Black Lives, From Generation to Generation

Black Lives, From Generation to Generation

Jammin’ colorS

Véritable mosaïque musicale, « Black Lives – From Generation To Generation » présente vingt-cinq artistes américains, africains et caribéens réunis pour dénoncer d’une seule voix les inégalités et les violences raciales qui, en dépit des progrès réalisés un peu partout dans les droits civiques, se répètent depuis des décennies comme de mauvaises séquelles de l’esclavage et de la ségrégation. Certes, la musique seule ne saurait changer le cours de l’histoire, mais elle peut, comme d’autres arts, témoigner et contribuer à forger une conscience sociale. Quand Oliver Lake, compositeur américain collaborateur de Björk et de Lou Reed, rappelle dans « Pre-Existing Conditions » le meurtre récent de George Floyd par des policiers blancs à Minneapolis, c’est toute l’horreur de cette tragédie et, au-delà, du racisme et de sa longue saga mouvementée, qui ressurgit en mémoire.

Sur un plan strictement musical, « Black Lives » est une œuvre collective à la croisée de plusieurs styles. On y trouve ainsi un splendide « Sanga Bô » de Cheick Tidiane Seck décliné sur les rythmes d’une musique mandingue moderne. Bien connue en Belgique où elle s’est produite avec le Brussels Jazz Orchestra, la chanteuse sud-africaine Tutu Poane fait naître l’émotion avec sa ballade « From the Outside In ». Le New-yorkais James Falcon a apporté « Colored Man Singin’ the Blues » qu’il chante dans le style soul-blues qui est sa marque de fabrique. Soul et hip-hop sont également convoqués via des artistes comme la chanteuse Stephanie McKay et Terence Sub-Z Nicholson, tandis que le batteur Sonny Troupé, d’origine guadeloupéenne, délivre une fusion aussi débridée que colorée sur « Sa Nou Yé / Be Proud » mâtiné de quelques samples de Muhammad Ali. Et on trouve même une contribution de la mezzo-soprano Alicia Hall Moran dans « Walk », un étrange mix d’opéra et de jazz réalisé avec la collaboration de Reggie Washington et DJ Grazzhoppa. Enfin, côté jazz, on appréciera les interventions du saxophoniste Immanuel Wilkins (nouvelle étoile montante du label Blue Note) sur les deux titres « Praying » et « Dancing », le batteur E.J. Strickland sur l’excellent « Language of the Unheard », ainsi que le formidable trompettiste Jeremy Pelt sur « Anthem for a Better Tomorrow ». Quant au saxophoniste Marcus Strickland, frère jumeau d’E.J., il célèbre une énième fois dans « Matter » les noces entre jazz, soul et hip-hop, en compagnie de la chanteuse Christie Dashiell.

Avant de clôturer cette chronique, il convient de souligner le rôle majeur de la productrice bruxelloise Stefany Calembert, épouse du bassiste Reggie Washington, qui a également participé à la réalisation de cet album. Réunir une telle affiche de stars différentes n’aura sûrement pas été simple mais le résultat en vaut la peine et se hisse largement à la hauteur des ambitions du projet. Cet album, qui s’adresse aux hommes et femmes de toute origine ainsi qu’à toutes les générations, est non seulement un tour de force musical, c’est aussi un étendard planté au sommet d’un monde cosmopolite dans lequel chaque être humain vaut et influe autant qu’un autre.

En concert au Botanique (Bruxelles), le 10 novembre 2022… A suivre !.

Pierre Dulieu