Baptiste Trotignon, Couleurs rock
Le pianiste français est allé fouiller dans la discothèque de son adolescence pour en ressortir quelques titres qui l’ont marqué. Il a invité Greg Hutchinson et Matt Penman à les rejouer. Il en a fait un formidable album plein de groove. Nous l’avons rencontré, il nous en parle.
« Brexit Music » est un album qui reprend des titres pop qui ont marqué ton adolescence. Dans quel univers musical as-tu grandi : pop, jazz, classique ?
Baptiste Trotignon : Le premier album que j’ai acheté étant gamin était « Abbey Road » des Beatles. Quand j’étais enfant, à la maison, il y avait du classique sur le tourne-disque, mais aussi de la pop des années soixante-dix. Donc, il y avait les Beatles, Led Zeppelin, Pink Floyd… J’ai beaucoup écouté et adoré ces groupes et ce sont certains de leurs titres que j’ai d’abord voulu mettre dans ce nouvel album.
«Je voulais revenir au groove, avec une solide rythmique, pour s’amuser sérieusement.»
Était-ce une envie de longue date de faire un album à partir de cette pop anglaise ?
B.T. : Quand j’ai amené l’idée de faire un album plus « ludique », autour de la pop anglaise, c’était pour « sortir » des albums précédents qui étaient un peu plus « sérieux », entre guillemets, comme ceux avec un orchestre symphonique ou les albums en solo. Je voulais revenir au groove, avec une solide rythmique pour s’amuser sérieusement. Parmi les morceaux que j’avais envie de jouer, il y avait donc ceux des groupes que j’ai cités, qui font partie de mon ADN d’adolescent, mais aussi d’autres que je connaissais moins. Je pense, entre autres, à Radiohead dont je connaissais surtout les tubes, bien sûr. J’ai mis le nez dedans et j’ai découvert une mine d’or extraordinaire. J’ai tout réécouté attentivement pour choisir les morceaux que j’allais utiliser et j’ai découvert un niveau d’écriture digne des Beatles.
Comment as-tu sélectionné les morceaux « définitifs » ?
B.T. : La pop anglaise est très riche. Cela a pris du temps. Il y a de super morceaux qui « sonnent » dans la version que l’on connaît, mais qui n’ont pas vraiment de sens en version piano. Parce qu’on n’a pas les paroles. Et le gros challenge était de faire vivre ces chansons-là à partir d’un matériau parfois ultra simple. Il fallait trouver le truc, l’angle, pour que ce soit fun à jouer et, pour le public, chouette à écouter. Il y a des morceaux que j’adore, mais qui ne « marchent pas » dans ma façon de les jouer, je les ai éliminés.
Y a-t-il tout un travail d’arrangements, pour sortir quelque chose de ces musiques très « produites » ?
B.T. : Parfois, j’ai fait de tout petits arrangements, mais, la plupart du temps, j’ai gardé les mélodies et les harmonies. Ça ne sert pas à grand-chose de vouloir à tout prix enrichir ou « jazzifier » ce qui existe. Il faut trouver l’idée dans la forme, dans le groove et le rythme. Et puis, le fait de jouer « simplement » une chanson pop avec un « son » jazz, à savoir : piano, basse et batterie, ça sonne comme un arrangement. C’est le cas pour « Drive My Car », où je joue les accords de la chanson tels qu’ils ont été écrits. Ce qui fait la différence, ce sont les attaques au piano ou le groove de Greg Hutchinson à la batterie, qui n’a rien à voir avec Ringo Starr. Donc, il n’est pas toujours nécessaire de faire des arrangements.
Il y a des morceaux où tu as quand même dû travailler la forme. Je pense aux trois Led Zep enchaînés ou « Life On Mars » qui me semble plus « bossa ».
B.T. : En effet, mais assez peu. Le morceau de Bowie, par exemple, est l’un des tubes pop les plus sophistiqués, en termes d’harmonies, que je connaisse. Sans vouloir entrer dans le détail, ce sont des harmonies étonnamment sophistiquées pour une chanson pop, ça bouge tout le temps, un peu comme dans une ballade de jazz. Donc, j’ai utilisé les mêmes accords et on a décidé de le faire sur un groove un peu boléro, ce qui donne une forme différente à la chanson, mais c’est tout. Le « Interstellar Overdrive » de Pink Floyd est d’abord un simple riff, puis cela devient de la musique expérimentale. On a fait pareil, mais dans l’esprit « jazz ». On s’est laissé aller. On a trouvé un groove et puis c’est parti en swing sur différents tempos. C’est cela que j’appelle « ludique » dans l’approche.
«La frontière entre ce qui marche et le mauvais goût est parfois ténue.»
« Message In A Bottle » me paraît être traité en mode « mineur » ce qui lui donne un aspect plus sombre.
B.T. : Ce n’est pas qu’une question de mode mineur. Le morceau original est en quatre temps, comme beaucoup de thèmes pop, et nous l’avons joué en « 5 ». Et sur le chorus (il chante « I’ll send an SOS to the world, I hope that someone gets my…») j’ai fait quelques adaptations. Il y a en effet un peu plus d’arrangements sur celui-ci, mais en général, c’est le son du groupe qui donne cette sensation.
Tu avais déjà joué, sur certains albums, ici ou là, des thèmes pop.
B.T. : Oui, régulièrement. C’est bien d’insérer quelques morceaux où les gens se retrouvent et se situent par rapport à des compositions originales. J’avais déjà repris «Julia » de Lennon sur « Solo 2 », « Here There And Everywhere » sur « You’ve Changed ». Ici, c’est la première fois que je fais un album entièrement avec des reprises. Je me suis posé quelques questions. Je n’étais pas tout de suite convaincu que c’était une bonne idée, il a fallu du temps pour que cela mûrisse. Je pense que le choix des morceaux était très important. La frontière entre ce qui marche et le mauvais goût est parfois ténue.
Avais-tu prémédité ce line-up ? C’est avec ces musiciens que tu voulais revisiter cette pop anglaise ?
B.T. : Quand j’ai su que je partais sur une base piano, basse, batterie – une formule qui marche – j’ai recontacté Matt Penman avec qui j’avais déjà enregistré un ou deux albums et Greg Hutchinson avec qui j’avais souvent joué sans jamais avoir été en studio avec lui.
Comment ont-ils reçu cette proposition ? Y a-t-il eu beaucoup d’échanges d’idées sur le répertoire proposé ?
B.T. : Sur le choix du répertoire, cela venait de moi seul. Pour le reste, cela s’est fait simplement, comme souvent en jazz. Greg et Matt étaient aussi un peu dubitatifs sur le fait de faire tout un album avec des reprises pop, mais ils ont vite été convaincus dès les premières répétitions. Ils sont arrivés deux jours avant l’enregistrement. Et forcément, en jouant, ils ont apporté beaucoup d’idées, c’est le but du jeu.
«On a opté pour des versions courtes sur le disque, mais on va certainement pouvoir les « stretcher » en concert.»
Par rapport aux travaux précédents, avec orchestre symphonique et chanteurs lyriques, par exemple, y a-t-il plus de libertés ?
B.T. : Par rapport à mon travail de compositeur, c’est différent. Quand on écrit un concerto pour piano et orchestre, une symphonie ou une pièce d’ouverture pour orchestre, on est seul devant sa page. On écrit et cela ne fait pas appel à la même partie du cerveau, je pense. Ici, avec « Brexit Music », on est plus libre, bien sûr.
Cela permet d’aller encore plus loin ?
B.T. : On a opté pour des versions courtes sur le disque, mais on va pouvoir certainement les « stretcher » en concert, en y amenant des impros. Ce sera plus ouvert, en effet. J’aime le risque. Et puis j’aime bien les contrastes aussi. Même dans les concerts acoustiques ou plus intimistes, il faut que ça explose à un moment. Ce doit sans doute être les résurgences de mon côté pop rock d’adolescent. Avec ce disque, je pense rester fidèle au son jazz que j’aime, mais je l’adapte à un univers différent. Et c’est très excitant.
La suite sur scène…
Baptiste Trotignon
Brexit Music
Naïve