Marjan van Rompay : Cherche sa «voix» ‐ IWD #2

Marjan van Rompay : Cherche sa «voix» ‐ IWD #2

Dans le cadre de la Journée internationale de la femme, coup de projecteur sur le saxophone de Marjan van Rompay (35). Elle dirige son propre Quartet « MVR », le Wolf trio, ainsi qu’une formation XL à trois voix (Soulflyer – voir la vidéo). Elle participe à divers projets avec l’auteur-compositeur Niels Boutsen/Stoomboot (Zandland), Q-some Band et à un hommage à Aznavour (Merci Charles). Elle enseigne la musique à la Podium Academy de Lier. Marjan est la maman de trois jeunes enfants et l’épouse du musicien Janos Bruneel qui est également impliqué de manière créative dans son quatuor. Il est un contrebassiste fort demandé (Hamster Axis Of The One-Click Panther, Gwen Cresens, Don Marsh V, Bert Joris ft. Sam Joris Octet, Casimir Liberski ReTRio, EMILE,…).

Marjan Van Rompay © InsideJazz

Son récent album du Wolf trio « Circles » avec le pianiste Wout Goorisen et la chanteuse Fien Desmet a reçu les louanges de la critique. Un fan parlait d’un timbre de velours : « La voix sphérique et rêveuse met en valeur le piano intime et des lignes de sax mélodiques contrastées… Le trio Wolf fascine par sa simplicité apparente, les superpositions profondes et sa musicalité contemporaine rafraîchissante ».

Le choix du saxophone s’est imposé à l’âge de 10 ans lorsque Marjan van Rompay a débuté l’école de musique.

Marjan van Rompay : Je trouvais le saxophone tellement cool et ça me procurait un effet « waow » ! L’instrument m’a amené au jazz et à l’improvisation. J’ai découvert le jazz en l’écoutant. L’un des premiers disques que j’ai empruntés à la médiathèque était « Worlds » de Erwin Vann avec Kenny Wheeler et Norma Winstone. J’avais alors 13 ans. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai voulu élargir mes horizons. J’ai suivi les stages de jazz de la Fondation HaleWijn à Dworp et c’est ainsi que suis entrée en contact avec des musiciens étrangers. J’ai donc décidé de poursuivre mes études au conservatoire de La Haye. John Ruocco y donnait cours, ce qui a été décisif dans mon choix. Il y avait également le bassiste Henry van de Geyn, le professeur de saxophone Rolf Delfos, le tromboniste Henk Huizinga pour les cours d’arrangements ainsi que le pianiste Eric Gieben, non seulement très bon professeur de piano, mais également très bon pédagogue en général. Nous étions cinq étudiants en saxophone. Bien sûr, j’ai dû m’imposer dans un monde d’hommes. Jouer du jazz ou du saxophone est quelque chose de très personnel. Chacun y ajoute sa voix. Le fait d’être une femme ou un homme influence cela. C’est une extension de votre personnalité. Il y a beaucoup d’authenticité et je pense que cela s’entend.

Qu’est-ce qui définit votre son ?
M.VR. : Il y a trois choses qui ont déterminé cela. La première était John (Ruocco), qui m’a noyé d’informations et qui m’a beaucoup appris. A 18 ans je me suis agrippée à toutes ses connaissances et j’ai essayé de les comprendre. En brassant le tout, j’ai cherché ma propre voie. Cela a favorisé mon autoconscience et a réduit mon envie de copier autre chose. La deuxième chose est la composition. Le fait de composer est un puissant moyen d’expression. Cela a façonné mon identité de musicienne. La troisième enfin provient de mon entêtement.

Comment avez-vous complété votre apprentissage ?
M.VR. : Hormis Eric Giebenen et Henk Huizinga, j’ai profité des cours du saxophoniste américain David Binney, une personnalité un peu sous-estimée. Sa musique me plaît. La musique d’Erwin Vannop « Worlds » ainsi que la musique de Kenny Wheeler, « Angel Song », m’ont inspirée.

Comment êtes-vous arrivée à votre premier album « Silhouette » ?
M.VR. : C’était mon travail de fin d’études à Anvers, où je suis allée étudier après La Haye. Je préférais être diplômée dans mon propre pays en tant que master au conservatoire d’Anvers. C’est comme ça que j’ai déménagé ici. C’est ainsi qu’à 25 ans j’ai formé le Quatuor MVR pour « Silhouette », avec Tony van Dionant, Janos Bruneel et Bram Weijters. Un deuxième album « Comfort, Solace, Peace » a suivi en 2015 avec Thomas Decock à la guitare et Wout Gooris au piano. Je connaissais Wout depuis mes 16 ans lorsque nous avons formé le tout premier groupe de « Acoustic Illusion » avec Toni Vitacolonna et Dries Laheye. Avec Wout j’ai aussi créé le Wolf Trio qui comprend aussi Fien Desmet au chant.

Marjan Van Rompay © Hugo Van Beveren

Vous avez aussi une fascination pour les voix ?
M.VR. : J’ai jadis réalisé un disque avec un auteur-compositeur-interprète, Nils Boutsen Stoomboot, « Zandland », qui tourne autour du chant et des paroles. J’en ai écrit la musique et j’ai vraiment aimé ça. La voix alto féminine m’inspire. Sur mon deuxième album, c’était Anne Verlinden, avec Wolf c’était Fien Desmet. J’essaie aussi d’imiter les voix sur mon alto. Quand j’écoute de la musique, je suis particulièrement fascinée par les voix. Les chanteurs et chanteuses peuvent vraiment me surprendre, j’essaie d’imiter leur voix avec mon sax. Je cherche ce mélange avec Fien dans Wolf. Pendant la pandémie, j’ai lancé un concert virtuel (voir lien en bas de l’article NDLR) dans un grand line-up, « Soulflyer », qui est une composition de mon quatuor et « Wolf » en quintette avec Ewout Pierreux au piano et Tim Finoulst à la guitare. Ainsi que des membres réguliers, Janos Bruneel à la basse, Tony Dionant à la batterie et en plus trois chanteurs : Merijn Bruneel, le frère de Janos, Sara Raesen et Fien Desmet. Je trouve que l’interaction des chœurs des chanteurs avec le sax excite l’imagination… Il est difficile pour l’instant de faire passer ce line-up en termes de budget et d’encadrement pour un développement ultérieur, mais j’y pense beaucoup. Avec Ewout j’ai joué occasionnellement, encore récemment avec le MVR Quartet en novembre, au Jazz in the Atomium, mais nous n’avons pas encore enregistré ensemble. Avec Wolf, la composition du groupe reste Wout, Fien et moi. Avec mon quatuor, le line-up du futur sera : Ewout au piano au lieu de Tim Finoulst et comme toujours Janos et Toon. Je m’inspire du trio Wolf pour le quatuor. Tous deux sont très instructifs. Wolf a une palette sonore différente, sans basse ni batterie, avec de la place pour l’interaction individuelle, en solo ainsi qu’en duo ou en trio. Un deuxième disque va certainement venir.

Vous cherchez toujours…
M.VR. : Oui, je suis toujours en train de créer, de composer. J’évite de me répéter. Avec une voie authentique, j’essaie toujours de mettre de nouveaux accents, d’aller plus loin, de m’enrichir. Depuis que je suis diplômée, mon son a fort changé, j’ai vécu toute une évolution. Mon travail est très personnel : quand vous m’entendez jouer, vous reconnaissez instantanément que c’est moi. La vie est ce qu’elle est : j’ai une famille, trois jeunes enfants, et je travaille comme professeur de musique. Je ne voudrais pas changer de vie, mais c’est beaucoup de choses à organiser. J’ai du mal en ce moment à faire la promotion de ma musique, la mise en scène, et l’encadrement. Je fais tout moi-même. Même si je n’ai pas été activement impliquée dans la gestion du label… Je devrais aussi faire un travail d’enregistrement et de promotion. D’autre part, le lien avec mon instrument est important. Il me donne satisfaction quand je m’aperçois que je reste à un bon niveau. Si vous ne vous entraînez pas régulièrement avec votre instrument, votre son disparaît très vite. J’ai acheté mon saxophone actuel pendant ma première année au conservatoire, un Selmer Mark VI. Je joue encore dessus, mais je le teste avec des embouts différents. Si je devais perdre ce sax, je le regretterais. Je sais où ajuster l’intonation et après je ne dois plus y penser. Avec un nouvel instrument, je devrais prendre de nouvelles habitudes.

Y a-t-il certaines techniques sur lesquelles vous travaillez ?
M.VR. : Je me suis consacrée avec le saxophone classique aux quarts de ton, avec Bart Van Beneden, les polyphonies et tout cela. J’ai également rencontré le saxophoniste Mark Turner et Matthias van den Brande. Je continue de chercher de nouvelles inspirations.

Qui suivez-vous musicalement et qui vous inspire ?
M.VR. : Les compositeurs que j’écoute en ce moment sont entre autres Nick Drake, Cold Specks. En jazz, David Binney, Lee Konitz, mais aussi Sonny Stitt, et évidemment Charlie Parker. Dans la jeune génération, j’écoute Ben van Gelder. Et plus localement, Ben Sluijs, qui m’a donné cours.

Vous êtes également impliquée dans divers projets, notamment autour de Charles Aznavour ?
M.VR. : Il s’agit d’un hommage nostalgique créé à l’occasion du 100e anniversaire d’Aznavour, que nous jouerons dans le Fakkeltheater (c’était au mois de janvier, au moment de l’interview – NDLR). Il est dirigé par Herman van Hove, avec la chanteuse Lissa Meyvisen, le chanteur Hans Peter Janssens accompagné par l’orchestre Les Bohémiens avec Lester van Loock au piano, Tom Willems à la guitare, Janos Bruneel à la contrebasse, Peter Ploegaerts aux percussions et moi-même au saxophone. C’est un événement assez unique, pas vraiment jazz. Les arrangements sont fixes, mais en tant qu’unique instrument à vent j’y ai trouvé ma propre voix, c’est plaisant. Il y a d’autres projets spéciaux : Zandland avec Stoomboot, pour lequel j’ai écrit de nouvelles chansons et Zulema’s Mamboo Queens. En avril, je joue en tant qu’invitée avec No Wasabi, Rebekka de Bockstael et Machiel Heremans pour « All You Can Jazz » à Lier. Toujours en avril, je joue avec le Q-Some Bigband et Daniel Migliosi au Baixu et à la Schunfabriek au Luxembourg. En octobre, le projet se poursuivra avec Q-Some Bigband et une chorale de 20 membres.

Marjan Van Rompay © Hugo Van Beveren

Quels sont les noms de saxophonistes féminins qui vous plaisent à l’échelle internationale ?
M.VR. : Dans mon propre réseau, je pense à Stéphanie Francke, Choko Igarashi et Elly Brouckmans parmi les saxophonistes féminines. Celles qui m’impressionnent au saxophone au niveau mondial sont Melissa Aldana, Tia Fuller, Tineke Postma. Plus largement, j’aime aussi écouter Elsa Pinderhughes (flûte et voix), Ingrid Jenssen à la trompette et la chanteuse pakistanaise Arooj Aftab.

Quel artiste / saxophoniste vous a laissé une forte impression lors des concerts que vous avez vécus ?
M.VR. : Le concert le plus récent de l’année dernière a été donné à Bozar par le pianiste de jazz Gerald Clayton avec un hommage au peintre Charles White, « White Cities ». C’était avec Marquis Hill à la trompette, Joel Ross au vibraphone, Jeff Parker à la guitare et Logan Richards au sax alto, quelqu’un que j’apprécie vraiment. Il jouait « straight alto » et ça sonnait vraiment bien. La composition du groupe sans batterie et sans basse donnait une très belle texture et tout le monde donnait sa couleur à sa façon à son moment… Sympa quand tout le monde prend sa place de façon très organisée. J’ai aussi des souvenirs de la performance en 2008 au Bimhuis de Miguel Zenon avec Joe Lovano au tenor avec SF Jazz Collective. En 2009, Wayne Shorter au Lantaarnvenster de Rotterdam. Au North Sea Jazz, Klaus Gesing Trio avec Norma Winstone et Glauco Venier m’ont impressionnée. Au Jazz Middelheim, j’ai trouvé que Charles Lloyd brillait.

Quel rêve avez-vous encore ?
M.VR. : Jouer ma musique et / ou performer en public est déjà vraiment génial. Et bien sûr, je rêve d’une belle tournée avec le grand groupe, le quatuor et les chanteurs, Merijn, Fien et Sara et moi-même en tant que saxophoniste. Je pense qu’il est particulièrement important de passer mon temps à développer des projets avec mes propres amis musiciens. Mais si je peux rêver d’un travail au niveau international, je pense au chanteur-compositeur britannique Fink (Fin Greenall – NDLR) basé à Berlin avec qui j’aimerais collaborer en tant que producteur. En tout cas, je veux me concentrer principalement sur la composition et la réalisation de mon propre travail. J’étudie toujours les standards, mais sur le prochain album du quatuor, il y aura une adaptation de « Blue In Green » de Janos Bruneel. Je continue à me chercher. Tout comme le projet de « Merci Charles » qui n’est pas un projet personnel, mais auquel je peux donner une touche personnelle.

Concert virtuel de Marjan van Rompay Soulflyer.

Une publication
Jazz’halo

Bernard Lefèvre (Jazz’Halo)
Traduction libre : Diane Cammaert (merci à elle)