Janne Eraker : Movements for Listening
Quand on imagine les claquettes, c’est avant tout le son qu’elles produisent qui nous vient à l’esprit. Avant qu’elles ne désignent des sandales tendance, le terme renvoie d’abord à un style de danse qui trouve ses origines lointaines en Irlande. Avec le temps, l’art des claquettes s’est disséminé à maints endroits dans le monde sur toutes sortes de scènes. L’artiste norvégienne Janne Eraker en a fait sa pratique, mais également sa vocation. De longue haleine, son travail ne tient pas seulement dans la figuration des claquettes mais également dans leur représentation sonore, scénique, mais aussi ontologique. Pour ce faire, elle n’hésite pas à ausculter les planchers sur lesquels elle danse, répertoriant les propriétés de leurs bois et leurs qualités sonores pour choisir celui qui conviendra le mieux à ce qu’elle recherche. Édité par le petit label hollandais Esc.rec, connu pour son catalogue curieux, cet album constitue un véritable témoignage de la démarche intime et particulière de Janne Eraker. Décliné en deux vinyles, il reprend une dizaine de compositions initiées avec des musiciens avec lesquels elle est en affinités. Ainsi le pianiste David Arthur Skinner, le guitariste et joueur de fiddle Knut Reiersrud, le percussionniste Anders Kregnes Hansen, le banjoïste Hans Marin Rundberg Austestad… Mais aussi Kristoffer Lislegaard et Harald Fetveit à l’électronique et surtout l’excellent ingénieur du son Audun Strype qui est ici partie prenante du projet. La pluralité des sonorités et des atmosphères explorées, mais aussi la diversité des lieux dans lesquels les enregistrements ont été effectués, confèrent à cette œuvre une valeur inestimable. Plus encore, ce sont les chorégraphies, pulsées ou domptées d’Eraker qui en font son substrat. On se trouve ici à la croisée entre la survivance de musiques traditionnelles (qui auraient pu être éditées par Smithsonian Folkways Recordings), de musiques concrètes et d’avant-garde. « Movements for Listening » porte à merveille son titre. C’est assurément un des disques les plus énigmatiques qui nous ont été donnés à écouter au cours de l’année écoulée.