Aksak Maboul : Une aventure de VV – Songspiel
Après deux albums publiés, il y a plus de quelques décennies, le groupe belge Aksak Maboul s’est rappelé à nos oreilles en 2014 via « Ex-futur album », un disque inachevé dans les eighties. Mais le véritable come-back s’est opéré en 2020 avec l’excellent double cd « Figures ». Suivi assez rapidement par sa relecture, ses remix, sous le titre de « Redrawn Figures 2 ». Et revoici déjà le couple Véronique Vincent (textes, chant) Marc Hollander (compositeur, producteur et multi-instrumentiste) avec un intrigant nouvel objet sous les bras. Le fait qu’il soit publié dans la série « Made to measure », sous division du label bruxellois, peut nous orienter d’emblée vers des expérimentations, des improvisations, des ambiances dissonantes assez habituelles dans cette suite de publications dont ce cd est le 48e volume. Nous sommes ici confrontés à une longue « pièce musicale » de 63 minutes, sorte « d’opéra baroque pas toujours chanté ». Je suis conscient que c’est relativement bizarre comme dénomination puisqu’ici c’est parfois davantage parlé, narré et scandé que chanté, mais c’est une gageure que de vous décrire cette musique, cet univers. Même si les sonorités « Aksak Maboul » sont bien présentes. L’œuvre s’apparente à du surréalisme contemporain, sis dans un étrange univers et accompagné d’une musique intemporelle, tellement singulière, unique. Les textes fantastiques, irréels, chimériques, alternant chants en français et en anglais, de Véronique Vincent, accueillent divers personnages (le héron, la funambule, la femme, l’ombre…) « joués » par divers chanteurs (Faustine Hollander, Laetitia Sadier, Don The Tiger…). Quant à la musique, exécutée majoritairement par Marc Hollander, elle reçoit la complicité de Blaine L. Reininger au violon (magnifique intervention sur « Brown Dwarfs »), d’Erick Heestermans aux percussions, de Lucien Fraipont à la guitare. Tous comparses du groupe et du label depuis un certain laps de temps. Musicalement et rythmiquement, c’est un brassage inédit qui nous est proposé : entre marche lourde et danse épileptique (« La tempête »), il y a beaucoup de piano, du jazz à connotation brésilienne (« L’ombre double ») avec flûte et percussions, de l’électronique, du baroque, mais aussi toute une série de bruissements, d’étirements, d’allongements parfois lugubres… Et malgré tout, des instants décalés sur lesquels percent des pointes d’humour. Tout n’est pas aussi intello qu’une distraite écoute laisserait supposer. À bien se laisser imprégner, on se surprendra même à esquisser un pas de danse, à marquer le rythme. Et pour bien vous faire comprendre la démarche, l’univers de cette aventure, quelques remerciements sur le livret valent plus que de vaines explications : Ravel, Perec, Godard, Michaux, Shepp, Stravinski, Nerval, Sergio Leone ! Déjà un des albums décalés, jouissifs et inclassables de 2023.