Between a Smile and a Tear ‐ Hommage à Toots (Flagey, Bruxelles, 12-13/09/25)

Between a Smile and a Tear ‐ Hommage à Toots (Flagey, Bruxelles, 12-13/09/25)

Between a Smile and a Tear © Robin Todde

Disparu en 2016, Toots Thielemans a définitivement marqué le jazz international. Il était normal qu’une institution telle que Flagey célèbre avec faste ce jazzman hors pair qui a fait rayonner le Belgique dans le monde entier. Le 12 et 13 septembre cent musiciens s’étaient réunis à Bruxelles pour deux soirées exceptionnelle (qui devraient donner lieu à un futur album).

Kenny Werner, grand ami de Toots, s’était récemment demandé comment la musique de l’harmoniciste belge résonnerait actuellement, dix ans après sa disparition. Il lui a donc prit l’idée de réunir à Flagey, deux soirs de suite – et pendant plus d’une semaine complète de répétitions intenses -, le Brussels Jazz Orchestra et le Brussels Philharmonic dirigés par la cheffe d’orchestre japonaise Miho Hazama, le vocaliste Pedro Sá Moraes et l’harmoniciste Grégoire Maret pour revisiter la mémoire de Toots, entre « Un Sourire et une Larme ».

Le pianiste américain a réarrangé les thèmes favoris et les propres compositions de Toots pour proposer plus de deux heures de musique jouées par près de cent musiciens. Un travail colossal pour lequel il a heureusement pu compter sur l’aide de Frank Vaganée (directeur artistique du BJO). On a donc mis les petits plats dans les grands ce samedi soir du 13 septembre. Retransmission en direct sur les ondes de Musiq3 et de Klara, captation vidéo pour Pickx et présentation bilingue par Michaël Robberechts & Patrick Bivort. Toots est internationalement belge !

Le studio 4 est comble, l’orchestre s’accorde et, sous un tonnerre d’applaudissements, la musique retentit comme celle d’un film Hollywoodien. Normal, c’est « The Days of Wine and Roses » (de Henri Mancini), que Toots a enregistré avec Bill Evans sur le formidable album « Affinity ». L’émotion affleure immédiatement quand quelques citations de « Midnight Cowboy » se font entendre. Grégoire Maret a le privilège, mais aussi la pression (qu’il semble gérer en toute quiétude), de se substituer à Toots (qui doit veiller affectueusement sur lui, de là où il est). Avec beaucoup d’élégance, de respect et autant d’inspiration, l’harmoniciste suisse développe magnifiquement « The Dolphin », le célèbre thème écrit par Luiz Eça et que Toots avait magnifié plus d’une fois.

Grégoire Maret © Robin Todde

Le concert est également rythmé par quelques extraits sonores des anecdotes du Ketje de Bruxelles qui, avec son accent inimitable et ses inflexions craquantes, évoque ses rencontres avec Quincy Jones, Ray Charles ou Stéphane Grappelli qui, d’ailleurs, aurait suggéré à Toots de rebaptiser son « Bluette » en « Bluesette ». « Bluesette », que l’ensemble interprète avec ferveur et émotion entre un magnifique « Footprints » (de Wayne Shorter) et un non moins formidable « All Blues » (de Miles Davis). Ça groove et ça swingue terriblement. L’équilibre entre le Philarmonique et le Big Band est parfait. Chacun se partage ou s’échange les rôles. Kenny Werner s’offre aussi l’espace pour improviser quelques solos ou échanger en formule quartette avec Bart De Nolf à la contrebasse, l’excellent Toni Vitacolonna aux drums et bien entendu l’omniprésent Grégoire Maret. Puis, « Old Friend » s’unit à « Ne me quitte pas ». Et les frissons nous parcourent l’échine.

Plus rien n’existe dans ces moments suspendus et uniques. Toute la haine du monde, les conflits, les mesquineries politiques et tous les racismes imbéciles sont balayés par un message unificateur de paix. C’est cela la culture ! Il faudra bien que certains le comprennent enfin ! Ne faudrait-il pas plus de Toots dans ce monde ?

Les cent musiciens enchaînent alors un joyeux et tonitruant « Sesame Street » avant d’inviter le chanteur brésilien Pedro Sá Moraes à interpréter « Between a Smile and a Tear » écrit par Ivan Lins et basé, en partie, sur l’iconique « Corcovado » de Carlos Jobim. La voix de Moraes n’est pas sans rappeler celle de Milton Nascimento et elle se fond idéalement à l’ensemble. Le soleil brille sur tout Flagey et les yeux des spectateurs ne restent pas secs. Le bonheur, le plaisir et l’amour sont palpables. Les applaudissements explosent et une standing ovation oblige l’ensemble de l’orchestre à revenir trois ou quatre fois en « bis ». Nous aurons droit alors à « Smile » (de Charlie Chaplin), à l’inévitable « What a Wonderful World » ou encore une sublime version de « Body and Soul »…

Cela aurait pu continuer la nuit durant, mais on a déjà largement dépassé le timing prévu. On n’a pas vu le temps passer. D’ailleurs, qu’est-ce que le temps avec Toots… à part l’éternité ?

Jacques Prouvost