Matteo Pastorino Quartet, V
Matteo Pastorino Quartet, V (Absilone, Socadisc)
A l’époque du New Orleans et du swing, la clarinette était en première ligne, de Johnny Dodds ou Barney Bigard à Benny Goodman. Avec le bop, elle fut plus ou moins rangée au placard pour connaître un nouvel essor avec Eric Dolphy et la clarinette basse. Mais la plupart du temps, elle est jouée maintenant par des polyinstrumentistes qui sont également saxophonistes (Don Byron, Michel Portal, Louis Sclavis, Laurent Dehors, Gianluigi Trovesi). Rares sont les musiciens contemporains qui sont clarinettistes à part entière : Théo Jorgensmann dans la mouvance free, Gabriele Mirabassi avec un attrait pour la musique traditionnelle. Aussi découvrir un jeune musicien qui se dédie pleinement à la clarinette, avec un tel bagage technique, tient de l’événement. Matteo Pastorino est né en Sardaigne en 1989 et a abordé la musique en autodidacte, dès l’âge de 13 ans. Il s’est rapidement tourné vers le jazz sous l’influence de son père contrebassiste et il prend ses premières vraies leçons avec Paolo Fresu, lors des Séminaires de Nuoro Jazz, l’équivalent sarde des workshops de Siena Jazz. A 19 ans, il débarque à Paris et rejoint le Conservatoire avec des professeurs saxophonistes comme Jean-Charles Richard et Pierre Bertrand (le leader du Paris Jazz Big Band). En 2009, grâce au Siena Jazz, il étudie avec Kenny Werner et obtient une bourse pour suivre des cours avec Chris Potter. Invité par différents festivals français (Tours, Orléans) et italiens (Sienne, Berchidda, le festival organisé par Paolo Fresu dans sa ville natale), il remporte plusieurs prix “Jeune Talent” et notamment le Prix Selmer du Meilleur Soliste, ce qui lui vaut d’être sponsorisé par la célèbre marque d’instruments à anche. A côté de son quartet “français” avec lequel il vient d’enregistrer son premier disque, on peut l’entendre au sein du Fourth Stream Ensemble de Nicola Andrioli (le pianiste de Philip Catherine), Playground Four avec le jeune pianiste brugeois Hendrik Lazure et il s’est produit, en première partie du festival Jazz Brugge, dans le projet Nestor Martin plays Mingus, aux côtés de la chanteuse Francesca Palamidessi. Mais c’est surtout avec son propre quartet qu’il s’est révélé : il vient de terminer une tournée qui l’a emmené du Club Pelzer à Liège au Sunside parisien, en passant par les Trinitaires de Metz. A ses côtés, une jeune rythmique française de talent. Au piano, Matthieu Roffé qui a poursuivi ses études au Conservatoire de Metz, avec Mario Stantchev, puis à Paris avec Emil Spanyi (le pianiste de Christophe Monniot), grâce à qui il a enseigné à Lausanne. Il a fait partie du quartet MTX du saxophoniste Matthieu Durmarque, formé le Roffé Orchestra, un ensemble de 11 musiciens dont il signe les arrangements dans la lignée de Gil Evans et rejoint Matteo Pastorino dès 2010. A la contrebasse, Bertrand Beruard, élève de Gildas Boclé et Yves Rousseau au Conservatoire de Paris et, à la batterie, Jean-Baptiste Pinet, membre du quartet MTX comme Roffé. Au répertoire de ce premier album, rien que des compostions originales. Cinq compositions de Matteo Pastorino et trois de Matthieu Roffé : quelques ballades lyriques comme A mio fratello, un mid tempo (Cobra) et, principalement, de belles et longues compositions basées sur de subits changements de rythme et de climat (Trois coups de marteau, Bushida, Yggdrasil, Ping Pong) pour se terminer, avec un clin d’œil à Count Basie, sur le rythme sautillant de Count in heart. Tout au long de l’album, Matteo fait preuve d’une parfaite maîtrise dans tous les registres, de la sonorité la plus suave (A mi fratello) aux accents les plus graves (Cobra), et toujours avec une extrême volubilité. Sur Eleventh Floor, la sonorité ténébreuse de la clarinette basse se marie avec l’archet de la contrebasse, en total contraste avec le déferlement du piano et de la batterie : on pourrait alors évoquer Eric Dolphy quand il jouait avec John Coltrane, Mc CoyTyner et Elvin Jones. En parfaite connivence avec une rythmique très souvent mise en évidence, il survole toute une partie de l’histoire du jazz pour en montrer la totale contemporanéité. Une vraie découverte.
Claude Loxhay