Le jazz, la radio, la crise : Xavier Prévost sur le cas français.
Xavier Prévost, ex-producteur à France Musique,
revient sur les rapports entre jazz et radio.
Xavier Prévost a été le dernier responsable du « Bureau du jazz » à Radio France, mais aussi producteur d’émissions sur France Musique (« Jazz sur le vif ») et France Culture, auteur multimédia, chroniqueur dans la presse spécialisée, membre de divers jurys et du Conseil d’Administration de l’AJON (Association pour le Jazz en Orchestre National), instance dirigeante de l’Orchestre National de Jazz (ONJ). Après plus de trente ans de jazz radioactif, il revient sur certains enjeux de la médiation entre scène et antenne. (1)
Quel traitement le jazz a-t-il été le seul à recevoir de la part des politiques culturelles françaises de ces dernières années ?
La situation actuelle de la scène française est en partie due à un renversement de situation. Ces trente dernières années, on est passé de politiques actives favorables à un accroissement de la scène, à des politiques restrictives et donc insuffisantes vis-à-vis de la scène qui s’était développée. Au début des années 1980, des dirigeants comme Maurice Fleuret (Directeur de la musique au Ministère de la culture) ou Jack Lang tendent l’oreille au jazz en train de se faire. On assiste alors à une institutionnalisation de la scène, qui est en fait le prolongement de toutes les initiatives associatives amorcées dès les années 60, un terreau qu’il fallait au moins préserver. L’ONJ est créé en 86. Arrivent les commandes d’État, les inspecteurs spécialisés à la Direction de la Musique du Ministère de la culture, le développement de l’enseignement, puis la décentralisation de l’action culturelle publique.
Actuellement, la disproportion entre le nombre croissant de musiciens qualifiés et la stagnation, voire la décrue, du nombre de lieux ou d’événements à même de les accueillir (beaucoup de lieux et de festivals en difficulté ou en voie de disparition pour cause de tarissement des financements publics) obligent de fait les acteurs du milieu à faire autant avec moins, voire beaucoup moins avec très peu (et, dans quelques cas récents, à envisager la disparition de l’activité).
Après plus de trente ans à Radio France et entre les scènes, n’avez-vous pas la sensation d’être accueilli comme une autorité esthétique ?
Non, car je n’ai jamais usé d’argument d’autorité. J’ai toujours pris en compte l’argumentation critique des uns et des autres. Au concours Martial Solal, au jury duquel j’ai participé à deux reprises, j’ai remarqué que des personnes en position d’user d’arguments d’autorité, comme Martial Solal ou André Hodeir, s’en abstenaient pour favoriser la bonne tenue du débat. Le débat est permanent avec des amis avec qui je discute depuis près de trente ans à la fin des concerts, tels Arnaud Merlin ou Franck Bergerot. Nous ne sommes pas forcément d’accord, mais la vivacité de l’échange éclaire notre jugement et participe au plaisir de l’écoute. Idem avec tous les collègues, confrères et amis lors des discussions de l’Académie Charles Cros ou de l’Académie du Jazz. J’ai participé pendant vingt ans au jury du Concours de Jazz de La Défense. Le débat a toujours été très vivant, pour conserver cette réciprocité critique.
A l’inverse, le fait de ne pas être vous-même musicien a-t-il pu remettre en cause la légitimité de vos choix ?
Pas davantage. Il n’est pas nécessaire de jouer pour apprécier un jeu. Je pianote un peu, ça m’aide à comprendre le fonctionnement de la musique : repérer les harmonies, analyser les rythmes, les sinuosités du discours mélodique, etc. Écouter sans jouer, c’est le propre et le privilège de tout auditeur, même s’il est lui-même musicien. C’est le cas de nombreux jurys, ou de presse spécialisée, où des musiciens réputés font régulièrement œuvre de critique.
Le renforcement de la coopération entre les radios (telle celle de Radio France avec l’UER) peut-il être un soutien suffisant pour la scène jazz française ?
La coopération existait au sein de l’UER/EBU (Union Européenne de Radiotélévision / European Broadcasting Union) dont NPR (radio publique états-unienne), NHK au Japon, Radio Canada/CBC ainsi que les radios australiennes, israéliennes, etc. sont membres associés. Mais pour l’instant, à Radio France, le Bureau du jazz n’existant plus, personne n’est chargé d’y veiller spécifiquement pour le jazz. Ainsi les concerts du festival Radio France Montpellier 2014 n’ont pas été offerts à l’UER, contrairement aux années précédentes. Je ne sais pas si cette coopération est un soutien suffisant, mais elle est nécessaire et pour l’instant en sommeil, sauf opérations ponctuelles – à l’instar de la présence de France Musique en direct cette année au JazzAhead de Brême, consacré cette année à la France.
La radio peut aussi bien être un facteur de standardisation qu’un tremplin pour les artistes émergents. Est-ce à dire qu’elle n’est que ce qu’on en fait ?
Évidemment. Les choix artistiques ne sont pas anodins. Ce n’est qu’en diffusant telle ou telle musique de telle ou telle façon qu’on peut ensuite mesurer l’effet de sa diffusion. L’esthétique émergente peut être assimilée par le système, et se trouver ainsi standardisée par le contexte même de sa diffusion. Mais rien n’exclut qu’une radio généraliste programme sciemment des esthétiques plus marginales, et c’est tant mieux, même s’il est difficile de cerner l’efficacité qualitative et quantitative d’une telle démarche.
Comment, sans démagogie, protéger les programmateurs culturels et leur volonté de donner à voir des scènes de qualité tout en respectant la légitimité des dirigeants dont la mission est assumer la responsabilité des orientations et budgets ?
Vaste débat ! Qu’il s’agisse de la radio nationale, de l’État, des collectivités territoriales ou d’institutions privées, on peut penser que la diffusion des œuvres est nécessaire à toute collectivité et doit se faire dans le respect de l’intérêt général et du service public. Le propos que je tiens ici pourrait lui-même être taxé de démagogie, orientée soit vers l’ensemble du public, soit vers le milieu artistique concerné.
Je me percevais plus comme médiateur d’action artistique que comme programmateur culturel. Cette coquetterie mise à part, je suis convaincu que, dès lors qu’un tel programmateur a été choisi par des dirigeants et décrété légitime pour une action, une orientation et des moyens donnés, l’impératif est d’agir dans l’intérêt général, qui inclut l’intérêt particulier du public, son droit à accéder aux œuvres, et celui des artistes à voir leurs œuvres présentées au public.
Cet intérêt général s’impose aux dirigeants, dont l’intérêt particulier est de tirer un bénéfice symbolique de leur action. Leur légitimité est, elle aussi, issue de l’intérêt général.
Bref, la question n’est pas simple…
par Thomas Perroteau // Publié le 15 juin 2015 par Citizen Jazz
(1) Xavier Prévost est un fidèle lecteur de Jazzaround, et ce, depuis le début de nos aventures, en 1996, le magazine papier qui a compté 56 pages et était distribué sur le Nord de la France et à Paris. Rencontré à plusieurs reprises, et plus particulièrement lors d’un colloque à Avignon, consacré à l’avenir du disque, organisé par Les Allumés du Jazz, Xavier Prévost ne s’écartera jamais de cette passion qui consiste pour lui à propager le virus du jazz, à le partager, à le transmettre, le plus possible, avec cette attention particulière pour les courants et les projets les plus fragiles.
Entrevue Xavier Prevost responsable du bureau… par