Albert Vila : Un mélange éclectique et quelques nuances…

Albert Vila : Un mélange éclectique et quelques nuances…

Albert Vila © Bernal Revert

Le guitariste Albert Vila, né à Barcelone, y a commencé ses études au Taller de Músics. En 1999, il est admis au Conservatoire d’Amsterdam où Jesse van Ruller est son professeur. En 2004, il remporte le premier prix du Dutch Jazz Competition avec sa composition « Gym Jam ». Un an plus tard, il est autorisé à étudier à la prestigieuse Manhattan School of Music de New York, où il suit les cours de Rodney Jones, Dave Liebman et Phil Markowitz. En 2007, il revient à Barcelone, remporte le concours national Debajazz et fait ses débuts avec « Foreground Music » sur le label Fresh Sound New Talent. En 2014, il suit le programme Jazz Master de composition au Conservatoire de Bruxelles. Après plusieurs enregistrements en trio, il s’installe à New York en 2015 pour « The Unquiet Sky » avec Aaron Parks (piano), Doug Weiss (basse) et Jeff Ballard (batterie).

Pour son nouvel album en trio, il fait une nouvelle fois appel au bassiste Doug Weiss et recrute également le grand batteur Rudy Royston. « Reality is Nuance » est le septième album d’Albert Vila, après le premier projet solo surprenant « Levity » (Hypnote Records). Il vit maintenant à Bruxelles depuis près de 10 ans, auparavant également à Amsterdam, il s’exprime donc bien en néerlandais. Il est temps d’avoir une conversation sérieuse !

«La qualité de la musique dépend entièrement de la façon dont nous interagissons les uns avec les autres.»

Comment êtes-vous entré en contact avec Rudy Royston ?
Albert Vila : Après avoir enregistré « The Unquiet Sky » avec Doug Weiss en 2015, j’ai rencontré Rudy Royston un an plus tard, au Festival international de jazz de Jalisco. Il jouait alors avec Dave Douglas. Plus tard, je l’ai vu jouer avec Bill Frisell. Royston sait comment jouer avec un guitariste. Son style et son rythme maîtrisés sont vraiment magiques. Il y a quelques années, j’avais pensé à les réunir tous les deux, Doug et Rudy, pour un enregistrement, mais à cause du Covid, cela n’a pas eu lieu. J’avais déjà écrit des chansons pour le groupe et j’en ai joué quelques-unes en live ces dernières années. C’était comme un test pour savoir quelles chansons fonctionnent ou non dans un trio. Dans ma tête, j’entends un certain rythme, une atmosphère que j’essaie de créer et à travers laquelle j’apporte des variations à la musique, pour la rendre différente. Finalement, j’ai pu réaliser mon nouvel enregistrement en trio, en partie grâce à Kostia Pace de la Jazz Station, et je les ai invités pour l’enregistrement en novembre 2022 au Jet Studio à Bruxelles, avec Rudy Coclet et Vincent De Bast aux commandes. « Reality I Nuance » se concrétisait. Je pense aussi que le design de la couverture, réalisé par l’Équatorien Beto Val, est magnifique.

Albert Vila Trio © Bernal Revert

Vous avez écrit toutes les chansons de « Reality Is Nuance », comment avez-vous impliqué Doug Weiss et Rudy Royston dans le processus ?
A.V. : Avec la musique de « Reality is Nuance », mon intention était de mettre en valeur les individualités de Doug Weiss et de Rudy Royston, de leur donner la liberté d’y mettre leur propre touche, la nuance inhérente au jazz. Mon choix s’est basé sur une certaine sensibilité de leur part à la basse et à la batterie, en jouant bien ensemble avec la guitare, car c’est complètement différent avec un piano ou un saxophone. Le volume est différent. Quand j’écris, je prévois également un pourcentage d’inspiration des autres musiciens et il devient alors vite clair que ça devient une chanson plus forte. Je les ai vus jouer en live et je sais que ce sont d’excellents musiciens. Les vraies personnalités avec lesquelles il faut travailler, aller en tournée. La qualité de la musique dépend entièrement de la façon dont nous interagissons les uns avec les autres. Weiss et Royston font un excellent travail en mixant les styles et les textures et en capturant une large palette tonale.

Dans vos notes de la biographie, j’ai lu que la polyphonie vous inspire…
A.V. : L’utilisation de la polyphonie par certains pianistes classiques et jazz m’inspire pour la façonner dans mon univers de guitariste dans une configuration en trio. J’ai étudié J.S. Bach et la réceptivité des voix, comment transmettre cela avec la guitare. Aussi pour un trio, ne jouant pas une simple ligne ou un accord, mais quelque part entre les deux, c’est de la polyphonie pour moi. Je trouve cela intéressant.

«J’entends des évolutions intéressantes dans les musiques du monde, le folk et aussi dans le mélange du jazz et du classique, voire de la pop.»

Quelle musique et/ou artiste vous ont influencé ?
A.V. : Je ne m’intéresse pas particulièrement au jazz. J’entends même des évolutions plus intéressantes dans les musiques du monde, le folk et aussi le mélange du jazz et du classique, voire de la pop. Je découvre une personnalité de manière fascinante à partir de sa composition plutôt que du solo. J’aime entendre des pianistes comme Bill Evans et Brad Mehldau, des saxophonistes comme Joe Henderson et des guitaristes comme Kurt Rosenwinkel, pour n’en nommer que quelques-uns.

Si vous deviez citer un musicien de jazz qui vous a marqué, qui serait-ce ?
A.V. : Keith Jarrett.

Albert Vila © Bernal Revert

Comment arrivez-vous à composer ?
A.V. : J’ai absorbé la tradition avec mes études, mais quand je compose, je pars de ce qui me vient spontanément à l’esprit, de ce que je ressens intérieurement. Je ne me force pas à penser de manière traditionnelle. C’est plutôt une sorte de mixage éclectique avec parfois du swing. En fonction du ressenti, j’invente ensuite des titres adaptés comme « Hope » et « Healing », une chanson soul, à la rythmique lente, hypnotique aussi. « Blue » est un morceau bluesy et « The Loner » est groovy. La chanson « 216 » a été conçue dans une chambre d’hôtel et est brièvement reprise dans « 215 », que j’ai écrite dans un rythme différent et que je considère donc comme une chanson distincte. « Northern Flower » est basé sur la musique africaine. J’ai trouvé que c’était un beau nom. « Ancient Kingdom » est basé sur l’influence de la musique classique, d’où son titre.

La chanson « April » fait référence au standard « I’ll Remember April »…
A.V. : Cela vient d’un exercice. Je pensais que jouer la mélodie sur un rythme différent était une bonne idée. Au début, cela ressemblait à une expérience, mais ensuite je suis allé plus loin et plus profondément dans une chanson avec des voies différentes, une sorte de polyphonie. Quand je joue un standard, je veux y ajouter une touche originale, pas le répéter comme d’autres l’ont repris. J’essaie d’imaginer une nouvelle composition avec une approche différente, parfois loin du standard.

«La guitare m’a choisi, je suis attiré et amoureux d’elle.»

Quelle est l’importance du choix de votre guitare ?
A.V. : La guitare m’a choisi, je suis attiré et amoureux d’elle. Je trouve qu’une guitare est un instrument difficile à jouer de par sa constitution, les frets et les cordes, surtout si l’on veut évoluer vers un haut niveau. Cela reste une relation difficile, une sorte de relation amour-haine. Il est important de ressentir le son de l’instrument, le manche et comment tout fonctionne. Je n’ai pas besoin d’avoir beaucoup de guitares, je préfère me concentrer sur une seule guitare électrique que je peux bien jouer et maîtriser. Tous les enregistrements ont été réalisés avec une guitare japonaise, Westville, mais récemment j’ai acheté une guitare italienne, Moffa, fabriquée à la main par Domenico Moffa. J’en suis très content. (Gilad Hekselman et Kurt Rosenwinkel jouent également un Moffa – ndlr). Je suis vraiment pour un seul excellent instrument.

Rudy Royston © Bernal Revert
Douglas Weiss © Jimmy Katz

Quels sont selon vous vos projets futurs ?
A.V. : Je veux juste continuer à écrire de la musique. J’ai différentes choses en tête, mais je continue de penser de manière réaliste et pratique. C’est déjà assez difficile de travailler en trio, de trouver des idées, d’organiser des rendez-vous, de trouver des concerts. J’ai bien démarré un nouveau trio d’orgue avec Maxime Moyaerts à l’orgue et au piano et Umberto Odone à la batterie. Notre répertoire combine notre propre travail avec des standards. Il est probable que je développe le trio avec une trompette et un saxophone, ce qui me donnerait plus de liberté pour écrire et jouer.

La tournée « Reality Is Nuance » se poursuivra également en 2024 avec d’autres membres du trio ?
A.V. : En effet, après avoir tourné avec les membres de l’album original, Doug Weiss et Rudy Royston, je me produirai avec d’autres membres en 2024 car nos agendas divergent. J’ai formé une excellente section rythmique avec Dré Pallemaerts et Jasen Weaver. Auparavant, j’avais déjà joué avec eux deux. Je n’ai guère besoin de présenter Dré Pallemaerts. Le bassiste Jasen Waever vient de la Nouvelle-Orléans, mais vit dans notre pays. Il a obtenu son Master au Conservatoire de Bruxelles en 2021 et a reçu le Toots Thielemans Jazz Award 2022. Avec ce trio nous interprétons « Reality Is Nuance » complété par quelques standards de jazz.

Une collaboration Jazz’halo / JazzMania

Albert Vila
Reality Is Nuance
Fresh New Talent

Chronique JazzMania

Bernard Lefèvre (Jazz’Halo)
Traduction libre : Luk Utluk (merci à lui)