » ? En tout cas de volume sonore assourdissant, d’un sax et d’une trompette soufflant à satiété, peu de nuances, et des oreilles bourdonnantes à la sortie du chapiteau, la courte mélodie finale répétée comme une ritournelle n’effaçant pas la sensation de trop-plein sonore.
Aux « Nuits et Jours de Querbes », moments de lecture, de conversations avec les écrivains présents sont autant d’instants d’enchantements qui réunissent amateurs de littérature et de musique. Un compte-rendu ne serait pas complet sans citer les écrivains et les comédiens-lecteurs présents, une véritable invitation à la lecture complète des livres présentés, sans compter la lecture nocturne de « Don Quichotte » qui samedi soir a emmené les auditeurs dans les profondeurs de la nuit querboise. Écrit Céline Righi, « Berline » évoque la volonté de survie d’un mineur coincé sous son wagonnet après un effondrement de galerie. « Avant que j’oublie » de Anne Pauly parle du décès du père entre hôpital, enterrement, souvenirs et résilience. De Gilles Marchand, « Le soldat désaccordé » raconte une recherche obstinée pour retrouver une personne sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Des moments d’émotion rendus par les comédien.nes Noëlle Miral, Eva Murin, François Cancelli et Jean-Luc Debattice (oui oui, celui qui dans les années 70 débuta sa carrière au Théâtre de l’Étuve à Liège !)
Le thème du festival était cette année « tenir bon ». « Tenir bon » contre les compromissions d’un secteur musical en difficulté, contre la banalisation d’une culture aseptisée et dirigée par le secteur du commerce, des travers auxquels « Les Nuits et les Jours de Querbes » résistent avec opiniâtreté, et le soutien d’un public enthousiaste et fidèle. Une vraie réussite.
Merci à David Bedel pour les photos.