REIMS JAZZ FESTIVAL #2015
Reims Jazz Festival 2015
Une création de musiciens entrepreneurs.
Le développement des réseaux sociaux, sur Internet, donne une nouvelle impulsion à la solidarité entre artistes, sous la forme de mutualisations, et ce, de collaboration, tant sur le terrain de la création, que celui de la promotion et de la diffusion artistique. Bien entendu, additionner les énergies, autour d’un objectif commun, n’a rien de neuf. Ce sont les nouveaux outils issus du numérique qui redistribuent les cartes et modifient durablement les rapports entre artistes, et entre les artistes et leurs publics. En Europe, sur le terrain du jazz et des musiques improvisées, les premiers collectifs de musiciens voient le jour dans le courant des années 1960, portés par l’énergie qui conduira aux événements de Mai ’68. Plus tard, dans les années 1970, on assiste en France à la création de l’Association pour un Folklore Imaginaire (Arfi, Lyon), une coupole, toujours active aujourd’hui, qui abrite simultanément plusieurs projets musicaux. En Belgique, au même moment, une structure est créée pour mieux défendre les intérêts des artistes catalogués comme “non-classiques”, et portera ce nom improbable “Les Lundis d’Hortense” !
Plus récemment, dans le courant des années 1990, face aux mutations de l’industrie du disque, et confronté à la croissance exponentielle du nombre de musiciens formés dans les conservatoires, le monde du jazz va générer de nouvelles initiatives d’organisation collective, comme Les Allumés du Jazz (association de labels indépendants) sur le terrain de la promotion et de la diffusion, ou encore, plus localement, l’association [djaz]51 (51 est le numéro du département de la Marne) qui est à l’origine du Reims Jazz Festival , dont la 22ème édition va démarrer le 06 octobre prochain.
Francis Le Bras, pianiste, compositeur, et directeur artistique du Reims Jazz Festival, précise : “…la structure associative [djaz]51 est née deux ans avant le Reims Jazz Festival. L’objectif de départ des musiciens du collectif était d’organiser des stages de formation au jazz et à la musique improvisée. Après la naissance du festival, c’est tout naturellement que s’est développée l’action artistique et de sensibilisation. Il s’agit d’une action militante voulue par le conseil d’administration de l’association et ses membres et non d’une quelconque exigence des tutelles.”
Selon Francis Le Bras, au moment de lancer la première édition du festival, en 1993 : “… le collectif de musiciens à la base du Reims Jazz Festival s’est d’abord heurté à l’attitude attentiste des autorités locales et régionales. Mais, le succès rapide remporté auprès du public nous a permis de solliciter les tutelles dès la deuxième année. Au jeu de « qui va se décider le premier », le Maire de Reims a, le premier, pris la décision d’apporter un soutien financier, bientôt suivi par le Ministère de la culture, la région Champagne-Ardenne et le département de la Marne.“
Au fil du temps, l’inclusion du secteur privé s’est imposée au modèle économique du festival, mais l’équipe dirigeante a pris soin d’initier par ce biais bien plus que du sponsoring, un véritable partenariat entre les entreprises privées et le festival : “Le partenariat privé a toujours été très important dans notre mode de financement, mais aussi comme moyen de toucher d’autres publics. Il représente maintenant plus de la moitié de notre source de financement. Nous soumettons le projet global du festival à nos mécènes, en leur faisant diverses propositions de participation. Ils peuvent ainsi choisir de mettre l’accent sur telle ou telle soirée, sur tel ou tel concert, ou sur une forme d’action de sensibilisation particulière. Le problème de la liberté de choix de programmation ne se pose jamais.“
La mixité dans la source de financement permet au Reims Jazz Festival de voir l’avenir sans doute sous de meilleurs auspices car, toujours selon Francis Le Bras : “L’évolution des subventions publiques est malheureusement, comme pour la plupart des festivals français plutôt orientée vers une baisse sensible. La part d’autofinancement (mécénat, vente de billets et d’abonnements…) est ainsi devenue notre principale source de revenus.“
Pour un festival né de la volonté d’un collectif de musiciens, dirigé par un pianiste et compositeur renommé, la question de la programmation se pose avec évidence. Comme d’autres, le Reims Jazz Festival travaille toute l’année avec un comité d’écoute, chargé d”écouter les nombreuses propositions reçues, d’en débattre et de soutenir éventuellement les découvertes des uns et des autres : “Le comité d’écoute est formé de quatre personnes. Outre l’administrateur de l’association et moi-même deux musiciens en font partie. Nous nous réunissons environ une fois par mois, mais échangeons plus souvent sur nos coups de cœur. Il faut préciser que nous écoutons tous les supports physiques que nous recevons. Précisons également que chaque groupe programmé ne l’est que si nous sommes unanimes !“
Entre pianiste, compositeur et directeur artistique, Francis Le Bras choisira-t-il un jour ? : “Je n’ai jamais pu choisir entre musicien et directeur artistique. Ces deux métiers m’ont toujours semblé complémentaires et je suis bien incapable de dire lequel m’apporte le plus. Je suis toujours aussi surpris de constater la dichotomie qui existe entre musiciens et organisateurs de spectacles. Chacune des deux activités y gagnerait à connaître un minimum des contraintes qui régissent l’autre.”
Les concerts du Reims Jazz Festival sont programmés pendant plusieurs semaines, du 06 octobre au 07 novembre prochains, et dans différents lieux : Opéra de Reims, Caveau Mumm, Villa Douce, La Spirale, Césaré. Quant à l’affiche, en plus des résidences d’artistes, des concerts-rencontres organisés avec les établissements scolaires et des formes de soutien à l’émergence régionale, le festival avance quelques têtes d’affiche européennes et d’Outre-Atlantique. Citons ainsi dans le désordre : Michel Portal, John Scofield, Joe Lovano, Avishai Cohen, Uri Caine, Jeff Ballard, Bojan Z, Mark Turner… En plus de l’accueil d’artistes et de formations en tournée, le festival se caractérise aussi par plusieurs créations à l’affiche : “Les créations portées et soutenues par [djaz]51 et le soutien à la scène locale sont deux orientations différentes de notre action. Ce soutien peut prendre une forme tout à fait différente, comme la création d’un répertoire, l’enregistrement d’un support audio, ou tout autre besoin exprimé par le groupe ou le musicien aidé“, explique Francis Le Bras.
Et côté création, dès le premier jour, le festival propose “Point OF Views”, une première née de la rencontre entre le trompettiste français Alain Vankenhove et le pianiste américain Uri Caine, entourés du contrebassiste Sébastien Boisseau (F) et le batteur Jeff Ballard (USA). “Point Of Views devient le reflet de nos expériences, une passerelle entre deux continents, deux territoires, deux cultures, le jazz et la culture européenne” , précise Alain Vankenhove. Nous reviendrons bien entendu sur ce projet musical, dont l’enregistrement en studio est programmé pour le mois de février 2016, avant une tournée international pour l’été et l’automne de la même année.
Le premier quart de siècle du festival sera célébré en 2018, quels sont les artistes que le Reims Jazz Festival souhaiterait mettre à l’affiche ? : “Nous avons beaucoup d’ambition pour ce festival. Mais le contexte financier et politique se charge de rapidement nous faire retomber les pieds sur terre. Plutôt que de citer des noms de groupes ou de musiciens que nous souhaitons inviter, je dirais que le plus important me semble de continuer à innover, découvrir, prendre des risques, séduire ou même agacer. Il y a un projet qui nous tient à cœur et sur lequel nous allons nous investir : trouver un lieu de création et de résidence qui, même s’il ne permet pas d’accueillir un public nombreux, nous permet de « nous poser », de mener des actions de formation, de sensibilisation, d’accueillir des musiciens en recherche d’un lieu de travail. Un lieu convivial, enfin, où tout projet pluridisciplinaire sera le bienvenu.“
“Pluridisciplinaire, résidence, création”, ces mots, dans la bouche de Francis Le Bras, soulignent bien que le festival continue d’entretenir les idéaux qui définissaient les scènes du jazz et des musiques improvisées, voici déjà près d’un demi-siècle ! Le jazz serait donc plus qu’un genre musical ?
Philippe Schoonbrood