Cinematic Orchestra ‐ Man with a Movie Camera (De Roma, Anvers, 21/09/23)
20 ans ! 20 ans et plus de 10 à attendre. 20 ans que le collectif nu jazz briton a sorti ce magnifique album, et plus de 10 ans qu’on espère le revoir en live.
Et quel album ! D’album, il n’a presque que le nom, et ce pour tant de raisons. Certains diront que ce n’est qu’un best of, certains diront que ce n’est qu’une version a capella de leurs hits, que l’exercice est facile, que ce n’est qu’une bande-son d’un film supposé rester muet.
C’est vrai. C’est tout ça. Mais au final, cet album n’est-il pas une suite logique dans les albums du groupe ? Ou plutôt, n’est-ce pas un retour aux sources ?
On rembobine la bande de 25 ans ! En 1999, voit le jour un groupe nommé Cinematic Orchestra. Inconnu ? Pas tant que ça. Après avoir passé des années sur les radios musicales les plus prestigieuses, Jason Swinscoe se retrouve chez Ninja Tune, le label londonien downtempo déjà très en vue à ce moment. Il est aussi, et surtout, l’instigateur et propriétaire d’un club, le Loop, à Londres lui aussi, où se produisent DJ et groupes dont la consigne est … de jouer en live de la musique pour un film qui est projeté tout aussi simultanément !
Rien, absolument rien d’anormal, donc à ce que le groupe qu’il décide de monter s’appelle Cinematic Orchestra, et que la musique calme et inspirante qu’ils y jouent trouve son origine et sa destination au pays des bandes sonores de films.
The missing tape
L’histoire du cinéma regorge de pellicules insonores qui méritent toutes de trouver leur âme sœur musicale. Laquelle choisir ? Quelle œuvre habiller ? Comment ne pas dénaturer, voire truander de tels monuments de l’histoire ?
Il n’y a pas de dénaturation dans le sens où l’œuvre originelle reste intacte. Il n’y a pas de truandisme dans la mesure où le film n’est « que » support à la musique. Mais plus qu’un simple support, c’est un véhicule. C’est par lui que la musique nous parvient. Il l’accompagne, il la magnifie et lui donne une raison d’être. Cependant, sans la musique, le film existe encore, et toujours.
Sans pression, il ne restait plus au groupe que de s’emparer d’un des plus anciens films d’art et d’essai que ce monde ait connu : « L’homme à la caméra » de Dziga Vertov. Par son aspect décousu, le film se prête à merveille à une réécriture des morceaux du groupe, d’autant que la mise en abyme du film dans le film permet, voire invite à, l’ajout d’une dimension musicale.
Les petits plats dans les grands
Pour célébrer les 20 ans de l’aventure ciné-sonore, le groupe a décidé de mettre les petits plats dans les grands. Et ne croyez pas que ces mots soient choisis au hasard. Si le film dans le film n’est plus un secret pour personne, la mise en abyme ne s’arrête pas là.
Au lieu de simplement rejouer les morceaux comme ils les jouaient lors de la tournée initiale de l’album, à savoir jouer la bande sonore du film projeté du début à la fin, le groupe a décidé de rejouer la musique ET le film.
Tout du moins, une libre interprétation de celui-ci en utilisant des parties du film lui-même, mais rendant aussi hommage aux techniques primitives mais révolutionnaires à l’époque de sa sortie.
C’est ainsi qu’un castelet était installé au milieu de la scène, ainsi qu’une table et une machine à écrire, des caméras, un projecteur vidéo et un ensemble hétéroclite d’accessoires pour reproduire les techniques d’antan. Phénakistiscope(1), kaléidoscope, larsens vidéo, surimpression, ralentis, accélérés, tant de techniques et d’effets qui remontent à l’invention du cinéma, mais, plus important, autant d’outils qui ont permis de découvrir, d’explorer le cinéma, de l’expérimenter, d’en faire un média véritablement novateur pour les yeux et l’esprit.
Un quatuor à cinq
Si on a déjà pu voir le groupe se produire à dix sur des scènes qui ne pouvaient en contenir autant, la démarche est ici différente. Quatre musiciens sur scène, un vidéaste pour nous faire revivre toute l’intensité de l’image, toute l’intensité de la musique. Ils sont quatre à jouer, mais ils sont 5 à faire vivre la musique. Il est seul à fabriquer les images, mais ils sont cinq pour leur donner corps.
Entre les scènes filmées, comme cette introduction à la machine à écrire, les expérimentations kaléidoscopiques des larsens vidéo, les jeux d’addition et de soustraction à l’image filmée d’un phénakistiscope, la stéréoscopie, les images parlent à la musique et la musique leur répond. La musique fait chanter les images et les images font danser la musique. C’est à un ballet virtuose que nous avons été conviés. Pas à un concert.
Vivre la musique
La musique live est classée dans les « Arts vivants », mais je dois avouer que j’ai rarement eu l’impression de vivre autant un moment, et surtout de le vivre d’autant de manières différentes simultanément. La vie était partout, autant dans la musique que dans ce moment qui se déroulait en direct devant nos yeux ébahis. Si on pouvait s’attendre à aller à un concert de Cinematic Orchestra, on était loin de s’imaginer qu’on allait VIVRE un concert de Cinematic Orchestra. Dans toute sa splendeur et toute sa grâce. Merci. Vous êtes des génies.
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(1) Phénakistiscope : rassurez-vous, il m’a fallu un bon moment pour retomber sur ce terme. C’est un dispositif rotatif circulaire ou en forme de prisme sur lequel sont fixées des images qui défilent devant un orifice ou une fente laissant apparaître l’animation des images se succédant.
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The Deadbeat Club