Airelle Besson

Airelle Besson

AIRELLE BESSON

Aïrés, les duos, le quartette, le trio allemand, le chansigne, Coutances, Bach, Rhoda Scott… De l’orchestre symphonique au duo en passant par le quintette, le quartette et le trio, aucune formation ne semble lui être étrangère : Airelle Besson est Protée. Nous l’avons rencontrée à l’issue d’une résidence de trois ans au Théâtre municipal de Coutances où elle a déployé une énergie créatrice rare. Jamais rassasiée, cette artiste si douée, sensible, curieuse de tout, exigeante d’abord avec elle-même, et si humaine, revient sur le passé récent et nous confie ses rêves de nouvelles aventures.

Votre actualité récente et à venir, c’est le trio Aïrés et son album qui porte le même titre. D’où vient ce nom ?

C’est tout simple : Aïr pour Airelle, avec un tréma euphonique, É de Édouard et S de Stéphane !

Que pouvez-vous nous dire sur la naissance de ce groupe ?

Le trio Aïrés est né d’une initiative de Didier Martin, directeur du label Alpha, chez qui Édouard Ferlet avait déjà enregistré son Bach Plucked Unplucked avec Violaine Cochard. Je connais Édouard depuis fort longtemps. Il y a environ six ans nous avons eu l’occasion de travailler ensemble en quartette. Quand nous nous sommes retrouvés avec Édouard, nous avons tout de suite pensé à Stéphane Kerecki pour compléter le trio. Édouard et lui se connaissaient même s’ils n’avaient travaillé ensemble que très fugacement. Moi, je le connais depuis très longtemps. Quand j’étais au Conservatoire de Paris, il faisait partie des « grands » ! Depuis nous avons eu deux ou trois rencontres musicales et nous nous sommes retrouvés à Jazz sous les Pommiers, il y a trois ans. Je suis ce qu’il fait musicalement et artistiquement. Sa démarche me plaît bien et j’apprécie beaucoup son travail. Finalement, la relation lointaine que j’ai eue avec l’un et l’autre trouve son aboutissement, son couronnement dans ce trio.

Parmi les titres de l’album, figurent des compositions de chacun d’entre vous, mais aussi des improvisations sur des œuvres classiques. Comment avez-vous fait pour les concilier ?

Je vais vous dire : pour moi, il n’y a pas de frontière et surtout pas de contradiction entre musique écrite et improvisation. Prenez la musique baroque, elle comporte beaucoup d’improvisation. Ces « variations », c’est une façon de partir de la partition originale et de sa mélodie en tournant autour, tout en restant dans son univers. C’est une chose que je pratique beaucoup quand je compose pour orchestre symphonique ou d’autres formations classiques. On crée ainsi une sorte de passerelle entre musique écrite et musique improvisée. C’est vrai pour le jazz comme c’est vrai pour beaucoup d’autres musiques.

LE SILENCE A ÉTÉ INSTANTANÉ DANS LA SALLE : UN SIGNE QUI NE TROMPE PAS

Comment présenteriez-vous votre démarche en trio ?

Je partage avec Édouard une vraie proximité avec Bach que j’ai beaucoup écouté et beaucoup analysé. Avec Stéphane, nous nous sommes découvert des affinités avec d’autres musiques. Ce qui nous réunit tous les trois, c’est que nos compositions sont basées sur la mélodie. La mélodie, l’harmonie, le son, constituent notre univers commun. C’est aussi celui de la musique classique. Si je m’interroge sur notre démarche dans ce trio, je dirai que l’écoute a été première. L’écoute et le son, ce sont deux choses inséparables. La qualité du son est une préoccupation que nous partageons, c’est une exigence commune. La somme des expériences accumulées par les uns et par les autres, dans des formations variées, a fait que nous n’avions rien à nous prouver. La confiance, autre ingrédient indispensable, a donc été immédiatement présente. Dans ces conditions, l’équilibre s’est trouvé, je dirais naturellement, spontanément, dans un grand respect mutuel. Ensuite, tout le reste n’est que… musique, c’est Aïrés !

Lors du dernier Jazz sous les Pommiers qui marquait la fin d’une résidence de trois ans, Airelle, vous avez travaillé avec une comédienne sourde, chansigneuse, et des enfants mal entendants. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?

C’est une expérience émouvante et forte.
C’était le projet d’orchestre à l’école de Claires-Fontaines qui accueille des enfants entre neuf et onze ans avec des instruments à vent. On y a intégré la classe du CROP de Caen, des enfants sourds ou malentendants. L’idée était de voir comment on pouvait travailler ensemble avec la langue des signes. Nous avons mené ce travail pendant un an avec Clémence Colin, la chansigneuse à laquelle vous avez fait allusion. Pendant le festival nous en avons proposé une restitution qui n’était pas un spectacle à proprement parler mais plutôt l’aboutissement d’un chantier long et complexe. Clémence a surtout travaillé avec les enfants sourds, à travers des vibrations et des signes. C’était très impressionnant. La première fois, nous avons commencé seulement avec des tambours puis j’ai progressivement introduit des sons. Les enfants étaient assis en cercle, sur un sol en bois pour mieux ressentir les vibrations, et ils ont été immédiatement très réactifs. Puis je les ai fait jouer eux-mêmes sur les tambours. C’était très surprenant, même pour eux, ils ont tout de suite su reproduire des rythmes. Avec les enfants de l’orchestre, nous avons essayé d’apprendre deux morceaux et les enfants du CROP, avec l’aide de Clémence, les ont chansignés. Il a fallu un gros travail de dessin et de recherche pour nourrir le signe. Toujours avec Clémence, nous avons mis en place une technique de miroir. Les enfants ont été répartis en binômes (orchestre et CROP). La restitution a commencé par là et ce fut un grand moment d’émotion. Le silence a été instantané dans la salle : un signe qui ne trompe pas.

Ressentir les vibrations des percussions, surtout dans les graves, ça se comprend, mais avec un instrument comme le vôtre ?

Pour la trompette, les enfants tiennent un ballon de baudruche dans les mains et c’est lui qui transmet les vibrations. C’est évidemment plus facile dans les graves mais ça marche dans tous les registres. Là aussi c’est stupéfiant !

Ce que les enfants signent, ce n’est pas ce qu’ils ressentent sur le moment ?

Non, c’est une prestation préparée. Clémence a énormément travaillé avec eux pour qu’ils extériorisent leurs sensations, notamment par des dessins. Ils étaient d’ailleurs accrochés dans la salle. A partir de ce matériau, elle les a aidés à construire collectivement un scénario, un sketch… C’est l’aboutissement de tout cela qu’ils ont restitué sur la scène.

TOUT S’IMBRIQUE, EN FAIT, LA COMPOSITION, LE JEU, L’EXPÉRIENCE, LES ÉCHANGES,

LES RENCONTRES

Est-ce cette expérience qui vous a incitée à inviter Clémence Colin pour quelques titres dans le concert avec votre nouveau trio ?

Non, c’est une idée plus ancienne. J’ai découvert Clémence Colin au théâtre municipal de Coutances, au tout début de ma résidence. Elle traduisait en langue des signes le texte du monologue L’Empereur c’est moi. Elle donnait l’impression de faire partie de la mise en scène, alors qu’elle traduisait pour la première fois à l’intention du public malentendant du TMC. J’ai immédiatement eu envie de travailler avec ce petit bout de femme si lumineuse, si dynamique et si rayonnante. L’idée a cheminé et l’aboutissement a été cette intégration au concert avec les deux musiciens allemands de mon trio. C’était un peu fou. Je voulais qu’elle traduise en langue des signes, ce qu’elle ressentait à travers les vibrations. Vous avez vu le résultat : elle traduit, mais c’est une véritable chorégraphie. Elle est magique, non, dans sa petite robe rouge !

Puisque vous parlez de votre trio, comment s’est-il constitué ?

J’ai rencontré Sebastian Sternal et Jonas Burgwinkel pour la première fois à Cologne en octobre 2013, grâce à Riccardo del Fra. Nous partions en tournée de trois semaines en Allemagne dans son quintet My Chet My Song. Ensuite, nous avons eu une proposition pour jouer au festival international de Münster en trio, Sebastian, Jonas et moi en janvier 2015.
Le public a très bien réagi et nous avons eu ensuite énormément de propositions. Nous n’avons pas pu les honorer car les agendas sont très chargés ! Mais je gardais cette envie de jouer avec eux. Quand il s’est avéré que ce serait possible à Coutances, j’ai évidemment sauté sur l’occasion. Je me suis dit que, lorsque je leur proposerais cette idée saugrenue d’intégrer Clémence, ils me prendraient vraiment pour une folle ! Mais ils sont très ouverts d’esprit et ils ont accepté, avec curiosité, de jouer le jeu.
Sebastian a tout de suite été conquis, il m’a dit : « C’est formidable, j’adore ce genre d’expérience ». Jonas était un peu plus circonspect, il m’a demandé : « Mais nous, on joue ? ». Je l’ai rassuré : « Oui, oui, bien sûr, on joue ! ». Le courant est immédiatement passé. Il faut dire que Clémence sait lire sur les lèvres et elle oralise, la communication en est facilitée.

Vous avez bouclé une résidence de trois ans au Théâtre municipal de Coutances et à Jazz sous les Pommiers : avez-vous l’impression que cela vous a fait progresser ?

Ah, oui ! D’une part, je n’ai jamais autant créé que durant cette résidence, jamais autant composé. D’autre part, j’ai progressé dans la conduite de projets : dans la marche à suivre. Je suis devenue plus rapide et plus précise dans la prise de décision.
Denis Lebas a tenu un rôle très important, non pas de manager mais de conseiller très attentif. Il a fait un suivi qui a provoqué un gros mouvement d’accélérateur. Il y a eu deux albums : Prélude avec Nelson Veras et Radio One avec mon quartette. Cette année, à Jazz sous les Pommiers est également sorti mon 2 titres vinyle, l’un avec Vincent Segal, l’autre avec ce trio « allemand »… Par parenthèse, j’ai vécu l’enregistrement de ce vinyle comme une expérience passionnante, nouvelle et enrichissante. C’est vraiment très différent de l’enregistrement et de la production d’un CD. Et il faut parler de la photo : elle a été prise à Istanbul le 15 juillet 2016, le jour du coup d’état raté. Un moment très fort, qu’on n’oublie pas… Pour revenir à mon propos, j’ai reçu pendant ce temps deux récompenses importantes, le prix Django Reinhardt et la Victoire de la musique. Tout cela a déclenché un afflux de sollicitations. Denis m’a vraiment aidée à faire des choix.

Et sur votre jeu lui-même, la résidence a-t-elle eu un impact ? »

Oui, en ce sens qu’elle m’a permis des rencontres que je souhaitais depuis longtemps pour certaines mais qui ne se seraient peut-être jamais produites sans elle. Par exemple le travail que j’ai conduit l’an passé avec l’Orchestre régional de Normandie, un trio de jazz et la grande Youn Sun Nah. Le trio avec Jonas et Sebastian qui n’aurait sans doute jamais vu le jour sans Jazz sous les Pommiers, et qui a permis la création du printemps dernier. Je n’aurais jamais joué en duo avec Baptiste Trotignon sans les concerts chez l’habitant. Le concert avec Rhoda Scott. Peut-être même la commande de Radio France pour l’Euroradio Jazz Orchestra, dont nous reparlerons sans doute, etc. Tout s’imbrique, en fait, la composition, le jeu, l’expérience, les échanges, les rencontres.

Parlons-en tout de suite de cet Euroradio Jazz Orchestra puisque vous l’avez mentionné.

C’est un projet annuel conduit par les producteurs de jazz des radios publiques européennes : elles mettent en place un big band de jazz intitulé « Euroradio Jazz Orchestra ». Radio France, maître d’œuvre pour 2017, m’a confié l’écriture d’un répertoire et le choix de l’instrumentation ainsi que des couleurs musicales. J’ai choisi : trompette, trombone, cor, flûte, clarinette, deux saxophones, piano, guitare, vibraphone, contrebasse, batterie et voix. Ecrire et effectuer ses choix, c’est un énorme travail et c’est une responsabilité dont je suis fière qu’elle m’ait été confiée. Le public a pu découvrir le résultat ces jours derniers, à Coutances, bien sûr, mais aussi à Strasbourg et Nevers, entre autres.

A la fin de la résidence à Coutances, vous avez déclaré que vous alliez pleurer, mais depuis qu’avez-vous fait… et maintenant qu’allez-vous faire ?

J’ai effectivement beaucoup pleuré lors des diverses manifestations qui ont marqué mon départ de Coutances (sourires). Rassurez-vous, c’est fini même si je n’oublie pas. Il y a déjà eu Euroradio. On m’a demandé d’être la marraine d’un autre projet d’orchestre à l’école à Saint-Dié dans les Vosges, avec des plus petits, des « première année ». Je vais devenir une vraie spécialiste ! Je tourne en duo soit avec Vincent Segal, soit avec Lionel Suarez. J’ai bien l’intention de faire tourner les projets écrits pendant cette résidence et que je n’ai pas eu le temps de faire jouer ailleurs. Ce n’est d’ailleurs pas forcément facile. Je voudrais ainsi faire circuler le ciné-concert Fatty se déchaîneEternité avec Rhoda Scott (voilà une chose que j’aimerais vraiment enregistrer avec elle !) et la Suite orchestrale avec l’orchestre symphonique aussi…
Et bien sûr, le quartette de Radio One poursuit sa route. Avec l’album, nous avons figé de la musique à un moment donné mais maintenant la musique se fabrique à chaque concert. C’est un pur bonheur, sur scène et en dehors !

par Jean-François Picaut

Image à la une Bertrand Guay