Arild Andersen : L’homme et le lion

Arild Andersen : L’homme et le lion

Arild Andersen © Roar Vestad / ECM Records

Partenaire de Jan Garbarek, de Bobo Stenson, Ralph Towner, Bill Frisell et de tant d’autres, Arild Andersen est un musicien incontournable de la scène scandinave. Il sort aujourd’hui « Landloper », un album solo qui traverse son histoire.

Ce nouvel album est votre premier enregistrement en solo.
Arild Andersen : Oui. Un enregistrement solo était prévu au début des années ’90, mais juste avant, j’ai eu un concert dans un festival avec Ralph Towner et Nana Vasconcelos, et ce fut tellement bon que nous sommes entrés en studio pour enregistrer un album en trio.

Le concert solo d’Oslo était-il supposé sortir en CD ?
A.A. : Non pas vraiment. Ça remonte à 2020 au début de la pandémie, et durant le festival d’Oslo, ils ont souhaité maintenir les concerts avec une assistance de cinquante personnes ; le concert a été enregistré par l’ingé-son et, quand je l’ai réécouté, j’ai pensé que ça valait la peine de le publier ; que c’était différent d’un enregistrement studio où on refait des prises : ici, c’était comment j’ai joué à un moment précis. Mais au même moment, Manfred Eicher souhaitait que je fasse un enregistrement en quartet avec des jeunes musiciens, Marius Neset au saxophone, Helge Lien au piano et Håkon Mjåset Johansen à la batterie avec lesquels j’avais joué quelques gigs. C’est pour cela que ça a pris du temps pour sortir l’album solo. Et puis, quelques années après, j’ai été en tournée avec Bob Moses qui m’avait demandé un arrangement sur une pièce intitulée « Peace Universal » qui ouvre l’album solo, mais qui a été enregistré en studio et non au festival d’Oslo.

« J’ai choisi un cadre pour ce concert solo car personne n’écouterait un solo de contrebasse plus long… »

C’est le covid qui explique que le concert soit si court ?
A.A. : Oui, et j’ai choisi des pièces pour cela, avec différentes couleurs, avec des citations de thèmes que j’écoutais beaucoup à l’époque : il y a « Ghosts » d’Albert Ayler, « Song for Che » de Charlie Haden, aussi « Lonely Woman » d’Ornette Coleman. J’ai choisi un cadre pour ce concert solo car personne n’écouterait un solo de contrebasse plus long (rires). J’avais encore du matériel, mais Manfred a choisi l’ordre des morceaux.

Sur la composition de Bob Moses, vous utilisez des effets, des loops…
A.A. : En fait, après la tournée avec Bob, il a composé ce morceau et l’a envoyé à plusieurs bassistes pour l’enregistrer, mais je pense qu’il a n’a pas reçu beaucoup en retour. De mon côté, j’ai fait ma partie que j’ai jouée comme lors de gigs avec des sonorités d’orchestre, des loops, différents archets, différents effets qui semblaient flotter l’un dans l’autre ; j’ai fait cet enregistrement à la maison, mais c’est le genre de chose que je fais aussi sur scène.

Arild Andersen © France Paquay

Il y a aussi un traditionnel norvégien dont je n’ai pas trouvé la traduction du titre…
A.A. : « Old Stev », « Stev » désigne les morceaux traditionnels de Norvège, ce n’est pas vraiment le titre d’un morceau, c’est l’héritage très ancien de la musique du pays. C’est un morceau lent que j’ai inséré entre le thème de Ayler et ma composition « Landloper ». J’ai déjà travaillé précédemment pour ECM sur les anciennes mélodies folk. Je l’ai ajouté à « Landloper », j’ai samplé le pont qui s’est fait en doublant la vitesse, je n’ai enregistré aucun effet avant le concert, aucun « loop », tout s’est joué en live. Je sais que beaucoup de musiciens utilisent des sons enregistrés pendant leurs concerts et jouent dessus… Mais je ne le fais pas, j’aime le challenge, de presser sur un bouton, d’entendre le son sortir dans le bon timing. Ça fait partie du flux de l’improvisation. Mais ce soir-là, j’ai eu la chance que tout marche comme je le voulais… Ce n’est pas chaque fois comme ça.

« Landloper » a-t-il été composé pour ce concert ?
A.A. : Non, je l’avais déjà enregistré sur un album avec Kenny Wheeler, Paul Motian et le pianiste américano-suédois Steve Dobrogosz en 1979, je pense. Sur ce disque, il y a un court solo sur lequel je joue « Landloper ». J’ai ajouté le pont plus tard. Je ne me souvenais pas vraiment l’avoir déjà enregistré en le jouant lors de ce concert solo.

« Dès que je peux utiliser la contrebasse avec le lion, je le fais. »

Pour ce concert, vous avez utilisé la contrebasse avec le lion ?
A.A. : Oh ! Vous avez entendu parler de ça ? Oui. Elle a été fabriquée à Lyon par Jean Auray. Je l’ai commandée en 2009 et reçue en 2012 et je l’utilise depuis. J’en ai une plus petite qui fait 23 kilos avec laquelle je voyage le plus souvent, plus facile pour les trajets en avion, mais dès que je peux utiliser celle avec le lion, je le fais.

Vous jouez un thème d’un contrebassiste, Charlie Haden : il fait partie de vos favoris ?
A.A. : Oh oui, à coup sûr ! Je me souviens de la sortie du « Liberation Orchestra » sur lequel se trouve « Song for Che », une mélodie que j’ai tout le temps en tête. J’ai rencontré Charlie chez lui, à New York, à de nombreuses reprises. Nous avons un jour joué en duo au Molden Jazz Festival. Pour le concert, j’ai rassemblé « Song for Che » et « Lonely Woman » parce que Charlie jouait aussi sur ce disque d’Ornette. Ça date des années ’60 et j’étais très à l’écoute de ce qui se faisait à l’époque, ce sont deux thèmes qui font partie de mes influences.

Arild Andersen © Kerstin Siemonsen / ECM Records

Vos deux compositions viennent toutes deux d’albums enregistrés avec Paolo Vinaccia et Tommy Smith.
A.A. : Ce trio est né en 2006 suite à une commande ; suite à cela, nous avons très souvent joué ensemble. Notre premier album était un « Live at Belleville » et nous avons conservé le trio jusqu’au décès de Paolo il y a quatre ans. Le trio a connu une très belle période, nous jouions beaucoup, « Mira » était un enregistrement studio. Je suis toujours en contact avec Tommy Smith, nous jouons encore régulièrement ensemble.

Allez-vous tourner en solo ?
A.A. : J’irai fin octobre, début novembre, au Japon, et ensuite il y aura des concerts en Europe, mais ça doit encore être planifié. Je vais commencer par un concert à Oslo, je pratique l’instrument tous les jours pour me préparer, surtout les pédales, les loops parce qu’il faut être très précis, j’utilise d’ailleurs mes chaussures de concert pour pratiquer les pédales à la maison.

Arild Andersen
Landloper
ECM

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin