Alessandro Sgobbio : Piano Music 2
C’est le second jour de l’automne. Je roule sur la N636 en direction d’un petit village perdu du Condroz. Le soir est tombé. La circulation s’est raréfiée. C’est un paysage de pâtures et de bosquets qui défile par la fenêtre. Quelques feuilles mortes jonchent le tarmac. L’horizon vallonné s’étire dans le lointain. Un sentiment indicible me guette depuis l’après-midi, une sorte de tristesse sourde. Des pensées naufragées. L’impression que ma vie sentimentale est un échec, une noyade. Je glisse dans le lecteur le CD de couleur indigo estampillé des seules lettres AMP. Les premières notes de « Keys And Returns » donnent le ton. C’est comme si j’étais assis seul dans une salle de cinéma qui est l’habitacle de la voiture. La route est l’écran. Je suis immergé dans un film sans dialogue, sans paroles. La mélancolie ajoute à mon désarroi, ne l’amplifie pas, mais au contraire l’apaise, l’atténue. À l’écoute de « The River », je pense aux poèmes de Kader, à sa fascination pour les rivières, à Brian Eno. Sur « Asker », je fléchis, j’ai l’impression de flotter sur la route. « Ilot Chalon » est trop bref, je voudrais qu’il dure encore, perdure jusqu’au milieu de la nuit. Ses notes délicates évoquent en moi la réminiscence de N., son pull en laine blanche tellement légère qu’il en était insupportablement encombrant. Je voudrais qu’elle partage ce moment avec moi, maintenant, pour toujours. Cette excursion sonore dans laquelle Alessandro Sgobbio m’emmène malgré lui. J’écris ces quelques lignes vite dites en les dictant sur l’enregistreur de mon téléphone pour ne pas qu’elles s’échappent. Elles sortent de ma bouche sans trop y réfléchir, sans prédestination. Elles n’ont pas d’importance. Elles ne vous en diront pas plus, ni sur Sgobbio, ni sur sa musique. Seule la route. Seul le son. Maintenant, pour toujours.