Arnaud Dolmen et Léonardo Montana : LéNo

Arnaud Dolmen et Léonardo Montana : LéNo

Quai Son Records / Samana Production

Voici deux musiciens talentueux dont les racines multiples garantissent un voyage aussi original que coloré : d’un côté, le batteur d’origine guadeloupéenne Arnaud Dolmen, héritier des sonorités et des rythmes du gwoka, et de l’autre, le pianiste Léonardo Montana, né à La Paz, élevé au Brésil et en Guadeloupe avant de devenir Parisien. Ensemble, ils forment un duo rare (la combinaison piano / batterie n’est pas si courante dans la musique moderne même si les deux complices citent le duo Max Roax / Abdullah Ibrahim comme une référence essentielle) et compatible (leurs univers respectifs sont nourris par un goût similaire de la pulsation dynamique et des mélodies ensoleillées). Quant à l’intitulé de l’album, LéNo (pour Léonardo et Arnaud), il traduit dans sa simplicité la synergie qui a permis l’éclosion d’une œuvre dont l’amplitude va au-delà de la somme de ses composantes. L’essence de cette musique transpire dans les deux parties du morceau « Les invisibles ». Une introduction douce au piano avec des notes qui scintillent comme des cristaux de quartz et puis la batterie qui enveloppe les ostinatos du piano juste avant les chœurs guadeloupéens : libéré de la pesanteur, on voyage jusqu’à l’autre bout de la Terre, emporté par une vague fougueuse sur la mer du capitaine Jack Sparrow. Dans la seconde partie, le duo s’empare d’Afro Blue, ici revisité dans une perspective guadeloupéenne avec un rythme hypnotique enroulé autour du célèbre riff inventé par Mongo Santamaria et répété en boucle. Il y a bien un « Zouky Monky » qui cite Thelonious Monk et son « Evidence », rendant hommage à sa manière toute personnelle de déstructurer le temps, mais l’inclusion de cette référence dans un rythme guadeloupéen en fait quelque chose de résolument nouveau. En fin de compte, « nouveau » est le maître mot de cette musique qui affiche une fraîcheur inouïe dans la relation entre piano et batterie, rythmes et mélodies, poésie et frénésie. Ajoutez à tout ça une prise de son impeccable qui respecte le travail subtil effectué par le duo sur la répartition des fréquences entre les deux instruments et LéNo se hisse aisément dans le peloton de tête des rondelles qu’on gardera comme essentielles au bout de cette année 2024.

Pierre Dulieu