
Bandler Ching : Les gars du Volta
L’horaire est tendu. C’est d’ailleurs assez contrasté par rapport au lieu qui nous accueille. Le Volta dégage une chaleur bienveillante et accueillante propice à l’échange et au partage. Et ça tombe bien ! Le Volta est avant tout un lieu de résidence pour des groupes. Il est composé de plusieurs studios, de lieux de répétition, d’espaces de repos, et d’une scène avec son bar. C’est d’ailleurs là que nous nous retrouvons. Et comme annoncé, entre le chargement de la camionnette et le soundcheck à l’AB, il nous reste une petite heure, qui s’est transformée en une demi-heure, qui a elle aussi été amputée de quelques minutes. C’est aussi ça, la vie précaire des musiciens : un agenda tout aussi précaire !
Qu’à cela ne tienne, on va se concentrer, et aller directement à l’essentiel. C’est parti pour un court entretien avec le jeune mais expérimenté groupe bruxellois Bandler Ching !
Bonjour les gars ! Vous allez bien ?
Ambroos De Schepper : Oui ! Nous sommes excités ! Il y a beaucoup de trucs à faire, mais on est bien !
C’est la première de l’album ?
ADS : Non, on a déjà joué deux shows, un à Gand et un à Dixmude, au 4AD. Une belle petite salle.
Les petites salles sont les meilleures. C’est plus proche, plus personnel, et le son y est souvent meilleur que dans les très grandes salles.
Federico Pecoraro : Oui, tu as raison.
Félicitation donc pour votre tout nouvel album !
ADS : Merci beaucoup !
Premier EP en 2020, premier LP en 2023, et là, tout début 2025, un nouvel album. Or vous jouez tous dans d’autres groupes. Vous ne chômez pas en fait !
ADS : Non, c’est sûr. Il faut trouver des solutions, c’est comme un puzzle.
FP : Il faut trouver la bonne formule
«Le Volta joue un grand rôle dans le processus. Rien que du point de vue de la logistique.» Ambroos De Schepper
En plus, vous jouez dans des groupes assez occupés aussi. ECHT! vient de sortir un album, les autres projets sont tous bien vivants, ça doit vous demander pas mal de travail. Comment est-ce que vous avez construit cet album ? Comment vous êtes-vous organisés pour construire cet album ? Est-ce que vous vous êtes rassemblés, ou bien avez-vous travaillé chacun de votre côté avant de vous envoyer des pistes ?
ADS : En fait, c’est grâce au Volta qu’on arrive à bosser souvent et beaucoup ensemble. Par exemple, Federico est dans ECHT!, et ECHT! est aussi au Volta, et c’est un grand avantage de juste pouvoir se dire « on se voit ». Imagine, qu’on doive s’appeler, trouver un moment, trouver un lieu pour se voir.
FP : Même dans « l’ancien Volta », c’était presque la porte à côté…
ADS : Et donc comme ça, on peut s’organiser et se dire qu’on est sur place toute la journée, et puis si il reste deux ou trois heures en fin de journée, on peut se voir et bosser. Parfois, ça se passe de manière assez organique. C’est aussi comme ça que l’album s’est créé et a été enregistré là-bas (dans l’ancien bâtiment – NDLR). Je pense que le Volta joue un grand rôle dans le processus. Rien que du point de vue de la logistique, c’est déjà un grand avantage, c’est beaucoup plus facile.
Quel a été le processus créatif pour cet album ? Est-ce que vous êtes partis d’un projet commun, d’une histoire que vous aviez envie de raconter, ou bien êtes-vous partis d’une volonté d’écrire et de composer de manière plus naturelle et spontanée ?
FP : Un peu les deux. On a fait de la recherche ensemble, on a fait des jams, et de là, on a construit sur base de passages qui nous intéressaient et nous inspiraient. C’est aussi le fruit de ce qu’on entendait, d’autres producteurs qui nous parlaient, et on a fait notre truc en partant de ça. Mais on a aussi, encore une fois, apporté des morceaux personnels, des compositions à nous, Ambroos, Olivier et moi, et on a chacun mis notre patte dedans, ce n’est pas juste le fait d’arriver avec quelque chose, et c’est joué tel quel. Non, on essayait d’apporter quelque chose de nous, et si tu fais ça naturellement, tu vas beaucoup plus loin.
Ça laisse de la place à l’évolution, c’est un véritable partage plus qu’une simple proposition. Vous apportez tous des choses que chacun va pouvoir aménager et faire ainsi sa propre proposition sur cette base ?
FP : Oui, et encore plus sur cet album que sur le précédent. Le précédent, c’était beaucoup Ambroos, et c’était déjà ce processus-là, où on partageait nos idées, mais principalement, ça venait de lui. Pour celui-ci déjà, on se retrouve à trois alors qu’on était quatre. Il y a un truc un peu plus naturel qui a fait qu’on a écrit ensemble.
C’est assez marrant que tu parles de quelque chose de plus naturel. Cet album-ci, je le trouve plus spontané, moins « réfléchi ». Ici, j’ai beaucoup plus l’impression que les choses sont arrivées plus naturellement.
ADS : Je pense que le processus était beaucoup plus court pour celui-ci. Les morceaux de l’album précédent, on les avait déjà joués pendant trois, ou même quatre ans, on a bossé dessus, ils ont changé, ils ont connu un chemin beaucoup plus long. Ici, toutes les idées ont été développées sur une période d’un an et demi, je pense.
FP : On a essayé de faire, en premier jet, une session en studio, en se disant que ça allait « venir » au fur et à mesure, mais plus que ça, ça m’a fait réaliser qu’on avait besoin de plus de temps et c’est pour ça qu’on s’est dit qu’il était trop tôt pour le studio, qu’on allait rester au Volta. A un moment, on faisait des enregistrements, où on refaisait les prises jusqu’à ce qu’on ait LE truc qu’on voulait. C’est un peu un processus comme ça. Ce n’est pas un processus d’écriture « classique » où on écrit un morceau, on le répète et on va l’enregistrer. Ça évolue jusqu’à la deadline.
ADS : Il y a aussi des prises dans l’album qui ont été faites en une fois. On est en train de boire notre café, puis un de nous joue un truc, on aime bien, on réessaye, on retravaille …
«Parfois, on n’est pas très loin de la folie… Mais je pense que c’est comme ça qu’on atteint un certain niveau.» Federico Pecoraro
C’est un processus itératif. Une chose en entraînant une autre, qui en entraîne une autre…
ADS : Oui, c’est ça. Mais aussi, cette possibilité d’enregistrer au Volta a permis de trouver les prises les plus organiques, celles qui correspondaient le plus à la musique qu’on voulait faire.
FP : C’est ça qui est chouette, on a tous les trois la même vision, on ne précipite pas les choses, on prend le temps. Quand un de nous fait une proposition, on ne se dit pas simplement, que c’est bon comme ça, hop suivant ! Olivier va chercher un son de snare précis, tel qu’il le conçoit et l’imagine. Tu crois que c’est un marteau et une enclume ? Non, c’est Olivier qui cherche le snare parfait. Parfois, on n’est pas très loin de la folie, mais je pense que c’est comme ça qu’on atteint un certain niveau, c’est un investissement. Même en live, ce n’est pas juste : « Allez, vas-y ! On joue, on verra bien ». Non, on a passé du temps a faire un live qu’on aime et dans lequel on se reconnaît, et qu’on a envie de partager. Vous voulez venir nous voir ? On n’est pas juste là pour nous amuser entre nous sur scène, il y a toute une philosophie derrière tout ça. Et vu qu’on est tous sur la même plage, sur la même table, je ne sais pas comment tu dis… (ndlr : le groupe est principalement néerlandophone, mais Federico est Italien d’origine, saluons déjà la qualité de leur français)
ADS : J’aime bien la plage…
L’hiver se fait long ! Toi, Ambroos, tu viens de Gand…
ADS : Non, de Nieuwpoort, attention hein ! (Rires) De la mer.
Ah zut ! Désolé ! Olivier, toi, tu viens de Gand, si je ne m’abuse !
Olivier Penu : Pas vraiment. Mais je suis plus proche de Gand que de Nieuwpoort ! (Rires) Je viens de Zele. Un petit village de Flandre.
Bon, mon intro ne fonctionne pas ! (Rires) Gand est un peu la capitale du jazz, la ville a une renommée internationale, et pourtant, on se rend compte que tout le monde vient vivre à Bruxelles. Il y a ECHT!, Dorian Dumont qui joue dans ECHT!, un Français qui est carrément venu s’installer à Bruxelles, il y a Bààn, il y a TUKAN, vous êtes plein à Bruxelles. Qu’est-ce que vous lui trouvez à cette ville.
ADS : Déjà, je ne dirais pas que Gand est la capitale du jazz en Belgique. Je dirais que c’est Bruxelles justement. C’est pour ça que tout le monde vient ici. Même d’Anvers, de Gand, de la Wallonie. Mais attention, je pense que, pour sa taille, Gand est assez unique. Je ne connais pas d’autre ville de cette taille qui ait la même énergie ou une telle présence de la culture jazz…
OP : Et les lieux aussi, les salles, les cafés, les centres culturels, les festivals…
ADS : … mais Bruxelles, c’est quand même un plus grand carrefour, Bruxelles a plus de facettes. Il y a beaucoup plus d’énergies différentes qui nous inspirent je crois. Par exemple, la musique qu’on fait est fort inspirée de la musique électronique, même peut-être assez underground, et ce côté underground n’est pas présent à Gand. Ici, ça fait beaucoup plus partie de la scène.
FP : Même dans le jazz en général, il se passe énormément de choses ici. Il y a des gens de Gand qui viennent ici pour faire des collaborations ou pour montrer des projets. Il se passe quelque chose de très fort en Belgique en général, mais oui, à Gand, il y a une forte présence de la culture, il y a beaucoup de groupes qui viennent de là-bas, c’est vrai.
OP : Cette image de Gand capitale du jazz c’est aussi dû, je pense, à la présence de gros organisateurs, et à des salles renommées, il y a de beaux festivals à Gand, il y a des grands noms comme Democrazy, Legacy, …
FP : Notre booker aussi, Greenhouse, fait venir des gens comme Mike Clark, le batteur des Head Hunters (le groupe avec Herbie Hancock à un moment donné – NDLR) dans une maison de jeunes, une toute petite salle. Sur ça, je peux te rejoindre, il y a en Flandre, un plus grand esprit d’entreprise pour faire venir des grands noms, peut-être de plus loin, et de prendre le risque de faire venir des noms moins grand public, mais des pointures. Et les salles sont remplies ! C’est peut-être pour ça qu’on a l’impression que Gand est la capitale du jazz. C’est peut-être vrai qu’en Flandre, il y a une écoute un peu plus forte de ce qu’on fait en général.
«On se retrouve sur le blog d’un mec qui recense les pires noms de groupes !» Ambroos De Schepper
La Flandre, c’est le jazz, et la Wallonie, c’est quoi alors ? Le rock ?
FP : Je ne suis pas belge, mais en toute objectivité, je vois qu’en Wallonie, il y a plus de blues, plus de rock. Les meilleurs trucs rock que j’ai vus, c’était en Wallonie, dans de belles salles. A Verviers, il y a une super salle rock.
Le Spirit of 66 ! Gros point de chute pour les bluesmen américains. Salle découverte par BJ Scott, et depuis, elle n’a plus quitté la Belgique. C’est une salle un peu mythique !
FP : Oui, voilà, c’est une super salle !
Petite question un peu débile : Il vient d’où ce nom « Bandler Ching » ? Alors j’ai bien compris le jeu de mots, mais d’où ? Pourquoi ? Pourquoi s’arrêter sur cette idée ?
ADS : On te répond si tu ne mets pas ça comme titre à ton article ! (Rires)
J’avais écrit un focus pour annoncer votre concert à l’AB, et mon rédacteur en chef m’a fait comprendre qu’il l’écrirait ! (Rires) Pour la petite histoire, je disais quand même que la musique était plus intelligente que le simple jeu de mots ! (Rires)
ADS : Ah, ça c’est sympa ! Merci ! Alors, que dire encore à propos de ça ? La recherche d’un nom pour un groupe, ce n’est pas facile. Parfois tu décides un truc, c’est un peu drôle, c’est ok, c’est cool, on y va, puis cinq ans après, t’es toujours là avec ce nom. (Rires) Après, je trouve que le nom est chouette, ça sonne bien, c’est juste un peu dommage que le lien avec la musique que l’on fait est un peu… gratuit.
OP : Parfois, c’est le premier truc de l’article. Une référence un peu pourrie du style « Ce sont les Friends de la musique », des trucs comme ça, alors que ce n’est pas du tout la chose la plus intéressante à dire sur nous, mais bon.
FP : La musique va au-delà de notre nom.
OP : Et puis ça permet aussi de voir qui s’intéresse à notre musique et ne s’arrête pas à juste un nom de groupe.
ADS : On se retrouve d’ailleurs sur le blog d’un mec qui recense les pires noms de groupes. Alors c’est cool et pas cool, je pense que c’est aussi un peu ça notre musique.
FP : C’est aussi un rapport avec notre musique, soit tu aimes parce que tu vas au-delà des apparences, soit tu passes à quelque chose d’autre : NEXT !
Bon, ben voilà le mot de la fin ! Je sais que vous avez une journée assez chargée, et nous voilà déjà au bout du temps qui vous était disponible. Merci beaucoup à vous pour ce moment, bonne merde pour ce soir, et on se revoit là-bas !
ADS : A ce soir !
Bandler Ching
Mercurial
Sdban / N.E.W.S.
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