Le dossier Intervalles du mois – Décembre : Nick Drake #2

Le dossier Intervalles du mois – Décembre : Nick Drake #2

En partenariat avec la radio Equinoxe FM (105.0 à Liège et streaming), JazzMania vous proposera tous les mois un dossier musical spécifique. Chaque mois, un thème, toujours sous le signe de la (re)découverte, en mots et en sons.

Ce vingt-cinq novembre, nous célébrions le cinquantième anniversaire de la mort de Nick Drake, sans doute l’un des chanteurs / compositeurs / guitaristes les plus doués du folk anglais… Et le plus méconnu aussi ! Voici notre deuxième (et dernier) épisode évoquant sa très courte carrière.

1. Nick Drake : Day Is Done (« Five Leaves Left ») ‐ Island

Nick Drake, « Day Is Done », une chanson qui a contribué au succès de Norah Jones qui l’avait reprise sur son premier album « Stay with Me ». Souvenez-vous, pour ce « sons et mots » que vous retrouvez sur notre site, en partenariat avec la station de radio Equinoxe FM, notre saga Nick Drake en était arrivée à la publication du premier album, « Five Leaves Left », une mention que l’on retrouvait sur les tablettes de papiers à cigarettes de la marque Rizla (attention, il ne reste plus que cinq feuilles). « Five Leaves Left », un superbe échec qui a précipité l’état dépressionnaire dans lequel Nick Drake plongeait à cette époque (nous sommes en 1969). Voici le très attendu deuxième volet de la courte carrière de Nick Drake qui nous a quittés il y a tout juste cinquante ans…

2. Nick Drake : Hazey Jane I (« Bumpers ») ‐ Island

Les rares personnes qui ont accès à sa musique le connaissent en fait via les compilations publiées par son label Island. « Nice Enough to Eat » en 1969, puis « Bumpers », début 1970, sur laquelle Nick Drake côtoie le King Crimson, Jethro Tull, Mott the Hoople, Cat Stevens et tant d’autres… Extrait de « Bumpers » : « Hazey Jane ». « Hazey Jane » figurera en deux versions différentes sur le second album de Nick Drake, « Bryter Later ».

3. Nico : No One Is There (« Marble Index ») ‐ Elektra

John Cale, le multi-instrumentiste et producteur qui a co-fondé avec Lou Reed le Velvet Underground sera l’un des personnages influents dans l’entourage de Nick Drake. Il ne produit pas le second album de Drake – ce rôle revient à nouveau à Joe Boyd, un ami de John Cale – mais il fait partie des musiciens et des arrangeurs sur plusieurs titres. Sa « patte » est indéniable. John Cale rejoint le line-up de « Bryter Later » juste après avoir produit un album de la chanteuse Nico, « Marble Index ».

4. Nick Drake : Nothern Sky (« Bryter Layter ») ‐ Island

John Cale joue du piano et de l’orgue sur « Northern Sky », l’une des plus belles chansons de l’album qui a inspiré le fameux tube de Dream Academy « Life in a Northern Town ». « Northern Sky » évoque à nouveau les tourments de Nick Drake qui s’adresse, semble-t-il, à la lune en lui demandant d’illuminer son ciel nordique.

5. Nick Drake : At the Chime of a City Clock (« Bryter Layter ») ‐ Island

Le processus d’enregistrement de « Bryter Layter » prendra un peu plus de neuf mois, car il est toujours question chez Island d’éviter de mettre la pression sur ce jeune chanteur prometteur. L’album finit par sortir le 1er novembre 1970. Les rares chroniques publiées dans la presse sont plutôt élogieuses mais, contrairement à ce que Nick Drake espère de toutes ses forces, « Bryter Layter » est à nouveau un bide… Un beau bide dont nous tirons cette chanson : « At the Chime of a City Clock ».

6. Bert Jansch : Poison (« Birthday Blues ») ‐ Transatlantic Records

Les raisons de cet échec, on les retrouve à différents niveaux. Tout d’abord, la personnalité extrêmement introvertie de Nick Drake rend pratiquement impossible toute interview. Seul Jerry Gilbert du magazine Sounds s’y est risqué. Les réponses de Nick Drake aux questions du journaliste sont tellement confuses que cette interview – la seule de Nick Drake – tient sur une seule colonne du magazine avec ce titre sous forme de boutade : « Autre chose pour Nick ? » Ensuite, du vivant de Nick Drake, son label Island n’a jamais sacrifié le temps nécessaire pour effectuer une véritable promotion, notamment via un single qui aurait pu passer en radio. On pense ici à « Northern Sky » qui avait été envisagé en 45 tours. Enfin, et c’est le plus important, Nick Drake n’est tout simplement pas capable d’assumer un concert. Ses rares prestations sur scène sont catastrophiques : il oublie ses paroles, interrompt une chanson pour revenir sur une autre, et parfois, il s’enfuit après quelques titres. Pendant ce temps-là, d’autres chanteurs britanniques obtiennent un succès commercial grâce au circuit des clubs folk. C’est le cas de Cat Stevens, Sandy Denny et, évidemment, de Bert Jansch.

7. Nick Drake : Pink Moon (« Pink Moon ») ‐ Island

Retour à Nick Drake dont la santé décline au point où il est contraint de retourner vivre chez ses parents qui tentent tant bien que mal de le faire soigner. De son côté, Joe Boyd, son producteur en qui il voue une énorme admiration, part travailler à Los Angeles, ce qui n’arrange évidemment rien. En l’absence de Joe Boyd, Nick Drake compose néanmoins de nouvelles chansons, mais il prévient : « il n’y aura que moi et ma guitare ». Ainsi naît le troisième (et dernier) album de Nick Drake, « Pink Moon ».

8. Nick Drake : Things Behind the Sun (« Pink Moon ») ‐ Island

John Wood, son ingénieur du son, raconte que Nick Drake est arrivé à l’improviste une nuit, vers minuit. Il a enregistré les chansons dont il disposait. Il est revenu une autre soirée, puis il a dit : « Voilà, c’est tout ce que j’ai, je ne veux rien ajouter d’autre ». Le titre de l’album « Pink Moon » – « la lune rose » – possède un côté sinistre puisque, selon la mythologie, la lune rose symbolise le signe avant-coureur de sa propre mort. Nick Drake dépose les bandes à la réception chez Island puis il s’en va sans un mot. Il retourne vivre chez ses parents et se réfugie dans le silence jusqu’en 1974. « Pink Moon », l’album sort chez Island le 25 février 1972. On en écoute un extrait : « Things Behind the Sun ».

9. John Martyn : Solid Air (« Solid Air ») ‐ Island

C’est à cette époque que son ami John Martyn – chez qui il se réfugiait régulièrement – lui adresse un message vibrant sous la forme d’une magnifique chanson, « Solid Air ». Dans le texte de celle-ci, John Martyn lui écrit : « Je ne sais pas ce qui se passe dans ton esprit et je peux affirmer que tu n’aimes pas ce que tu y trouves ». C’est un avertissement adressé à Nick Drake qui, malheureusement, n’en tiendra pas compte.

10. Nick Drake : Black Eyed Dog (« Time of No Reply ») ‐ Hannibal

Bien entendu, Nick Drake s’enfonce un peu plus encore dans la solitude, sa santé physique et mentale décline, au point – et c’est unique dans les annales – que Chris Blackwell, le patron de Island, décide de lui verser une rente de survie durant sa période d’inactivité. L’état d’esprit de Nick Drake tient alors sur une chanson emblématique qu’il enregistre peu de temps avant de mourir et qui ne sera finalement publiée qu’à titre posthume : « Black Eyed Dog ». Ce « chien aux yeux noirs » personnifie chez Nick Drake la dépression qui ne le lâche pas et qu’il redoute de devoir subir jusqu’au bout de sa vie.

11. Robert Johnson : Hell Hound on my Trail (« King of the Delta Blues Singers ») ‐ Columbia

En vérité, Nick Drake est fasciné par la vie du bluesman américain Robert Johnson dont la légende voudrait qu’il ait vendu son âme au diable lors d’une rencontre avec celui-ci à un croisement de route. Un acte qui lui aurait permis de devenir l’un des artistes les plus influents du blues. Pour la petite histoire, sachez que, comme Nick Drake, Robert Johnson a perdu lui aussi la vie à l’âge de vingt-six ans. Le rapprochement avec la chanson « Black Eyed Dog » est évident sur ce « Hellhound on my Trail » de Robert Johnson que nous allons écouter, « Le chien de l’enfer » qui se trouve aux trousses du bluesman étant bien évidemment ici Satan Lui-même.

12. Nick Drake : Hanging on a Star (« Brittle Days ‐ Time of No Reply ») ‐ Hannibal

Nous sommes à présent en février 1974, à une époque où Nick Drake vit toujours chez ses parents. Son médecin lui prescrit des antidépresseurs. Parfois, il est même hospitalisé, lorsque sa santé se dégrade plus gravement. Nick Drake reprend cependant contact avec l’ingénieur-son John Wood car il souhaite enregistrer à nouveau. Joe Boyd assiste à ce tout dernier enregistrement. La séance est chaotique, Nick Drake est assommé par les antidépresseurs. Il faut d’ailleurs séparer à l’enregistrement la guitare de la voix, car il ne sait plus jouer et chanter en même temps. En tout, quatre nouvelles chansons naîtront de cette séance. Quatre chansons que l’on retrouvera plus tard sur une compilation parue en 1979, le coffret « Fruit Tree », qui réunit alors l’intégralité de l’œuvre de Nick Drake, soit trois albums et quatre inédits, dont ce « Hanging on a Star » où il exprime son amertume qu’il associe à un manque de reconnaissance.

13. REM : Old Man Kensey (« Fables of the Reconstruction ») ‐ IRS

La reconnaissance, Nick Drake finira par l’obtenir. Bien après sa mort malheureusement. On ne compte plus ses disciples, ceux qui aujourd’hui admettent qu’il fut une source d’inspiration importante. Parmi eux, le groupe REM qui a même fait appel à Joe Boyd pour produire l’album « Fables of the Reconstruction ».

14. Nitai Hershkovits : Dream Your Dreams (« Call on the Old Wise ») ‐ ECM

Avec Nick Drake, il est fort question de dépression et de solitude. Mais jamais d’abandon. Nick Drake était fort apprécié de ses amis chez lesquels il pouvait s’incruster pendant des heures sans prononcer un seul mot, et il était aussi toujours accueilli à bras ouverts chez ses parents où il pouvait se poser lors de crises existentielles plus graves. Son papa est ingénieur en Birmanie, un pays qu’il décide de quitter en 1951 pour rentrer au pays avec sa famille. Lui poursuit sa carrière de Directeur général au sein d’une entreprise qui fabrique des voitures tandis que la maman de Nick Drake, Molly, reste à la maison où elle chante et joue du piano. Le pianiste Nitai Hershkovits a repris, en piano solo, une chanson de Molly Drake, « Dream Your Dreams », que l’on peut retrouver sur son nouvel album paru chez ECM, « Call on the Old Wise ».

15. Jean‐Sébastien Bach : Brandeburg Concertos n°1 (« Brandeburg Concertos 1-3 ») – Erato

Le 25 novembre 1974, Molly, la maman de Nick Drake, retrouve son fils inanimé dans sa chambre. Il a succombé à une overdose d’antidépresseurs. Sur sa table de nuit, un ouvrage de Camus qu’il lisait régulièrement, « Le Mythe de Sisyphe » et sur sa platine, le concerto brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach, un disque qu’il écoutait inlassablement à la fin de sa vie.

Ainsi se clôture notre saga Nick Drake… dont vous pouvez retrouver le premier volet sur JazzMania.

Intervalles sur Equinoxe FM
Chaque mardi à 22 heures (rediffusion le jeudi, 22 heures)

Yves Tassin