Steve Lacy, Shots (+ Spotify)

Steve Lacy, Shots (+ Spotify)

Steve Lacy,  Shots (Hat Hut)

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Le présent album est une histoire de disques, de ces histoires que nous aimons bien parce qu’elles ont en elles toutes les foudres de la passion, et elle est indispensable. La passion, c’est ce qui meut depuis quarante ans le patron de Hat-Hut, Werner X. Uehlinger, et elle n’est pas prête à s’éteindre. Passion, et fidélité, à plusieurs musiciens, notamment, des saxophonistes comme Joe McPhee, Anthony Braxton ou Steve Lacy qui sont parmi les musiciens qui ont le plus nourri le label. En ce qui concerne Lacy, la documentation tient de la carte amoureuse. On a tous en mémoire, si tant est qu’on s’intéresse au label à tranche orange des albums avec son septet, son sextet, son quintet ou des quartets (“Morning Joy”, “Clichés”, “Clinkers”). Rarement des duos, à part un remarquable avec Mal Waldron (“Live At Dreher Paris 1981”, “Round Midnight”). C’est pour pallier ce manque que Hat-Hut sort l’album “Shots” qui était à l’origine paru en 1980 sur le défunt label Musica. Une histoire comme un jeu de piste : des bandes perdues, une copie faite sur un vinyl d’origine, puis un morceau, The Kiss, en provenance d’une autre copie de meilleure qualité… A la fin, cet album, enregistré à Paris et qui met en scène la rencontre de Steve Lacy avec le percussionniste traditionnel nippon Masa Kwate. “Shots” est un album étrange, où règne le souffle de ce que devrait être la vraie “World Music”, c’est à dire autre chose de la domination d’une expression sur l’autre, mais un vraie champs ouvert où l’on peut gambader en libre improvisation. Une rencontre qui ne soit pas uniquement conversationnelle, mais recherche un ailleurs. On est ici, avec ce duo dans cet ailleurs. Et c’est ce qui est troublant et excitant, d’autant que ce que Lacy a écrit pour cette rencontre est un matériel relativement inédit, où on découvre des perles comme The Ladder où ils va aux limites de son instrument avec le sentiment d’une progression heurtée, souligné par les pulsations erratiques de Kwate. Pas vraiment/seulement un duo d’ailleurs, puisque sur The Kiss, la fidèle Irène Aebi vient donner de la voix et du violon pendant que Kwate souligne la mélodie légèrement déconstruite avec quelques tintements de cloches lointains. Pas vraiment un duo non plus lorsqu’on se plonge au cœur de l’échange entre Lacy et Kwate. John Corbett le souligne à juste titre dans ses documentées notes de pochette, il y a plusieurs façon d’envisager le duo : la conversation ou l’opposition sont les plus courantes, mais il y a des chemins de traverses. Les deux solistes les empruntent allégrement. C’est ce qui marque en premier lieu à l’écoute de Moms, c’est cette différence entre les les musiciens. Différence de langage, différence de temps… Différence de culture qui offre un espace incroyable à chacun sans heurt ni rupture. Lacy est vindicatif tout en conservant son style posé. Kwate est imperturbable, va chercher au plus profond de ses gongs et de ses tambours une forme de plénitude. Elle n’est complète que lorsque le soprano la zèbre comme si Lacy était seul. Un effet encore plus fort dans le formidable Pops, le sommet de l’album avec ce timbre éraillé qui s’instille dans ce qui ressemble à une cérémonie Shin-tõ de guingois. Chacun est soliste à sa manière, et le pas de deux est d’une cohésion époustouflante. C’est le grand trésor de ce disque indispensable; un de plus dans la gallerie Hat-Hut.

Franpi Barriaux