Sylvain Rifflet : des étoiles plein la musique.

Sylvain Rifflet : des étoiles plein la musique.

Sylvain Rifflet © Marilyn Mugot
Sylvain Rifflet © Marilyn Mugot

« We Want Stars » est le nouveau trio du saxophoniste français. Il nous en parle.

Comment est né ce trio plutôt atypique ?
Sylvain Rifflet : Ce sont des musiciens que je connais depuis longtemps, pas vraiment du milieu du jazz. Vincent (Taeger – NDLR) est le batteur qui a le plus joué en France ces dernières années, il a fait beaucoup de studio dans la pop, mais on se connait depuis qu’on a moins de vingt ans. A l’origine il est batteur de jazz et il m’a invité à jouer avec lui dans un lieu qui prend de l’importance en France et qui s’appelle « La Gare » (dans le 19e à Paris). Les concerts y sont gratuits et quotidiens, et il y a toujours beaucoup de monde. Notre rencontre date de juillet 2022 et j’ai pensé qu’il était important de travailler avec lui. Ensuite, j’ai réfléchi à une formule différente de ce que j’avais fait jusqu’à présent, mais dans la lignée de l’album un peu électro que j’ai sorti il y a deux ans et qui s’appelle « Dooble ». Bettina Kee aux claviers vient également du monde de la pop.

«J’essaie toujours de conserver une identité sonore qui est la même sur chaque album.»

Il n’y a pas deux disques les mêmes dans ce que vous faites.
S.R. : C’est vrai que mes projets sont différents, mais j’essaie toujours de conserver une identité sonore qui est la même sur chaque album et qui rend les projets singuliers. L’écriture est différente : quand je compose, je ne pense pas à un paysage ou aux vacances que j’ai passées avec ma grand-mère. J’écris vraiment à partir des sons. Du coup en me projetant sur un travail avec ces deux musiciens, ces instruments, j’avais des sons qui me venaient et qui étaient plus inspirants.

C’est un projet que vous avez travaillé longtemps avant d’entrer en studio ?
S.R. : Oui quand même. On a fait deux fois une semaine de répétition. J’ai amené des choses abouties, mais aussi des idées, des bouts d’idées, de sons. Ça s’est passé à Dudelange au Luxembourg où il y a un centre d’art, un endroit génial qui a un super festival qui s’appelle « Like a Jazz Machine ». Ils réalisent une sorte de synthèse du jazz européen, il y a pas mal de musiciens européens qui viennent jouer là. Ensuite, on a eu une résidence à Besançon dans un autre lieu très chouette. Ensuite on a fait quelque chose d’assez génial en jouant pendant trois mois chaque mercredi soir dans ce lieu dont je parlais tout à l’heure : « La Gare ». Et puis encore deux concerts et nous sommes arrivés en juin 2022 avec une musique qui était prête, ce qui est très rare de nos jours. En effet, dans le jazz aujourd’hui, on répète souvent une semaine puis on entre direct en studio et là on se rend compte que c’est difficile, que les choses se passent autrement. Dans ce cas-ci, j’étais sûr que ça allait fonctionner tout de suite. Le réalisateur de l’album est Vincent Taurelle qui, comme moi, vient du milieu du jazz, c’est un grand pianiste, sorcier des synthétiseurs et un excellent producteur, il vient de faire la production de ce groupe français pop électro « Justice ». Il est venu voir un concert à la Gare et m’a dit : le groupe est prêt, on va faire quelque chose qu’on ne fait jamais plus : on va enregistrer-mixer. On a installé les instruments à Ferber, on a mis les micros, on a joué, le mix était fait en direct. Et je trouve que ça se sent qu’on a fait quelque chose de spontané, l’orchestre il est là et les prises sont ce qu’elles sont. Là il y a un côté snap, photo-image de l’orchestre tel qu’il est à ce moment-là.

C’est un peu travailler à l’ancienne quand les groupes tournaient avant d’enregistrer, aujourd’hui c’est souvent le contraire qui se passe.
S.R. : Exactement… Mais j’ai tout de même le problème maintenant de trouver une tournée (rires)… Mais ça va venir.

Sylvain Rifflet © Marilyn Mugot
Sylvain Rifflet © Marilyn Mugot

Le jeu du batteur est très remarquable, très décalé… et l’assemblage avec les claviers sonne super bien. Puis votre son de sax est toujours là, l’influence de Stan Getz.
S.R. : C’est ma signature, c’est ma carte d’identité.

Avez-vous envisagé de brancher aussi le sax sur l’électro pour l’enregistrement ?
S.R. : En fait, il l’est par endroit. Je n’ai pas envie de perdre ce qui pour moi est central, mon son de saxophone. Je n’ai pas envie de perdre un semblant de personnalité, de noyer mon son dans quelque chose qui va le rendre standard. Je me suis plus intéressé à un traitement comme celui sur « Monolodic » où c’est une pédale qui joue à l’envers une partie de ce que je joue, quelque chose d’aléatoire. Sur « We Want Stars… » il y a un octaveur grave qui vient ajouter quelque chose, mais c’est joué en direct. Le sax est tout le temps branché sur une réverbe en direct qui a un effet en direct tout le temps.

La séquence filmée à TSF Jazz (qu’on peut voir sur Youtube) donne un son plus véhément pour le saxophone.
S.R. : Je pense que c’est l’effet du mix et des micros parce que pas grand-chose a changé je crois, c’est une question de prise de son. C’est un petit endroit, le micro est très près, ce n’est pas vraiment une référence… On a par contre joué un concert à Ferber deux jours après l’enregistrement qui rend bien le son du groupe.

«Quand je suis passé au saxophone, je me suis dit que Bach c’était fini… C’est caricatural mais un peu vrai.»

Il y a aussi la référence de Bach…
S.R. : Tout le monde dit qu’il aime Bach, ce n’est pas pour rien. Ma mère est pianiste et jouait tout le temps du Bach, j’ai débuté le piano et joué du Bach. Puis quand je suis passé au sax, je me suis dit que Bach c’était fini… C’est caricatural, mais un peu vrai. Mais Bach a toujours été là, et quand il y a eu le confinement, je suis retourné aux essentiels, ça m’a permis de refaire dix heures de saxophone par jour, et j’ai recommencé à travailler des partitas de Bach. Et pour le disque j’ai vraiment eu envie de mélanger Bach et Boom qui en fait est Vincent Taeger qu’on surnomme Vince Boom. Maintenant je me sens plus à l’aise pour jouer tous ces trucs, j’ai travaillé la respiration circulaire ces dernières années et je suis devenu très à l’aise avec ça, du coup je n’ai plus le problème de respirer : est-ce qu’on respire à cause de la phrase ou parce qu’on n’a plus de souffle ? Je n’ai plus ce problème aujourd’hui.

Il y a un bel hommage à John Surman en clôture.
S.R. : C’est la plus belle histoire du disque. J’avais un morceau où il y a des trucs qui jouent derrière des synthés avec des arpèges comme sur « Portait of a Romantic » de John Surman. Chez lui c’est composé et toute la partie synthé est figée, statique. Ce qui fait la différence avec mon disque c’est que Bettina joue les arpeggiatures sur le clavier à la vitesse qu’elle veut et je dois m’adapter avec l’harmonie. Quand j’ai enregistré ce morceau, je me suis dit que John Surman, qui a 88 ans, n’aurait sans doute pas l’occasion de voir ça sur scène. Alors je me suis décidé à lui envoyer, c’est Jozef Dumoulin qui m’a renseigné son adresse mail. J’ai envoyé un mail et il m’a répondu le lendemain ou le surlendemain en me disant qu’il avait trouvé le morceau très beau et a demandé que je lui envoie le disque. Après mes vacances, en rentrant, il y avait une lettre manuscrite de John Surman où il me disait qu’il avait adoré le disque et qu’il y avait détecté des choses de son influence. Et j’en ai été très fier !

Vous êtes impliqué dans le Magriff qui travaille sur des projets pluridisciplinaires : auriez-vous envisagé d’associer la musique de ce disque avec de la danse, par exemple ?
S.R. : Avec la danse, je n’ai pas fait beaucoup. Je fais beaucoup de musique à l’image, j’ai fait la musique de « Malo fait du vélo », un joli film qui est sur ARTE TV. Mais la danse serait une bonne idée. Dans la structure qu’on dirige avec ma compagne on a fait des choses sur Moondog qui s’appellent « Perpetual Motion », il n’y a pas de danse, mais beaucoup de mouvement.

«Elon Musk, je déteste… Dans dix ans on ne verra plus les étoiles, mais les lumières des satellites qu’il envoie dans le ciel.»

« We Want Stars… No Satellites », c’est un message à Elon Musk.
S.R. : Elon Musk, je déteste. L’histoire est que j’ai une maison dans la Drôme où je passe la moitié de mon temps. La Drôme est un des endroits en France où on voit le mieux les étoiles et il y a notamment un observatoire, l’observatoire des Baronnies, équipé de télescopes. Au mois d’août, il y a « la nuit des étoiles » : on y passe la nuit et lorsque j’y suis allé avec ma fille et des amis, on nous a expliqué que si on continuait à envoyer des satellites au rythme actuel, dans dix ans on ne verrait plus les étoiles, mais les lumières des satellites envoyés par Elon Musk. Je trouve ça terrible parce que la seule chose que l’humanité partage jusque dans les pires endroits du monde, ce sont les étoiles, je trouve ça terrifiant que ça puisse arriver.

Sylvain Rifflet
We Want Stars
Magriff

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin