Maxime Blésin et la cassette Shell
Maxime Blésin et la cassette Shell…
Propos recueillis par Etienne Payen
Photos de Jos Knaepen
Dans le panorama du jazz belge, le guitariste Maxime Blésin présente un profil assez particulier. Musicien autodidacte, compositeur, mélomane ouvert à tous les courants de la musique pourvu qu’elle soit bonne, mais aussi propriétaire de son propre studio d’enregistrement où il officie à la fois comme musicien, ingénieur du son et producteur. Amoureux du Brésil au point d’y avoir séjourné plusieurs fois, il n’a pas hésité à nous confier ses impressions sur la musique, la politique et la vie brésilienne. Avec la sincérité et la franchise qui le caractérisent …. le tout saupoudré d’un petit air de bossa !
Vous êtes dans un avion et une jolie passagère vous demande ce que vous faites dans la vie. Que répondez-vous ?
Que je suis musicien et que je fais tout ce qui touche à la musique. Tout d’abord, je fais de la musique car je suis un grand mélomane et donc j’ écoute énormément de musique, même plusieurs heures par jour. Soit j’en écoute, soit j’en joue mais c’est une de mes principales activités de la journée. De plus, j’ai élargi ma palette d’activités en touchant à la production et au métier d’ingénieur du son.
Vous lui dites que vous êtes musicien de jazz mais elle ignore tout de ce vocable et vous demande de le définir. Qu’allez-vous lui dire ?
Ma réponse n’engage que moi. Le jazz est un vocabulaire commun où des musiciens peuvent se retrouver et s’exprimer. C’est donc une identité commune qui permet à des gens du monde entier de se trouver et de se comprendre. C’est-à-dire que même sans parler la langue de l’autre, on peut se retrouver dans une jam pendant des heures autour des mêmes accords, des mêmes morceaux, et d’un vocabulaire identique. Et il n’y a que le jazz qui permet cela !
Le Brésil est devenu votre seconde patrie. Qu’aimez-vous dans ce pays ?
J’y ai vécu trois fois ; il y a vingt ans, en 2005 et enfin il y a deux ans. Forcément ma réponse n’est plus la même qu’en 1994 puisque c’était mon premier séjour à l’étranger avec une langue et une culture totalement différentes pour moi. Et tout a terriblement changé dans ce pays et ce de manière très très forte. Ce qui me passionnait et me passionne encore est d’avoir un regard frais et curieux sur toutes les choses qui m’entourent. Le Brésil avec sa culture bien personnelle de la musique, de l’art et le mode de pensée complètement différente des habitants était parfait pour moi et ma soif de découvertes. La musique est à tous les coins de rue, une vraie musique populaire, pas uniquement pour faire danser, loin de la caricature du produit étiqueté «Made in Brazil», mais un langage omniprésent et populaire sans véritables stars, ni codes. Il y a donc beaucoup d’espaces pour jouer mais pourtant il n’est pas si facile d’y entrer. Il n’y a pas que les paillettes de Copacabana car il existe un autre Brésil plus profond, plus riche, plus discret. Vous trouverez dans ce pays ce que vous êtes parti y chercher.
Pourtant, il y a aussi la problématique de l’extrême pauvreté, de la grande différence sociale et raciale (et le pays est raciste contrairement à ce qu’on pense). Après quelques mois sur place, on se rend vite compte que tout est très segmenté et codifié. Cela peut être déplaisant mais cela m’a appris à avoir un autre regard presque plus politique que purement émotionnel.
J’avais des copains de tous les milieux et j’ai appris à moins critiquer, à comprendre que les choses de la vie sont parfois plus complexes qu’elles semblent paraitre à la première vision. Bref restons ouverts à tout ce qui nous entoure. Il faut pouvoir ne pas être uniquement spectateur mais prendre part à la chose, jouer de la musique en s’écoutant, agir en regardant et pas uniquement dans l’impulsivité ou l’émotionnel.
Auriez-vous eu le même ressenti si vous étiez arrivé à New York à dix-huit ans ?
Non, certainement pas car la différence entre une ville comme Bruxelles et New-York reste minime. Et la différence entre Rio et ma ville natale de Rebecq était tellement forte quand j’y suis parti à dix-huit ans. Pas de gsm, pas d’internet à cette époque. Ce fut un bon électrochoc mais ce que j’ai le plus apprécié a été la découverte de la musique. Et mieux encore : le rapport à la musique !
Pourriez-vous y vivre définitivement ?
Non car la vie est ici maintenant avec ma famille. Là-bas, il n’y a pas les mêmes facilités scolaires (les écoles publiques ne sont pas top et les privées sont hors de prix) ni de mutuelles (inabordables ). Cela demande déjà beaucoup d’argent avant même d’y vivre. Cela me pose un problème humain et de société.
En quoi partir là-bas, vous pose-t-il un problème humain et de société ?
Je suis avant tout musicien sans avoir pourtant l’impression de vouloir changer le monde. Nous pouvons en effet modifier les détails de notre environnement mais pour cela il faut être bien et déjà cela résulte d’une somme de choses. Vivre là-bas demande beaucoup d’argent et pour y vivre mon statut de musicien ne serait pas suffisant ; donc je devrais y faire autre chose. Il y aurait moyen de se faire de l’argent aussi sur place car je suis polyglotte. Je pourrais certainement réaliser des productions plus commerciales, mais cela me poserait un problème humain par rapport à ce que j’ai vécu là-bas lorsque j’avais dix-huit ans. Par rapport à une certaine idée que je me fais de l’égalité, même si nous savons très bien que nous ne sommes pas tous égaux. En effet, chez nous, nous sommes dans une société ultra-égalitaire par rapport à ces pays où les différences sont énormes. Pour moi, ce serait un problème éthique, voire déontologique, car pour être bien au Brésil il faut beaucoup d’argent, et je devrais faire ce qu’il faut pour en avoir, et donc tomber dans le commercial. Ces pays sont extrêmement corrompus dans les organisations de concerts et de musique. De plus, et nous ne nous en rendons pas bien compte en Europe, la situation politique de ces pays est une véritable poudrière.
La coupe du monde est-elle un événement au Brésil ? Il y a beaucoup de manifestations qui parlent de cette débauche d’argent, alors que la misère règne encore dans les quartiers pauvres !
Cela va péter dans deux ans, juste après les Jeux Olympiques. Les habitants vont tenir jusque là, mais la situation risque de devenir très violente après cela.
Pourquoi parle-t-on de pays émergents ? Cela correspond-il à une réalité ?
A dire vrai au Brésil, tout est probablement basé sur du vent. Le pays est aux mains de deux cents familles qui détiennent une très grosse partie de la richesse du pays. Le peuple n’a pas forcément accès à ces richesses même si il y a tous les jours des nouveaux milliardaires qui apparaissent. Mais personne et surtout pas les politiciens n’investissent dans le futur et dans le long terme ; c’est-à-dire les soins de santé, l’éducation. Tous les jours, on apprend le décès d’une personne par faute d’accès aux soins pour des pathologies qui chez nous ne poseraient pas un tel problème. La bulle immobilière est complètement délirante tant les loyers ont augmenté. Ceux qui étaient à cinq cent euros, il y a cinq ans, sont aujourd’hui à quinze cent. Un café à Sao Polo coûte six euros. Il n’y a donc plus dans ce pays un vrai contact avec la réalité de l’argent tant les prix changent constamment. Même les musiciens brésiliens qui débarquent chez nous ne sont pas toujours en rapport direct avec la véritable valeur de l’argent dans leur exigence financière. Tout augmente vite dans ce pays. Tout donne l’impression de bien se passer car « le grand miracle «du Président Lula, est d’avoir ouvert le crédit aux pauvres, au monde ouvrier. Exactement comme la crise des sub-primes aux USA, les pauvres empruntent mais ne peuvent pas rembourser.
Pourriez-vous faire une carrière comme européen au Brésil ?
Ce ne serait pas facile car ils sont extrêmement fermés et cela serait même impossible, car le syndicat de musiciens est extrêmement attentif et lent pour distribuer les cartes d’accès. En soi, ils sont ultra protectionnistes et notamment au niveau de leur musique qui est un ciment de leur culture.
De plus en tant que musicien, il est inutile d’essayer d’aller faire ce qu’ils font car ils le feront toujours mieux que nous. Donc moi personnellement, j’essaye de faire ma petite musique à moi et de l’envoyer au Brésil en me disant que cela fonctionnera peut-être.
La Belgique est-elle connue au Brésil ?
Non pas réellement. On connaît la Belgique pour les bières, les gaufres parfois un peu pour Bruges, mais sans plus.
Quel est le premier acteur qui à l’âge de seize ans vous met le mot Brésil en tête ? C’est un disque, une photo, une lecture ?
C’est un scoop !( rires). J’avais quatorze ans : une cassette jaune « Shell ». Je l’ai encore, c’est quelque chose de terrible ! J’ai découvert Joao Gilberto. Ce fut une révélation pour moi. Je commençais à jouer quelques accords de guitare.
Provenez-vous d’un milieu familial de musiciens ?
Mes parents ne sont pas musiciens, par contre, mon grand-père était un bon pianiste amateur. Jusqu’à la fin de sa vie, il pratiquait le piano plusieurs heures par jour. Chopin et mes premiers souvenirs sont Debussy, Ravel et Bach. Mes parents n’écoutaient pas spécialement de musique mais moi, j’en découvrais énormément avec mes deux frères, malgré nos goûts totalement différents. L’ainé de mes frères était tendance variété ( Kim Wilde et Genesis) mais c’était pas mon truc, le second dans l’ultra de la New Wave et moi j’étais très assez disco style Michael Jackson, dans la soul, pop un peu soul.
Quelle a été la réaction de vos parents quand vous leur avez annoncé que vous partiez au Brésil ?
Ils ont dit OK, mais tu réussis ta rhétorique sans examens de passage, et ça a été le cas. Mais la peur de ne pas réussir m’en a fait faire des cauchemars pendant des mois. Et longtemps après mon voyage, cela a hanté mes nuits de nombreuses fois.
Combien de temps aviez-vous prévu d’y rester ?
Lorsque je suis parti, je ne savais pas pour combien de temps. Je me suis inscrit dans une grande école de musique où j’ai beaucoup bossé et j’y ai appris la guitare. J’y suis resté une année scolaire et je suis rentré en Belgique. Je m’étais mis en tête de retourner en Amazonie donc je me suis inscrit en anthropologie à l’ULB mais je n’y ai jamais mis les pieds ! Mais dès mon retour du Brésil, j’ai énormément joué et la passion du jazz était trop forte. Je me suis inscrit au jazz studio d’Anvers.
Aviez-vous déjà fait le choix d’être musicien lors du premier voyage ou était-ce une année sabbatique post rhéto ?
Oui j’avais probablement déjà fait mon choix mais je ne l’avais peut être pas exprimé. Mais avec le recul ce ne fut pas que sabbatique car j’ai bossé à mort dans l’école de jazz dans laquelle je m’étais inscrit. J’y ai beaucoup étudié y compris du solfège même si j’avais déjà quelques notions avant de partir. Mais je m’étais déjà mis au jazz avant de partir alors qu’au départ je viens du rock. En fait, j’étais dans la même école que Stéphane Mercier et on a formé un groupe de variété qui s’appelait « Sri Lanka ». C’est lui qui m’a fait connaître Coltrane et les autres.
Pourquoi la guitare et pas la batterie ou le piano ?
J’ai accompagné mon cousin qui suivait des cours de guitare et après trois mois, j’y étais à fond alors qu’au départ, je n’y tenais pas plus que cela.
En ce moment, quels sont vos guitaristes préférés ?
Joao Gilberto est le premier guitariste que j’ai écouté à seize ans et le premier album que j’ai acheté était « Far West « de Wes Montgomery. Lorsque je suis revenu du Brésil, je suis allé à Anvers au jazz studio et c’est là que j’ai découvert Kenny Burrell, Jim hall. Mon maître au Brésil reste Joao Gilberto et tous ses accords que j’ai tant répétés. J’ai aussi beaucoup écouté Baden Powell.
Gros changement de passer du Brésil à Anvers ?
Oui car cela a été dur pour moi. Je revenais du Brésil où je bossais beaucoup, mais à seize heures si j’avais envie d’aller à la plage, c’était possible. J’avais beaucoup de potes, car il y est très facile de rencontrer des gens et d’avoir une vie sociale bien remplie (même si cela reste très superficiel). Par contre, à Anvers c’était l’inverse. De plus je ne parlais pas bien le néerlandais, et il m’arrivait d’encore rêver en portugais.
Connaissiez-vous déjà le portugais avant de partir ?
Non, j’ai suivi les cours Assimile pendant deux mois et puis là-bas, comme c’est une langue latine hyper proche du français, au bout de trois mois tu parles portugais. Il m’arrive encore maintenant de dire des mots en portugais parce que c’est plus précis.
Qu’apprenez-vous à Anvers ?
Tout ! J’y suis resté deux ans et j’ai eu des professeurs de jazz comme Pierre Van Dormael. J’ai appris énormément sur la culture jazz et surtout j’ai joué tout le temps des standards, mais aussi j’ai suivi des cours de solfège et d’harmonie. A ce moment là, mes parents ont commencé à accepter mon choix professionnel et donc de vie.
Votre avis sur les écoles de jazz. On a souvent parlé du formatage quand on sort d’une école de jazz ?
Les écoles de jazz, je trouve ça super ! Quant au formatage, cela n’est pas un problème pour les musiciens mais pour les journalistes. Le jeune musicien qui sort d’une école et qui se débrouille pas trop mal est soit catalogué de formaté ou de génie suivant le cas. Il n’a plus le temps de respirer. Alors que je pense qu’il faut le laisser peut-être refaire ce qu’il entendu mais il doit aussi trouver sa vraie voie. Le chemin d’un jazzman n’est pas uniquement de jouer des choses techniquement incroyables. Et tout cela vient aussi d’une certaine pression des journalistes toujours heureux d’avoir le trouvé la nouvelle voix ou le nouveau pianiste.
Pression des firmes ?
Non car à part ECM, le jazz semble ne plus réellement les intéresser. Et les ventes de disques- à l’exception de quelques grandes stars internationales-sont vraiment confidentielles. Alors parfois faut un peu redescendre sur terre; qu’on soit artistes, musiciens, journalistes, tourneurs ou propriétaires de salle. J’ai parfois l’impression q’on parle d’autre chose. Le jazz, c’est de l’artisanat pur !
Après Anvers, vous allez faire un petit tour à Boston ?
Dans un premier temps, c’était New York, j’y suis resté 3 mois avec Stéphane Mercier car il étudiait la bas après Berklee.
Berklee est un passage obligé ?
Non il n’y a pas vraiment de règles. Le jazz, c’est quelque chose qui me plaît, je ne fais pas ça pour devenir une star ou alors je ferais autre chose ! Je le fais parce que cela m’épanouit; ce qui reste mon premier but dans la vie. Il n’y a donc pas de véritable passage obligé ; seulement trouver sa voie. Et aujourd’hui tout est là car l’info est omniprésente et tout le monde y a accès via Internet. Si tu es intéressé par quelque chose, tu trouveras l’explication sur Internet. Et on s’en moque que tu ailles la chercher sur le net ou à Berklee. Le but est de la prendre et surtout de la digérer. Dès lors, la musique devient un média, un moyen de t’exprimer. J’adore cela, et c’est pour cela que j’aime les musiciens originaux du style de Coltrane qui exprimaient leur personnalité au travers de leur musique. Une note et ils sont reconnus !
Lors de la découverte d’un nouvel album, parfois les trois ou quatre premiers morceaux n’accrochent en rien, peuvent lasser par cette impression de» déjà entendu,» et ne donnent en rien l’envie d’aller plus loin. Mais c’est un disque et cela ne présage en rien de la qualité du musicien ou encore moins de ses prestations sur scène. Dès lors, est-ce que tous les musiciens de jazz sont-ils forcement bons ?
Que veut dire bons ? Voulez-vous dire:» est ce que tout le monde a quelque chose à dire» ? Non mais encore une fois c’est une question de contexte car il est plus difficile maintenant de s’affirmer de manière forte en raison de ce formatage culturel. Actuellement, il est de plus en plus difficile de pouvoir s’affirmer en tant qu’individu et je pense que le formatage culturel est de plus en plus grand avec Internet. Je croyais que les réseaux sociaux allaient entrainer plus de diversité et qu’on aurait accès à plus d’originalité avec un plus grand intérêt pour des choses méconnues. Or c’est exactement le contraire et cela ne fonctionne plus que par les «like «. Avant on était» quelqu’un» pour vingt «like» et maintenant c’est à partir de trois. Il y a un effet mouton car le buzz entraine le buzz et les» like «entrainent les «like» par un effet de mode. Mais cela ne signifie en rien que les gens écoutent ou prennent la peine de découvrir. Dès lors, si tu as quelque chose à dire d’un peu différent, il n’est pas facile de trouver la place pour l’exprimer. Car il faut vivre et payer son loyer. Dès lors on fait le choix de vivre et on décide parfois de se pervertir et de ne pas faire ce qu’on a envie de réaliser et on se dit: «Ah oui, si je fais ça, personne ne va m’ écouter». Donc je ne vends pas, donc je ne gagne pas d’argent. Moi, je suis un vrai mélomane qui écoute beaucoup de choses depuis la musique de la Renaissance à la musique électronique. Et là aussi, c’est le même processus! Ceux qui vont dans l’originalité reçoivent très peu de «like» et donc de soutien.
Est-ce que les choses pointues sont forcément de qualité ?
Non évidemment. Mais en tant que musicien et mélomane, qu’est-ce qui fait qu’on va bien aimer une chose ou pas ? Pour moi, il faut quelque chose qui aille titiller mon cerveau dans l’émotionnel. Mais le pointu n’entraine pas forcément l’émotionnel, il suscite chez moi -comme musicien- des idées, des pistes à utiliser. On n’est pas toujours obligé d’écouter de la musique préfabriquée, formatée comme de la chair à saucisses.
Comment est venue l’idée de votre propre studio d’enregistrement ?
Je suis revenu de New York avec une DAT (cassette digitale et micro) et j’ai enregistré des concerts et des trucs pour moi et puis, petit à petit, j’ai acheté un peu de matériel parce que le son m’intéresse. Ensuite, j’ai pu établir un petit studio chez mes parents (pour l’anecdote Sal la Rocca est venu m’aider à l’installer). Puis j’ai enregistré mon premier disque en quintette dans ce studio.
Avez-vous une formation comme ingénieur du son ou avez-vous appris sur le tas ?
J’ai appris sur le tas et j’ai aussi énormément lu car c’est quelque chose qui m’intéresse. Maintenant, j’ai enregistré chez moi plus de trente disques de musiciens belges.
Quand on a son propre studio, n’a t-on pas envie d’inonder le monde de ses propres œuvres ? J’imagine que non, mais c’est tentant en ayant la possibilité de le réaliser par soi-même ! Êtes-vous courtisé par les autres musiciens puisque vous avez votre propre studio ? Pour que vous enregistriez et produisiez leur album ?
Ni l’un ni l’autre. Pas envie d’inonder et pas vraiment courtisé. Pourtant, j’adore être en studio.
Si j’ai bien compris, il y a des firmes qui louent votre studio ?
En fait, tout ce que l’on peut faire dans un studio, je le fais, des mix, des jingles, des démos et même de la musique de carnaval. Mais je travaille aussi pour d’autres labels qui semblent apprécier mon studio. Je ne fais évidemment pas tout le travail seul car il y a beaucoup de musiciens qui viennent.
Est-ce rentable d’avoir son propre studio ?
Je fais tout, entièrement seul, et de plus il est établi chez mes parents. Donc si je n’enregistre pas, cela ne me coûte rien. Donc tout est bonus quand il fonctionne et c’est complètement rentable suivant votre expression. Pour vivre en tant que musicien, il faut être soit professeur en même temps, soit cumuler d’autres activités comme moi pour en sortir.
Les jeunes musiciens ont souvent envie de sortir un album rapidement avec ce drôle de ressenti de ne pas vraiment exister sans un premier enregistrement. Qu’en pensez-vous ?
Non pas forcément. Il est préférable de mûrir tranquillement; de jouer comme invité sur des albums d’autres musiciens, pour voir, écouter et apprendre. Cela permet aussi au musicien de ne pas se surexposer, de pouvoir attendre et de travailler sans véritable pression.
Est-ce que ça coûte cher pour un musicien de faire un album ?
Oui cela coûte cher. Les musiciens se paient de moins en moins entre eux quand il s’agit d’un projet entre copains. Il faut compter 3000€ pour le studio et puis, si tu fais presser toi-même, il faut encore 1500€ et ensuite tu as 1000€ de SABAM. Donc, il faut environ 5000€. En fait, il faut prendre son temps avant de faire un album.
Question brûlante qui divise que celle du statut de musicien, le chômage ou pas le chômage ? Un avis.
C’est très long, et la véritable question est pour moi: faut-il subventionner la culture ou pas ? Faut-il avoir un Ministère de la Culture ? Doit-il avoir les compétences qu’il a maintenant ? Pour moi, la question est hyper large. C’est une grosse question de société. Faut-il subventionner la Culture ? Si tu dis oui, il faut qu’il y ait une reconnaissance du statut de musicien, et que tout soit reconnu aussi bien l’administratif que la matière première, c’est-à-dire le musicien. Soit on reconnaît tout le monde ou on ne reconnaît personne.
Les disques ont-ils encore un avenir ?
Je pense que le vinyle doit reprendre une place importante chez les mélomanes, et il est en train de faire. Le vinyle restera toujours, pour moi, le meilleur format, parce que c’est de la musique analogique. C’est quelque chose qui n’est pas traduit, alors que la musique digitale, c’est quelque chose qui est traduit. La différence entre un cd et un vinyle est énorme. Le vinyle revient très fort en Belgique, environ 40% des ventes actuellement. Si tu écoutes un vinyle, c’est vingt minutes, un cd quatre vingt minutes. Tu ne peux pas écouter du jazz en musique de fond pendant de longues minutes, donc je pense que le vinyle est génial avec ses vingt minutes d’écoute attentive. Mais ce qui coûte cher, c’est le matériel pour écouter correctement un vinyle.
Quelle est l’origine de la rencontre avec Anne Ducros dont vous avez produit le dernier album ?
Je l’ai rencontrée lors d’un festival de jazz où je jouais des trucs brésiliens et puis on s’est croisés deux ou trois fois et un jour, son batteur Bruno Castellucci m’a appelé en me demandant si j’étais intéressé de produire un album pour elle.
Vous n’intervenez pas du tout dans la vente de l’album ? Vous tournez avec elle ?
Oui on revient de Taiwan, pour faire Bobino à Paris et puis le 140 et puis une tournée en Sicile. Elle tourne régulièrement car il n’y a pas énormément de chanteuses de jazz en France.
Avez-vous un plan de carrière ? Comment pourriez-vous vous projeter dans dix ans ?
Je devrais en avoir un ! Pour l’instant, je suis en train de beaucoup travailler. Je sens que quelque chose est en train de se passer. Comment je me vois dans dix ans…c’est de jouer tous les jours, faire des concerts tout le temps. Si je peux jouer tous les jours, c’est ça mon plan de carrière.
Comment composez-vous ? Dans la cuisine cool le matin ou bien êtes-vous besogneux ?
Je ne fais pas cela souvent, mais quand je m’y mets, ça va très vite et cela peut parfois être instantané. Je compose à l’ancienne c’est-à-dire en le chantant presque sans instrument.
Quels sont vos défauts comme musicien ?
Il y en a beaucoup trop ! Trop prudent car au sein d’une formation, j’aurais tendance à rester discret. Cela peut aussi plaire, mais je ne veux pas en faire trop, je veux être discret. En leader, je devrais aussi travailler plus ma propre musique, je devrais creuser plus loin, faire et refaire, ne pas hésiter à la modifier, mais c’est un défaut qui est en train de changer parce que je réalise que je dois travailler. Mon plus gros défaut, c’est que je me suis éparpillé. Je me suis beaucoup laissé guider, et j’ai été dans trop de directions. J’ai joué de la guitare sept cordes parce que la personne avec qui je jouais m’a dit d’acheter une guitare sept cordes. Beaucoup de choses dans ma carrière se sont faites par hasard. Aujourd’hui, je me sens guitariste et je sais que c’est mon instrument.
Tes qualités, non pas en tant que musicien ?
Bosseur !
Défaut ?
Bosseur. Ou parfois trop éparpillé !
Prochains concerts de Maxime Blésin
11.10.14 : Bosangya at the Sounds Jazz Club Brussels
13.11.14 : Maxime Blésin Organic Trio CC de Braine-le-Comte ( Belgium )
21.11.14 : Maxime Blésin Organic Trio at the Sounds Jazz Club Brussels