Brosella Spring Festival à La Vallée (Bruxelles, 07 au 10/03/24) ‐ V’là l’printemps !
Deuxième édition de ce festival de quatre jours qui prend le pouls des tenants et aboutissants de la scène jazz alternative belge et qui ajoute également une section pour enfants.
Le lieu était à nouveau l’espace polyvalent La Vallée, une ancienne blanchisserie industrielle située à Molenbeek-Saint-Jean, à quelques minutes à pied des stations de métro et du centre-ville. Ce n’est pas le quartier le plus évident, mais Bert Schreurs, le directeur artistique, en donne la raison sous-jacente : « comment pouvons-nous mieux gérer le contexte hyper diversifié et l’ambiance d’une métropole cosmopolite comme Bruxelles et entrer en dialogue avec elle ? » Le tout à des prix très démocratiques selon le système « pay-what-you-can » (15 € ‐ 17 € ‐ 20 € par soirée et 50€ ‐ 60 € ‐ 70 € pour l’ensemble des quatre jours).
Retour sur trois de ces quatre jours…
Jeudi 7 mars
Eric Thielemans drum trio
Un duo composé d’Eric Thielemans et de Billy Hart était l’idée de départ pour promouvoir leur projet commun dont le premier enregistrement, « Talking About the Weather #1 », remonte à 2018 (à l’époque uniquement en vinyle, aujourd’hui réédité via des plateformes digitales). Le lien d’amitié entre les deux hommes remonte à 1992, lorsqu’ils se sont rencontrés lors d’un atelier. Mais le légendaire batteur a dû abandonner en raison de problèmes de santé et a été remplacé par les batteurs Bob Moses (Pat Metheny, Larry Coryell, Steve Swallow) et Hamid Drake (Herbie Hancock, Don Cherry, Archie Shepp).
Le trio a conversé pendant une heure, n’utilisant comme « outils linguistiques » que leurs batteries de base et quelques accessoires supplémentaires. Un spectacle pour aficionados ? Pas du tout. Le flux des contrastes rythmiques a captivé du premier au dernier coup de tambour. Moses était clairement le chaman en chef qui se mettait parfois à « fredonner » et même à scatter à la Trilok Gurtu. Ce faisant, il se penchait parfois pour chuchoter à ses peaux de tambour. Drake a eu droit à un moment de solo qu’il a rempli non seulement de motifs légèrement ondulants, mais aussi d’un vrai chant. Quant à Thielemans, il est resté fidèle à lui-même, super « cool », la plupart du temps les yeux fermés. L’expérience spirituelle et les échanges malicieux se complètent. On remarque aussi particulièrement la façon dont ce trio soudé a construit un crescendo dans un passage de transe teinté d’afro.
Un concert légendaire pour cette première mondiale ? En quelque sorte, tant pour le public que pour les musiciens. Drake a déclaré après coup, lors d’une brève conversation, que c’était un honneur de jouer avec ses deux collègues, mais qu’il était surtout ravi que Billy Hart ait personnellement approuvé cette combinaison.
BXL x LDN Interplay
Soit une véritable coproduction internationale entre Bruxelles (Brosella) et Londres (Tomorrow’s Warriors). L’idée : réunir de jeunes talents des deux capitales (Eliott Knuets, Lúcia Pires, Diogo Alexandre d’une part et Maddy Coombs, Menelik Claffey, Luke Bacchus d’autre part) sous la houlette de mentors expérimentés (Binker Golding, Stéphane Galland, Bram De Looze).
Au programme, six compositions, une de chaque musicien. Tant Binker Golding que Galland et De Looze ont été invités sur scène pour une chanson. Le professionnalisme s’en est trouvé nettement renforcé. Bien que les six jeunes aient donné des concerts responsables et intéressants, le répertoire se trouvait quelque peu déséquilibré. Le fait qu’ils n’aient pu s’entraîner que pendant quelques jours faisait partie du défi. Dans l’ensemble, il s’agit d’une initiative brillante qui aura un avenir passionnant après les difficultés de croissance rencontrées. Respect pour cet effort collectif. Chez Brosella, on n’attend pas mais on met soi-même les pions en place.
À suivre le 28 avril au Bricklane Jazz Festival à Londres, le 7 juillet 2024 au Brosella Festival et le 17 août 2024 au We Out Here Festival dans le Dorset.
Aki
Les choses vont bien pour la batteuse Anke Verslype. Le premier album de son groupe Aki et la tournée JazzLab qui a suivi ont été bien accueillis partout. Le prochain chapitre sortira en septembre, mais avec une formation légèrement modifiée, comme c’était déjà le cas à La Vallée. De toute façon un excellent ensemble avec Joachim Badenhorst (clarinette), Niels Van Heertum (euphonium), Marjolein Vernimmen (harpe), Ruben De Maesschalck (basse) et Willem Heylen (guitare). Une combinaison instrumentale quelque peu inhabituelle, mais qui convient parfaitement à la musique composée par Verslype. Atmosphérique, avec quelques élans plus énergiques. C’est surtout la combinaison de Van Heertum et Badenhorst qui a donné lieu à des moments magiques. Nous attendons maintenant avec impatience la sortie du deuxième album.
Vendredi 8 mars
Nite Kite
Un des nombreux nouveaux noms de la jeune scène très active. Une première immédiate en raison de la composition inhabituelle du groupe, la chanteuse n’ayant pas pu venir. Cependant, le jeu d’un pianiste, d’un magicien de l’électro, d’un batteur, d’une contrebassiste et d’un saxophoniste jouant également de la flûte fonctionnait à merveille sans contribution vocale. L’idée que, au début, tout semblait un court instant se diriger vers une « new wave of piano » a été rapidement renversée, évoluant d’une atmosphère de club de jazz de fin de soirée à celle d’un club de danse. Le premier album sortira en octobre.
Dorian Dumont
Le pianiste français, basé à Bruxelles et, entre autres, membre de ECHT !, Easy Pieces et Edges, continue d’approfondir l’œuvre de Richard David James aka Aphex Twin. Après le premier album « APHEXionS », voici « To the APhEX ». En live à La Vallée, il a transposé des morceaux iconiques dessinés par des electro-beats à ceux d’un piano acoustique. Sombre et percutant, mais aussi avec la poésie nécessaire. Un jeu de dissection et de recréation. Pour situer le tout, il a accompagné chaque morceau d’informations sur le contexte. Dumont a indéniablement passé beaucoup de temps à approfondir l’œuvre d’Aphex Twin, mais il est surtout un pianiste qui ose prendre des risques et garantit une expérience de concert originale.
BODIES
Le quartet autour de la saxophoniste hispano-belge Alejandra Borzyk avec Camille-Alban Spreng comme claviériste électro de service, le batteur Elie Gouleme et le bassiste coloré Mateusz Malcharek a pu clôturer festivement la soirée de vendredi. Un mélange réussi de funk, de rock, de dub et de jazz. Ils sont passés de la planète Sun Ra aux cercles cosmiques de Pharoah Sanders avant de plonger dans l’univers de Black Flower. Serré et néanmoins groovy, avec des « urban vibes » justes.
Dimanche 10 mars
La dernière journée du festival était consacrée aux jeunes auditeurs avec des spectacles adaptés à leurs goûts. Disons une matinée pour enfants sous le nom de « Playground », incluant des boissons chaudes et toutes sortes de gâteaux et de friandises dans le foyer. Le multi-instrumentiste Rémi Decker (Zonzo Compagnie) a captivé petits et grands avec son « Zigoto ». Il a créé une musique instantanée pour les films d’animation les plus absurdes et les plus fous en utilisant la moitié d’un magasin de jouets, un véritable instrument à cordes et du chant. Une suite d’idées pleines de fantaisie magistralement construites avec un timing minutieux.
La “Echo Chamber” de Karel Stulens est tout aussi féerique. Ses outils consistaient en un petit xylophone en bois, une cymbale, quatre magnétophones qui assuraient à la fois l’enregistrement et la lecture en direct, et deux boîtes modulaires (dont l’une bricolée par lui). De l’acoustique et de l’électronique à mesure d’enfant, mais aussi pour les adultes qui osent sortir de leur zone de confort. Également une production de Zonzo Compagnie.
Plus bruyant était le trio de Dishwasher_. Le saxophoniste et joueur de synthé Werend Van Den Bossche, le batteur Arno Grootaers et la bassiste Louise Van Den Heuvel ont présenté leur album, sorti l’année dernière. Werend a présenté ses morceaux comme des chansons « parfois avec des effets parfois bizarres ». Une fois de plus, les différentes générations ont continué à écouter, captivées par les discours épicés, les rythmes de batterie et la transe industrielle. Le public a même été invité à une balade au bord du désert d’Arabie et a été initié aux sons merveilleux du biotope sous-marin des baleines. C’est à juste titre qu’il s’agit de l’un des groupes les plus en vue.
Avec cette deuxième édition, Brosella Spring s’est imposé comme un festival incontournable avant même le début du printemps. En route pour la troisième édition !
En collaboration avec notre partenaire Jazz’Halo
Traduction libre Luc Utluk (merci à lui)