Aruan Ortiz with Andrew Cyrille and Mauricio Herrera, Inside Rhythmic Falls
Né en 1973 à Santiago de Cuba, au sud-est profond de l’île, dans une ville où encore aujourd’hui le cœur de la musique cubaine vibre au plus profond, Aruàn Ortiz a grandi dans cette effervescence où chaque matin en se rendant à l’école, il entendait une « symphonie globale » composée des sons de la radio et des orchestres en répétition. Mais aussi des conversations aux fenêtres. Sur la route de Trinidad à Santiago de Cuba, les champs de canne à sucre ont aussi été, des années durant, rythmés par les chants des esclaves, les « changui ». Toute cette histoire de l’Oriente, la province de l’est de l’île, transpire dans la musique d’ Aruan Ortiz. Mais plutôt que d’en faire une lecture fidèle et nostalgique, le pianiste la déconstruit, la déforme pour lui donner une force et une densité nouvelles. L’album s’ouvre sur un poème écrit par Aruan Ortiz, « Lucero Mundo », accompagné par les seules percussions d’Andrew Cyrille et Mauricio Herrera. L’influence du jeu d’Andrew Cyrille sur la musique d’Ortiz est prégnante dès la deuxième pièce de l’album. Celui qui a été des années durant le batteur de Cecil Taylor y laisse une marque profonde, son jeu semblant même diriger la manœuvre, anticipant les intentions du pianiste. Les allures bop de « Golden Voice » – allusion à un chanteur de changui cubain – soulignent la maîtrise du duo qui, entre le début et la fin du morceau, inverse les rôles. Sur « Inside Rhythmic Falls », le rôle percussif déborde de toutes parts avec Ortiz participant au jeu en utilisant la caisse de son piano comme nouvel élément rythmique. La totalité de l’album est écrite par le pianiste, à l’exception de la dernière pièce, « Para ti Nengon », un chant traditionnel cubain. Une vision très personnelle et passionnante de l’influence cubaine sur le jazz d’aujourd’hui.
Jean-Pierre Goffin