Avishai Cohen : un quartet inspiré
Quelques semaines avant un concert en duo avec Fred Hersch au Leuven Jazz, le 13 mars, Avishai Cohen parle de son nouvel album à l’ambiance très méditative : « Naked Truth ».
Pourriez-vous expliquer comment est né le projet « Naked Truth » ?
Avishai Cohen : Au tout début du covid, quand tout s’est arrêté, j’ai écrit le premier motif de l’album, ces huit notes (il joue le motif au piano – NDLR). Ces quelques notes m’ont marqué, je dirais même m’ont hanté et m’ont poursuivi au point que tout ce que je jouais au piano était fondé sur ces notes. Et sur « Departure », j’ai senti qu’il y avait beaucoup à offrir, beaucoup de mélodies à écrire autour de ce motif. Seulement quelques-unes de ces mélodies se sont retrouvées sur l’album pour cette suite. Ces quelques notes sont le point de départ autour des motifs, la base de ce qui se trouve sur l’album.
J’ai pensé que le poème final était peut-être à l’origine de cet album.
A.C. : Cette chanson n’était pas pensée pour l’album, mais c’est la première chose qui ait existé. C’est une chanson que j’ai jouée déjà bien avant le covid. Mais j’ai eu le sentiment qu’elle serait sur le prochain disque du quintet. Ça n’a pas été écrit pour la suite, mais c’est vrai que ce morceau collait bien et était une parfaite manière de clore l’album. D’une certaine façon, elle était là et collait à l’ambiance de l’album.
Etes-vous inspiré par des textes lorsque vous composez ?
A.C. : Pas nécessairement. Mais je lis beaucoup. Je suis inspiré par beaucoup de choses que je lis : ça peut être des extraits, des citations, … Ou alors des conversations avec des amis, des choses qui vous inspirent au quotidien. L’écriture est aussi quelque chose d’important pour moi, j’écris aussi des poèmes. Je n’ai toutefois jamais encore enregistré en chantant ces textes.
«Nous devons être comme le vent : être présent et en même temps ne pas être là.»
La première fois que j’ai écouté l’album, j’ai pensé à « Ascenseur pour l’Echafaud » de Miles Davis, parce qu’il y a un peu le même esprit. Votre section rythmique crée des ambiances par les accords du piano, l’utilisation des balais, les frottements de cymbales, l’utilisation des toms, les notes répétées de la contrebasse.
A.C. : J’adore Miles Davis. Je ne connais pas bien cet album, mais vous n’êtes pas le premier à faire cette référence. Je ne pense pas vraiment à un concept, à ce que devrait faire la section rythmique. Mais nous parlons beaucoup ensemble de l’esprit dans lequel nous devons être pour jouer cette musique. Nous devons être comme le vent, être présent et en même temps ne pas être là. Je ne sais pas comment expliquer cela : être là et ne pas y être en même temps, se trouver comme dans un monde du milieu, où ce que vous jouez va au-delà des notes… C’est juste un état d’être, une chose que nous discutons beaucoup bien avant l’enregistrement. Comment se préparer ? Mais il s’agit d’une préparation qui ne concerne pas vraiment la musique.
«En deux jours, nous avions les masters avec le mixage. Tout était terminé.»
Y a-t-il eu beaucoup de prises ?
A.C. : Nous ne faisons pas beaucoup de prises, c’est généralement comme ça que ça se passe. En deux jours, nous avions les « masters » avec le mixage et le mastering. Tout était terminé : l’ordre des morceaux, la durée de l’album… C’est très rapide, mais le travail de préparation a duré deux ans.
Vous avez enregistré trois de vos derniers albums au studio La Buissonne.
A.C. : C’est le quatrième album que j’enregistre là, trois en quartet et celui de « Big Vicious ». J’adore cet endroit. Beaucoup de musiciens ECM enregistrent là et Manfred Eicher s’y sent bien. Vous y êtes super bien accueilli. Tout est prêt dans le studio parce qu’ils vous connaissent, ils connaissent Manfred, vous vous y trouvez dans une ambiance familière et c’est important.
«Quand j’écris pour le quartet ou pour Big Vicious, les morceaux sont clairement pour l’un ou pour l’autre.»
Au sujet de « Big Vicious », que se passe-t-il dans la tête d’un musicien qui passe de « Big Vicious » à « Naked Truth » ?
A.C. : D’abord, la configuration des instruments est différente, les vibrations sont différentes, bien sûr. Mais en soi, ce n’est pas totalement différent, je dirais que ce n’est pas à 180 degrés différent. Ce n’est pas l’opposé. Il y a quelque chose dans l’essence de la musique, dans la façon de jouer, l’attitude, le focus qui se tient. C’est certain que quand j’écris pour le quartet ou pour « Big Vicious », les morceaux sont clairement pour l’un ou pour l’autre. Prenez le poème qui se trouve à la fin de l’album du quartet, même si je l’ai fait sur scène avec « Big Vicious », c’est quelque chose qui appartient au quartet. Toutes ces musiques font partie du même voyage que vous jouez parfois en acoustique ou en électrique.
Dans Part VII, j’entends une référence aux Beatles : c’est une de vos inspirations ?
A.C. : Non pas consciemment, mais j’adore les Beatles.
Vous avez beaucoup écouté de musiques pendant le confinement ? Lesquelles en particulier ?
A.C. : Oui, j’ai écouté beaucoup de musique, principalement de la musique classique. Beaucoup de compositeurs français, Ravel… Récemment, j’ai écouté du Fauré, le Requiem, une pièce incroyable. En fait, j’ai écouté beaucoup de requiems.
Je viens d’apprendre que vous serez bientôt en Belgique en duo avec Fred Hersch au Leuven Jazz. Vous avez déjà joué régulièrement ensemble ?
A.C. : Je l’ai rencontré régulièrement il y a des années quand j’étais à New York. Nous avons joué ensemble dans différents contextes, notamment avec le « Pocket Orchestra », je pense. Et d’autres projets, des duos chez lui dans son appartement. Il est un magnifique pianiste, très mélodique. Il y a quelques mois, j’ai eu la chance de remplacer mon grand ami, monsieur Enrico Rava. Fred m’avait demandé de le remplacer pour quelques concerts.
«Avec Fred Hersch, nous avons une connexion naturelle.»
Fred Hersch dit que vous êtes le trompettiste avec lequel il ressent le plus une connexion naturelle.
A.C. : Je suis vraiment heureux d’entendre ça. Nous avons en effet une connexion très naturelle. Il n’y a pas besoin de trop penser quand on joue ensemble.
Avez-vous déjà discuté du répertoire que vous jouerez ?
A.C. : Non, sans doute des standards.
Nous parlions tout à l’heure de l’importance des mots et Fred Hersch me disait récemment qu’il ne peut jouer des morceaux dont il n’aime pas les paroles.
A.C. : Je pense aussi aux paroles, je les apprends d’ailleurs. Mais parfois des morceaux ont une si belle mélodie que même si les paroles sont idiotes, je les joue tout de même. Je n’ai pas le même problème que Fred, mais je comprends très bien ce qu’il veut dire.
Avishai Cohen sera au Leuven Jazz le 13 mars en duo avec Fred Hersch. Celui-ci jouera en première partie avec Bram De Looze. Toutes les infos sur www.leuvenjazz.be.
Aussi : le 17 juin au CC Leuven, The 3Cohens (Anat, Avishai, Yuval)
Avishai Cohen
Naked Truth
Avec Yonathan Avishai (piano), Barak Mori (contrebasse) et Ziv Ravitz (drums)
ECM