Jean-Marc Foussat, c’est fou ?
Jean-Marc Foussat :
« Créer son propre label pour exister, c’est FOU ça Jean-Marc… »
propos recueillis par Claude Loxhay
Entretien publié dans le cadre du partenariat européen avec
Si vous êtes déjà venu au festival Jazz Brugge, vous n’aurez pas manqué de le remarquer, sur le côté de la scène, le buste penché sur son écran, en train d’enregistrer les concerts du Sint JansHospitaal et de la Kamermusiekzaal du Concertgebouw. Jean-Marc Foussat est preneur de son. Mais, comme l’indique sa carte de visite à double face, il a une autre casquette : il est aussi musicien et, pour produire sa musique et celle de ses amis, il a décidé de créer son propre label FOU Records. Un vrai passionné de musique improvisée et de musique électronique. Un spécialiste du synthétiseur VCS3 ou AKS mais aussi un homme modeste. S’il évoque certains de ses albums, en solo, en duo avec le batteur Ramon Lopez ou en trio avec les saxophonistes Joe Mc Phee et Sylvain Guérineau, il ne dit pas qu’il a croisé la route du guitariste Noël Akchoté, du violoniste Michael Nick, des trompettistes Jean-Luc Cappozzo et Jac Berrocal, du tromboniste Samuel Blaser, de la pianiste Sophie Agnel et formé le groupe Marteau Rouge avec le guitariste Jean-François Pauvros. Entretien passionnant effectué backstage au Concertgebouw avec un personnage attachant.
Ta passion, c’est la musique improvisée et particulièrement la musique électronique… La musique improvisée, je suis tombé dedans en 1980, quand je suis allé à Pise pour la première fois. J’ai fait le festival Pise-Florence trois années de suite et j’ai rencontré, d’un seul coup, Derek Bailey (guitare), Evan Parker (saxophone ténor), Radu Malfati (trombone), Steve Lacy (saxophone soprano) et George Lewis (trombone), toute cette bande-là. La première fois, j’y suis allé les mains dans les poches et puis, l’année suivante, j’ai amené mon magnétophone et j’ai enregistré en 1981-1982. J’ai enregistré tout ce que je pouvais : à ce moment-là, j’étais fou furieux. L’idée, c’était que cette musique s’envolait au fur et à mesure qu’elle était produite et qu’il fallait en garder quelque chose : c’était trop beau. C’était comme cela que je bossais. J’avais ma “404”, avec, dans le coffre, le Revox, une petite table de mixage de 6 pistes, mes micros et, vaille que vaille, j’enregistrais ce que je voyais : Paul Lovens (batterie), Paul Lytton (batterie) ou George Lewis. C’était trop magnifique. En fait, ce qui s’est passé, c’est qu’au début, mon métier n’était pas d’enregistrer, mon désir était d’être musicien et, en 1977, il m’est arrivé toute une série de catastrophes. Je jouais déjà du synthé et de la guitare mais j’ai eu peur de jouer sur scène. Je me suis mis à enregistrer la musique des autres, j’avais, par exemple, décidé d’enregistrer tout Henry Cow, le groupe de Fred Frith (guitare) qui m’avait super impressionné. Je les avais vus en concert à Paris : tous ces gens-là, il fallait que je les rencontre. Puis je suis allé à Pise et cela a complètement changé ma vie.
Comment en arrive-t-on à créer son propre label ?
En 1983, j’avais fait un disque qui s’appelle “Abattage”, sorti à 500 exemplaires que j’ai tous vendus, pas à ce moment-là, mais récemment. Pour faire cet album, j’ai créé une maison de disques qui s’appelait Pyjama. L’idée, c’était que je m’appelle Jean-Marc, mon frère Pierre : Pierre – Jean-Marc, Pyjama. Je voulais que mon frère qui faisait des photos participe au disque avec ses clichés. Et puis, il a arrêté de faire des photos, il est entré chez Ikea et a mené une autre vie. Pyjama n’a jamais vraiment eu d’existence sauf pour ce disque. Par la suite, je me suis marié, j’ai eu des enfants. J’étais instituteur puis professeur. Mes enfants me disaient : « Papa, tu as des trésors, il faudrait que tu fasses quelque chose avec. » Moi, je répondais : « Ça ne vaut rien, ça n’intéresse personne. » Jusqu’au jour où mon deuxième fils Victor s’est suicidé à 27 ans, c’est assez récent. Là, j’ai compris que la vie était très courte et qu’il fallait quand même que je fasse quelque chose. C’est lui qui était le plus véhément, qui me disait le plus souvent : « Papa, il faut vraiment que tu fasses quelque chose avec ce que tu as. » Donc, j’ai décidé, en hommage pour lui, de créer FOU Records. J’y avais déjà pensé au moment où j’avais fait le label Potlach avec Jacques Oger, mais Potlach, c’était son truc à lui.
Tu as d’abord sorti le disque “L’Oiseau” en solo…
Oui, “L’Oiseau”, avec une photo de mon fils Victor sur la pochette. Le disque est une espèce de requiem pour lui. Après je me suis dit que, lorsqu’on prend la peine de faire un disque, il faut en faire plusieurs. J’avais plusieurs projets avec des musiciens, dont Raymond Boni (guitare) avec Violeta Ferrer (chant) qui voulaient faire un disque dont personne ne voulait (un hommage à Federico Garcia Lorca). Je me suis dit : « Puisque ma maison s’appelle FOU, on va faire quelque chose de fou, ce sera toi Violeta. » Dans la foulée, j’ai fait le disque en duo avec Simon Hénocq (guitare), celui avec Ramon Lopez (batterie) et le trio avec Joe Mc Phee et Sylvain Guérineau. Ce sont des disques qui ne se vendent pas du tout mais je suis content de les avoir faits parce que ce sont des disques qui me tiennent à cœur. Et puis là, tout récemment, je me suis dit qu’il fallait ancrer le label dans le passé et sortir de vieilles bandes que j’avais gardées… toujours pour prolonger l’idée de mon fils. Là, j’ai sorti une bande de 1982 à Dunois avec Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis et Evan Parker. Et une bande enregistrée en 2000, aux Instants Chavirés de Montreuil, avec Peter Kowald (contrebasse), Daunik Lazro (saxophone alto) et Annick Nozati (chant). En fait, j’ai plusieurs projets avec Daunik Lazro et Joëlle Léandre et George Lewis, un enregistrement dont une partie est déjà sortie chez Hat Hut. Je trouve que Daunik n’est pas assez documenté, c’est un très grand musicien : il faut absolument faire quelque chose avec lui.
Comment s’est faite la rencontre avec Ramon Lopez ?
Avec Ramon, on s’est rencontré par hasard. Jean-François Pauvros, avec qui je joue depuis 1992, c’est donc une vieille histoire, avait invité Ramon à une performance qui s’appelait « Les Mouches ». Il y avait quelques musiciens qui jouaient dans une maison vide, avec beaucoup de pièces. Dans chaque pièce, il y avait un musicien et 6 ou 7 personnes, avec des magnétos portatifs, se baladaient d’une pièce à l’autre : c’est l’enregistrement qui a fait le concert. On s’était bien amusé avec Ramon et on s’était dit que ce serait bien de faire quelque chose ensemble. Il a dit : « Banco ». Il ne devait pas travailler pendant quelque temps, il est venu à la maison avec sa batterie, il l’a installée et on a joué : c’était bien tout de suite.
Et comment s’est faite la rencontre avec Joe Mc Phee ?
Joe, c’est une rencontre étonnante. En 1975, quand il est venu à Paris, avec John Snyder au synthé, je suis allé les voir parce que c’était le premier synthé qui jouait du jazz et non de la pop. Moi, je m’intéressais déjà au synthé très sérieusement. Le concert m’avait enchanté. Après, j’ai fait un stage dans un studio qui s’appelait l’Oiseau Musicien en Provence. Je ne sais pas pourquoi Joe devait passer à Avignon et on est allé l’enregistrer. C’était un exercice : on avait un tout petit matériel. J’ai fait connaissance avec lui à ce moment-là. Quand j’ai décidé de devenir professionnel comme preneur de son, (puisque j’avais peur de jouer), le premier enregistrement sérieux que j’ai réalisé, c’était pour Hat Hut : Joe Mc Phee, André Jaume et Raymond Boni. Tout d’un coup, c’était le bonheur. Je faisais connaissance avec les gens que j’aimais et que je voulais enregistrer. A l’époque, je me faisais payer en disques, c’est comme ça que j’ai toute la collection Hat Hut, depuis le n° 1 jusqu’à je ne sais lequel. Moi, j’étais très content de cet arrangement. Quand j’ai enregistré Evan Parker, j’ai eu toute la collection Inctus. Evan était très fier de m’avoir donné la collection complète parce qu’il y avait déjà des numéros qui n’étaient plus vraiment disponibles.
Dans mes archives, j’ai des enregistrement avec Daunik. J’ai envie de faire trois ou même quatre albums avec lui. Notamment un disque qui s’appelle “Duty Free”, une expérience faite à Dunois, avec Jean-Jacques Avenel (contrebasse), Raymond Boni (guitare), Tristan Honsinger (violoncelle) et Evan Parker : soit trois cordes et deux saxophones. J’ai enregistré trois jours d’affilée, j’ai la totalité des concerts : je trouve toujours que c’est très bien et Werner Uehlinger (de Hat Hut) n’a pas sorti ces enregistrements à l’époque. C’est quelque chose qu’il faudra que je sorte. De Daunik, j’ai aussi de vieux enregistrements de 1981-1982, en duo avec Jean-Jacques Avenel qui sont de meilleure qualité que le disque Hat Hut « The Entrance Gates of Tshee Park ». Je pense que ce serait une bonne idée de sortir ces choses là.
Comment peut-on organiser la distribution d’un petit label comme cela ?
Pour me faire distribuer, je passe par Metamkine, un distributeur grenoblois : Jérôme Noetinger est un musicien qui fait du Revox et du synthé, il a une maison de distribution. Depuis que j’ai fait le disque avec Derek, George, Joëlle et Evan, j’ai plus de couverture. J’ai pu le distribuer au Japon, par Disk Union et ils m’ont pris aussi les autres. Là, je vais essayer les États-unis où je vais avoir des critiques. En France, j’ai contacté aussi L’Autre Distribution : j’attends leur réponse. En Belgique, je suis distribué par Tony Verstaete de Halle. Sinon, la vente se fait par internet, ça marche bien. (jm.foussat.free.fr ou fou.records.free.fr)
Quelques albums de Fou Records à écouter
L’Oiseau, solo, synthé AKS et VCS3, guimbardes appeaux, voix, FOU 2012
Nopal, duo avec Simon Hénocq (g), FOU 2013
Ca barbare, là !, duo avec Ramon Lopez (dm, tablas), FOU 2013
Quod, trio avec Joe Mc Phee (ss) et Sylvain Guérineau (ts), FOU 2014.
Live, JF. Pauvros, E. Parker, Makoto Sato, In Situ 2009
Acid Rain, Noël Akchoté (g), Roger Turner (dm), Ayler records 2012.
Avec les pluies, duo avec Michael Nick (vl), Bandcamp/FOU 2014.